L’Opoponax est le premier roman de Monique Wittig qui raconte l’enfance de Catherine Legrand et de ses camarades d’école. Nous découvrons leurs vies, leurs préoccupations, et leurs manières de dire le monde qui les entoure. C’est là que Wittig excelle, dans sa capacité à rendre compte de l’enfance sans jamais tomber dans la caricature. Par ses procédés d’écriture, elle interroge la langue avec en filigrane, son souhait de renverser le caractère genré et patriarcal de celle-ci.
Notre recherche combine des temps de dramaturgie et des expérimentations au plateau. Les ateliers dans la classe permettent de poursuivre la réflexion autour de deux axes principaux : le récit d’enfance et la poétique qui s’en dégage et l’adaptation du roman au théâtre. Grâce à des ateliers d’écriture, des séances de lecture, mais aussi par la pratique du jeu, nous réinvestissons cette langue militante de 1964. Les enfants sont à la fois témoins et pleinement acteurs de la recherche.
Avec “On dit qu’on est l’opoponax.”, nous proposons un projet en phase de recherche dramaturgique, d’essais, et de réflexion. S’inscrivant au croisement des désirs de création et de transmission qui sont les nôtres, ce projet a pour objet de nous inscrire dans une recherche artistique en parallèle de notre implantation en région Occitanie.
Notre désir de travailler sur cette littérature rencontre de profondes interrogations sur la manière et les moyens de raconter que possède le théâtre. Nous menons ensemble une recherche sur le rapport à la littérature et l’apport du théâtre vis-à-vis de la fable : l’adaptation théâtrale doit-elle être uniquement un récit ou, l’expérience théâtrale dans son ensemble est-elle à même de raconter par d'autres biais ?
Pour ce nouveau projet, nous souhaitons prendre un temps de travail dramaturgique et entreprendre une réflexion en invitant par exemple un.e scénographe ou un.e dramaturge pour imaginer notre spectacle et un dispositif scénique. Notre recherche s’articule autour de plusieurs axes, notamment : l’affirmation de soi dans un environnement rural, la lecture du monde par un enfant et son incarnation sur le plateau, la question de l’identité sexuelle dans les années 60 et aujourd’hui.
L’Opoponax raconte une enfance dans la campagne des années 60. Au-delà de notre désir d’implantation dans le Gers nous souhaitons voir comment la littérature permet de se réapproprier un environnement. Simon-Élie étant originaire de la région, c’est tout naturellement qu’il souhaite y ancrer ce projet. Nous souhaitons parler de ce que l’enfant peut percevoir sans toujours le verbaliser, notamment dans certains milieux où le silence imprègne les relations. Depuis VIOLENCES, en passant par DUVERT c’est la matière souvenir d'un "silence campagnard" qu’il a cherché à magnifier.
Dans L’Opoponax, Wittig décrit un monde et son action, un monde et son silence. Au fil du roman, c’est une grande pudeur qui se déploie et c’est cet endroit d’interprétation que nous voulons explorer. Comment échapper à la caricature de l’enfance et trouver cette pudeur légèrement détachée et décalée dans le temps et l’espace ? Cette retenue permet de s’inventer, de se libérer des images et clichés que les enfants ont d’eux-mêmes, que nous avons sur l’enfance. C’est donc un rapport au souvenir et à la pudeur que nous interrogeons, dans une société où le pathos et le drame sont devenus les formes convenues de narration. L’Opoponax propose au contraire de faire poindre l’attachement et l’émotion à un endroit du retrait.
Nos explorations au plateau sont constamment nourries par la langue déployée par l’autrice et ce temps de recherche est également pour nous l’occasion de nous repositionner sur l’éducation et le genre. Qu’est ce que ce groupe de petites filles qui parle au on raconte, et comment créer l’effacement de la dominance masculine sur le discours. Wittig explore la possibilité de créer, par le on une universalité de l’enfance et un moyen de contourner les contraintes discursives obligeant le locuteur qui parle à la première personne à signaler son sexe.
L’autrice propose une critique de la société dans laquelle elle évolue. Son personnage principal : Catherine Legrand va progressivement tourner le dos à l’institution catholique et affirmer, par l’usage du pseudonyme, l’Opoponax, son amour pour une fille. La puissance de l’écriture de Wittig permet de réfléchir à la manière dont peut se construire une jeune personne homosexuelle. Ce roman d’apprentissage, ce récit initiatique laisse penser que les histoires peuvent s’écrire et se raconter hors des schémas habituels, qu’elles doivent s’en émanciper pour raconter autre chose autrement.
En travaillant en dehors d’un théâtre, nous souhaitons vraiment déplacer notre recherche, la nourrir et confronter la matière à de nouveaux interlocuteurs que sont les enfants. Tout au long de la résidence, ils sont les premiers témoins de l’élaboration d’un projet depuis son origine jusqu’à sa mise en œuvre, ou les prémices de celle-ci. Nous voulons leur offrir la possibilité de penser que le résultat d’un processus de création dépend de choix que nous opérons au fur et à mesure, et que l’idée de spectacle n’est pas, dès le départ, dessinée. Créer c’est avant tout découvrir, opérer des choix, comprendre, proposer, tenter, se tromper. Ensemble nous tenons un carnet de bord relatant nos errances, le labeur, la magie du processus de création.
Les enfants sont également pleinement mis à contribution par le recueil de témoignages. L’Opoponax est un roman sur l’enfance des années 60 mais nous pensons notre projet à l’aune de notre société actuelle. C’est cet espace de battement que nous nous proposons d’explorer, quelle différences et quels points communs y-a-t-il entre un enfant d’aujourd’hui et un enfant d’hier ? Nous travaillons auprès des enfants avec la fiction de Wittig comme moteur. Nous souhaitons les amener à partager avec nous leurs doutes et leurs certitudes quant à leur vie, leur histoire. Grâce à leurs témoignages, nous identifions les points de convergence qui ont pu traverser les générations, les endroits de résonance ou ceux qui ne font absolument plus écho. Travailler à évaluer cet espace sera pour nous la chance de trouver, comme Wittig s’y attelle, une certaine universalité de l’être enfant.
Enfin, les enfants sont acteurs d’un projet. Nous leur proposons de s’emparer de passages du roman afin d’en proposer des adaptations. Cela leur permet de s’essayer à l’adaptation, mais aussi au jeu, et de participer à une création en tant que comédiens.