Peut-on obtenir une chemise à partir d’un rond? Résumer un pantalon à quatre triangles et un carré? Faire exister une jupe sans au moins un trapèze? Ces questions, à la croisée du design graphique et des questions liées aux tentatives zéro-déchets, sont celles qui animent mon projet Formes en parade. Avec l’aide des enfants, nous tenterons d’y répondre par la création d’un répertoire de formes ludiques et modulaires. Mais pas n’importe quelles formes! Elles auront la lourde tâche de composer ensemble des patrons de vêtements, futurs costumes de la parade que nous organiserons. Transmission de savoir-faire autour du travail du textile, appel à l’expérimentation, à l’erreur qu’on se laisse le droit de commettre, nous prendrons le temps, eux comme moi, de chercher, d’essayer, et d’imaginer un autre moyen de faire, loin des impératifs industriels. Notions de faire soi-même et jeux de construction seront à l'honneur pendant cette résidence.
Formes en parade est un projet qui s’intéresse à la création de vêtements, abordée par son aspect le plus graphique: le dessin du patron.
Dessiner un patron, c’est tracer sur le papier des formes pouvant paraître cryptiques, c’est créer un habit à partir d’un puzzle géométrique, et vice-versa. En tant que designer graphique, c’est pour moi un objet fascinant, à la fois espace d’expérimentations visuelles et mode d’emploi – le patron se déploie comme une affiche que l’on peut transformer en objet 3D.
Le patronnage, c’est déjà décider de la forme qu’aura le vêtement, de son utilisation. À la fois schéma et guide, représentation taille réelle et éclatée, il est fascinant par son caractère éminemment abstrait et néanmoins nécessaire. Parce qu’il fait le lien entre l’exécution technique et l’objet fini, les formes qui le composent sont souvent méconnaissables alors qu’elles constituent les parties d’un habit qu’on porte pourtant au quotidien. Pour le dire autrement: on sait tous à quoi ressemble une jambe de pantalon lorsqu’il est fini, on la reconnaitrait bien moins facilement étalée sur le papier. C’est à mon sens, également l’étape la plus graphique de la création de vêtements. On peut le résumer, visuellement, à un ensemble d’éléments disposés sur une immense page, mais c’est précisément le dessin et la disposition de ces pièces qui détermineront si le vêtement est genré ou mixte, utilitaire ou non, quelle quantité de tissu est nécessaire, et combien de chutes va-t-il nous rester.
Dans le cadre de la résidence, mon projet consiste en la création d’un répertoire graphique et modulaire, composé de formes simples, pouvant être utilisées et déclinées à l’envie. La veste, la jupe, la robe, la chemise, le pantalon et le manteau sont autant d’objets d’investigation à réduire à un ensemble de formes géométriques les plus simples possibles, reproductibles d’une pièce à l’autre. C’est aussi un lieu d’expérimentation ludique, là où l’on réalise nos erreurs, mais où l’on peut apprendre le plus vite. Les temps de transmission se transforment en terrain de jeu graphique, que nous allons parcourir avec les élèves. L’idée étant que des passerelles se créent, les expérimentations collectives nourriront le travail de recherche et créatif et vice-versa.
Première étape : la recherche. À travers une suite de dessins, des essais d'assemblage de diverses formes, je cherche leur pertinence, est-ce que cette suite géométrique suffit à composer une pièce? Une fois cet essai d’abécédaire établi, les formes choisies pour leur modularité et simplicité, j’en tire une forme de puzzle, visant à tout faire tenir sur un même morceau de tissu. Le travail avec les enfants débutera avec la mise en pratique, sous forme de maquettes, des différentes formes et pièces, afin que chacun•e puisse se les approprier, en extraire leur propre interprétation. Ici, nous prendrons le temps, en se détachant des principes de fabrication industriels, afin de laisser place à l’expérimentation collective, à l’erreur, à la modification. Le but de l'appropriation de cet outil par les élèves, sera d'aborder la création textile sous un autre angle, imaginer des costumes expérimentaux qui dépendront de protocoles bricolés, suivant la logique de chacun•e.
Car si les formes viennent de mon travail sur le patron, la parade vient des moments en commun avec la classe. En parallèle de mes recherches et avancées, l’idée est de travailler avec les élèves sur une série de costumes présentés lors d’une parade à la fin de la résidence. Au fil des séances, les formes seront essayées, découpées, remodelées comme bon leur semble, pour qu’iels puissent s’en servir comme base, afin de dessiner leurs propres tenues. Ces temps collectifs seront aussi l’occasion de transmettre des savoirs-faire et notions liés à la création textile comme bâtir au fil ou faufiler, puis coudre à la main ou à la machine – de manière ludique et accessible. Nous compilerons nos avancées, nos protocoles et des costumes qui en découlent, sous la forme d’une archive collective, valorisée au sein d’une édition de restitution – à la fois journal de bord et livre de patrons.
Au-delà de l’aspect de jeu de construction, la volonté de travailler à partir de formes qui s’imbriquent s’inscrit dans un souci d’optimisation des matières premières. Les enjeux écologiques liés à la création textile et la découverte des travaux de designers indépendant•e•s travaillant sur la notion de zero-waste, font partie des raisons pour lesquelles j’ai imaginé ce projet. Les patrons, par leur conception même, sont l’occasion de sensibiliser dès le plus jeune âge, aux problématiques du gaspillage, de la réutilisation des matériaux, de la revalorisation de la seconde main. C’est d’ailleurs dans une optique zéro-déchet que nous travaillerons exclusivement à partir de tissus de récupération.
Autre question que la conception de ces patrons graphiques et géométriques soulève: l’assignation genrée des vêtements, dès leur dessin. Si on pense à la création de pièces textiles en revenant aux formes les plus basiques, peut-être pouvons-nous aussi nous émanciper des caractéristiques attribuées aux genres, afin de voir dans la réalisation quelque chose de plus adapté à chacun•e, aux envies, aux besoins, aux morphologies respectives. Le fait de prendre du temps est ici un enjeu majeur pour savoir ce qu’on souhaite faire, le message qu’on souhaite transmettre, la fierté à faire soi-même. C’est aussi un moyen de questionner les différentes formes de vêtements. Par exemple, est-ce qu’une jupe est nécessairement destinée à un genre en particulier? Ou est-ce qu’il se pourrait qu’on ait affaire à un assemblage de deux rectangles, dans sa forme la plus simple? Ce sont autant de questions que je souhaite soulever au travers de rencontre avec des travailleur•euse•s de l’art dont les travaux portent sur la non-binarité.
Formes en parade est un projet qu’il me tient à cœur de partager et d’expérimenter en collaboration avec des élèves, particulièrement à cet âge charnière. Je pense qu’il s’agit d’un moment clé où leur personnalité s’affirme et où leur imagination n’est pas encore bridée. Ils s’agira donc d’un véritable échange, leur participation et leur réception donnant son plein sens à ce projet.