Des enfants mettent en scène d'autres enfants. Voici comment pourrait se résumer notre projet artistique et pédagogique à partir du Conte d'hiver de Shakespeare. Cette pièce de théâtre, rocambolesque et en maints endroits extraordinaire, nous a semblé, dès notre première lecture, être écrite pour être jouée par des enfants. Ainsi, c'est elle qui nous sert de terreau commun pour aborder avec eux la pratique du jeu et de la mise en scène théâtrale. Nous, nous sommes présents à la fois pour les accompagner et leur transmettre les outils nécessaires à la création théâtrale, mais aussi pour les filmer dans leurs recherches et rendre compte de leur travail au sein d'un film documentaire. Film qui se veut faire le portrait d'une petite communauté d’enfants au travail - avec tout ce qu’elle peut traverser de joie, de doute, de colère, d’ennui, et peut-être de grâce - en même temps qu'il montre, sous forme de petits tableaux fixes à la Georges Méliès, leurs propositions de mise en scène.
À la lecture du Conte d’hiver de William Shakespeare, nous avons eu la très forte impression qu’il s’agissait d’une pièce à hauteur d’enfant, évoquant un paysage d’enfance, et qu’il fallait rendre ce texte à des enfants. Ce texte, c’est aussi celui de Bernard-Marie Koltès, puisqu’il s’agit de sa traduction de la pièce, et sa langue – à l’image de celle de ses premiers écrits – en est simple, concrète, percutante.
Mais comment résumer Le Conte d’hiver ? La meilleure réponse nous semble celle que fait Loïc à Félicie dans le film d’Éric Rohmer, Conte d'hiver, lorsqu’elle lui demande, avant de se rendre à une représentation théâtrale de la pièce de Shakespeare : « ça raconte quoi ? » et qu’il lui répond : « C’est assez rocambolesque, tu vois ? Il se passe beaucoup de choses extraordinaires. Des gens qu’on croyait mort, qui vont en exil, qui reviennent, qui ressuscitent. Enfin vraiment, je pourrais pas dire. »
Les brusques changements de tonalité de la pièce, où le tragique shakespearien disparaît très vite au profit d’une intrigue de comédie centrée sur des amours contrariées dans un monde de pastorale, la grande versatilité des émotions traversées par les personnages comme l’absence de hiérarchisation des événements et des sentiments, nous ont semblé participer de ce paysage d’enfance où rien ne se pose ni ne se dépose. Le miracle s’opérant à la fin de la pièce, prenant la forme d’un retour en chair et en os d’Hermione, reine de Sicile, sous les traits d’une statue, est en cela assez évocateur ; un destin bienfaisant ramène les personnages là où le bonheur a commencé et s’est estompé. Et il y a là quelque chose d’aussi beau que dans L’Argent de poche de François Truffaut lorsque chute un petit garçon par la fenêtre du dernier étage d’un immeuble sans qu’il se fasse le moindre mal ; nous y croyons parce que nous avons envie d’y croire.
Ainsi, nous avons imaginé ce Conte d’hiver tenté d’être mis en scène et interprété par des enfants quand nous filmerions de notre côté ce travail et le fruit de celui-ci. Le film alternerait donc entre deux registres d’images ; fictionnelles d’un côté, se présentant sous la forme de petits tableaux à la Georges Méliès dans lesquels nous verrions les enfants jouer Shakespeare, avec tout ce que ces tableaux pourront comporter d’insolite, de drôle, de naïf ou de déconcertant – du fait de la grande liberté de mise en scène théâtrale qui leur sera accordée – et documentaires de l’autre ; leurs discussions autour du texte, des personnages, du décor, leurs répétitions, etc.
Pour cela, un grand travail d’appropriation et d’expropriation du texte par les enfants doit avoir lieu en amont afin qu’ils puissent le ramener à eux et en faire leur terrain de jeu ; ce qui nous intéresse – et nourrit le désir de ce film – est ce que cela leur raconte. Nous mesurons évidemment ce que ce projet implique de pédagogie ; ainsi, toute la pièce ne peut être adaptée et il s’agit de choisir avec les enfants les scènes qui leur apparaissent les plus propices au jeu. Penser la transmission d’un texte est un travail en soi et nous l’envisageons ici de façon ludique, en leur délivrant justement comme un conte, grâce à des amis interprètes qui peuvent leur en proposer une lecture vivante. Ensuite, il s'agit de leur donner de véritables ateliers de théâtre et de leur transmettre des outils à la direction d'acteurs, à la mise en scène, à la conception d'un décor, etc. La nécessité de proposer, à l'issue de ces ateliers, un « spectacle », est au coeur de notre pédagogie.
Nous souhaitons bien sûr intervenir le moins possible et n’être à leurs côtés qu’une présence légère et bienveillante, « émerveillée d’enfance », mais ce travail d’accompagnement nous semble nécessaire afin qu’ils puissent pleinement se saisir de ces langages (de la littérature et du théâtre). En effet, nous pensons, comme Fernand Deligny dans son ouvrage Les Vagabonds efficaces, que « les enfants doivent savoir qu’il s’agit de langages, et qu’ils ne peuvent le savoir vraiment que s’ils s’essaient eux- mêmes à ces langages afin de les percevoir sans en être envoûtés ».
Ce que nous désirons avant tout voir apparaître à travers cette forme documentaire est une petite communauté d’enfants au travail, avec tout ce qu’elle peut traverser de joie, de doute, de colère, d’ennui, et peut-être de grâce, en laissant aussi la place à tout ce qui peut surgir d’extérieur à la création de la pièce, d’accidents, d’à-côtés. Récréations de Claire Simon – de par son grand désir d’imprégnation du monde de l’enfance – nous paraît en cela un exemple à suivre.
Par le(s) artiste(s)