Cosmos des sommes est un projet d’expérimentation sensible et sensorielle. J'y développe un protocole d’exploration du réel qui flirte avec la subjectivité de chacun.e. et permet la naissance d’un champ d’imaginaires en permanente évolution.
Comment de nouvelles appréhensions de nous-mêmes et du monde peuvent venir troubler les limites du sujet ?
Je veux convoquer des corps hybrides et complexes arpentant des espaces in situ et existant à travers la matière et leur rapport au Monde. Au prisme de celle.ui qui regarde, que représentent ces corps en eux-mêmes, et que modifient-ils de l’environnement dans lequel ils se situent ?
Le projet interroge les notions d’identité, d’anthropomorphisme, de perception de soi et du Monde.
Cosmos des sommes est une recherche transdisciplinaire qui s’articule autour des notions d’image et d’objet, de conscience et de sujet-matière avec une volonté de flouter les contours, de troubler les limites.
Dans un système qui incite à affirmer sa singularité pour catégoriser, discriminer, ranger etc. le Monde parait prédéfini, fini, délimité. En tant qu’artiste de la scène, comment questionner cette représentation ? Puis-je moi-même m’en défaire ? Quel est le rapport que l’on entretient à soi, aux autres et au monde ? Quelle attention y porte-t-on ? Qui est sujet ? Qui est objet ? Un poisson sur lequel des herbes poussent est-il encore animal ? Si j’utilise un gros tapis rouge comme le prolongement de mon corps, fait-il partie de moi ?
Je m’interroge sur les manières de me rendre hybride et indéfinissable, de ne pas rentrer dans des carcans déjà pré-fabriqués. A travers des médias théâtraux, plastiques et somatiques, j’explore comment habiter mon corps, et comment considérer la matière qui m’entoure.
Mon protocole consiste à m’immerger dans le réel et dans la matière, avec un rapport très premier aux choses, idiot, par des actions primaires et directes : prendre, cracher, manger, lécher, porter.
Je tente aussi des non-actions : être agi, être affecté par la matière qui m’entoure. Me tenir immobile longtemps à un endroit et voir comment le soleil, mes vêtements, les regards des passant.e.s me changent. Dans ces expériences, je suis toujours à l’affût de ce qui se modifie en moi physiquement (sueur, sensations, poids ) et émotionnellement (peur, colère, joie ). Mais je scrute aussi ce que je perçois de moi-même, et l’évolution de l’appréhension de mon corps et du monde. Par exemple, dans mon solo Dires des sommes (projet de Bachelor performé en février 2018), je me focalise sur les sensations que me procurent les bruits, le poids et les textures des objets que je porte. Ainsi il n’est plus question de Marius Barthaux, mais du rapport entre un corps sensible et des stimuli extérieurs.
Qui sont les sommes ?
Les sommes, ce sont les hybrides, les transgenres, les garçons manqués, les centaures, les poisson-pierres, les sirènes, les hommes-arbres, les golems, les loups-garous, les alchimiques, les artificiels, les cyborgs...
Un peu plus loin ce sont ceux qu'on ne peut totalement nommer, ceux qui sont ailleurs tout en étant ici, ceux qui se connectent et qui dissolvent leurs êtres à travers d'autres, des médiums, des connectés, des traversés.
Ce sont aussi toutes les minorités qui refusent d'être seulement ce qu'on veut qu'elles soient, mais qui se jouent des codes de la représentation pour flouter volontairement leurs catégories.
Nous pouvons, hommes et femmes, enfants sans doute, vieillards vieillardes, devenir sommes.
Il suffit de mélanger ce que l'on croit être son essence, à d'autres. Il suffit de se fondre avec une autre espèce, un autre règne, animal, végétal, minéral, une autre matière, et par cette action devenir non pas sommaire, mais some one, devenir quelqu'un ou quelque chose qui n'est pas entièrement définissable, reconnaissable, distinguable.
Ainsi les sommes sont des brouillons, des non finis, des in-finis, des pluriels composés d'éléments disparates. Les sommes sont comme une pure présence de matière qui habite l'espace qu'elle occupe.
Leur contours ne sont jamais nets mais ils savent par immanence jusqu’où ils s'étendent.
J'aspire à devenir sommes.
Cette recherche initiée pour mon travail de Bachelor, je la poursuis cette année dans le lieu où je suis artiste associé. Dires des sommes est une pièce qui interroge le rapport à l’image et à la représentation ainsi que le corps-objet et le corps-sujet, par le prisme de l’hybridité. Un personnage complexe, doté d’une pierre dans la bouche, erre. Il arpente l’espace au milieu du public sans véritable but. La rencontre avec l’autre finira par le faire évoluer vers un endroit évident de représentation.
Mon Projet
Ce travail sur les sommes m'amène à vouloir créer à présent des performances poétiques immersives avec d'autres personnes pour observer d'autres approches subjectives de l'hybridité, expérimenter les liens entre ces corps que nous réinventerions à partir d'une certaine matière ou d'un certain environnement.
De manière sous-jacente et sur un plus long terme, mon projet consistera aussi à penser une trame fictionnelle qui me permette d'introduire autour des performances produites un contexte à la fois théorique et politique pour ancrer les performances (qui se feront elles sans explications, la plupart du temps dans l'application brute d'une partition d'actions et d'états) dans une pensée qui développe les enjeux décrits dans ce dossier sans paraitre ni moraliste, ni didactique.
L'exemple qui m'invite à penser cette démarche, c'est celui de l'oeuvre d'Antoine Volodine que j'ai découvert cette année. J'ai été sidéré devant la complexité et l'étendue du monde et des mondes que l'auteur.e déploie. L'écrivain contemporain a inventé à lui seul un courant qu'il appelle le post-exotisme, dans lequel il inclut des dizaines d'écrivain.e.s, dont la plupart sont entièrement fictifs, mais que d'autres ne sont qu'à moitié car réellement publiés sous ces noms en librairie ! Il ne s'agit en vérité que de différents pseudo par lesquels le seul (?) véritable auteur s'amuse à se faire publier. Pour appuyer cela, dans chacun des livres de chacun.e des auteur.trice.s est évoqué un certain contexte politique très réaliste qui mélange des références d'Histoire politique réelle (ambiance post-soviétique, camps de concentration etc.) avec des histoires fictives de femmes et d'hommes n'ayant probablement jamais existé. Ce contexte fictif politique lui permet ainsi d'écrire toute la poésie qu'il veut dans une légitimité absolue.
J'aimerais transposer ce modèle (trame fictionnelle regroupant plusieurs objets artistiques apparemment isolés) dans un contexte d'arts vivants.
Je présume du temps qu'il faudra pour développer une idée aussi ambitieuse, et c'est pourquoi un dispositif tel que celui de Création en Cours m'est nécessaire pour initier et avancer dans ce projet, de par dans sa temporalité relativement étendue.
Par le(s) artiste(s)