Entre-nœud, c’est l’espace compris entre deux nœuds de la tige d’un végétal. Cela renvoie au système rhizomique d’un végétal, clin d’œil à un modèle philosophique décrit par Gilles Deleuze et Félix Guattari, comme modèle descriptif et épistémologique dans lequel l’organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination hiérarchique, mais où tout élément peut affecter ou influencer tout autre. La direction d’un rhizome peut être inopinée, sa progression chaotique. Et simultanément, il n’a ni début ni fin institués par avance : il intègre l’aléatoire, chaque « entre-nœud » est un potentiel en devenir. Entre arts plastiques et sciences naturelles, cuisine et sculpture, TD de chimie et leçon de mathématique, toutes les disciplines seront étudiées. Ou presque. Mon travail se basant sur une approche transversale, multidisciplinaire, je pratique avec gourmandise et humour tout aussi bien la sculpture et l’installation que le dessin ou la vidéo. A tâtons, par intuitions, je mets en œuvre des laboratoires, provoque des phénomènes et les étudie. Dans un rapport d’immédiateté avec la matière et son caractère insaisissable, j’explore le caractère précaire des matériaux les plus humbles : de la bulle de savon au grain de poussière, de la pelure de gomme au tas d’acariens, de la feuille de gélatine au déchet de rue. L’intérêt porte sur à tous ces petits riens pose un regard curieux et distancié sur le banal et l’ordinaire. Mes expérimentations successives tendent à détourner les matières de leur état en les transformant peu à peu en objets sculpturaux. Toutes ces activités méticuleusement réalisées tentent alors de contrôler évolution ou disparition des formes volatiles, solubles ou éphémères. C’est dans ce rapport à la lente transformation de la matière, aux micro-évènements, que le projet de résidence s’inscrit.
Artiste chercheur, artiste agronome, tel un savant fou, un scientifique expérimental avide d’expériences pour comprendre comment la bulle de savon se structure dans une eau moussante, comment l’abeille construit ses alvéoles de cire dans un essaim, je ne me lasse pas de jouer avec l’air, l’eau et le vivant.
Réceptive aux modifications infimes de choses mineures, susceptibles d’échapper à la rationalité productive, je mets en œuvre des laboratoires, provoque des phénomènes et les étudie, à l’image des modèles socio-économiques de fonctionnement et de travail.
Lorsque je travaillais dans les pays du Sud, sur les terrains agricoles, les enquêtes que je conduisais me portaient déjà à interroger le sens que l’on peut donner aux choses et à observer de très près des évènements banals et curieux, à y porter un regard distancié. L’observation directe était ainsi le mode privilégié de recueil d’informations. La transformation de simples contingences en occasions personnelles, par notre simple attention, s’effectue. Ce sont ces évènements les plus infimes qui nous parlent de l’absolu. L’observation permet en effet de pénétrer dans le tout petit, dans l’infime, où de même que dans la goutte d’eau vue au microscope, un monde ignoré se découvre. A condition que l’on veuille bien la vivre sérieusement, la durée déploie un foisonnement de détails, des milliers d’instants précieux.
Le projet de résidence s’inscrit, en toute cohérence, dans cette logique d’expérimentation, d’improvisation, de jeu avec la matière et le temps.
Il s'agira de faire participer les élèves au processus de création, à la collecte de matière. Les propositions d’ateliers pédagogiques seraient ainsi centrées sur la réalisation de «sculptures» et/ou installations à partir de matériaux inappropriés (éphémères, organiques, insaisissables, etc...). Aller à l’encontre de cette matière, renverser le cours des choses, repousser les limites de la stabilité, suspendre le temps,... travailler sur des formes de poétique du quotidien.
Dans mon travail, les questions de matériologie et de forme mises en relation directe font souvent apparaître des tensions entre l’organique et le géométrique, le chaos et l’ordre. Ce que je mets en avant dans mes installations : comment les objets se dévoilent, se revendiquent et prétendent être. Il est important de souligner le fait que le résultat a souvent une valeur de trace du processus et de l’effort fourni pour sa réalisation. Montrer la matière pour ce qu’elle est, profiter de ses imperfections, et même suivre sa tendance à l’entropie, à la dégradation et à la mutabilité, est privilégié.
Hautes-Alpes
Par le(s) artiste(s)