À l’occasion de Création en Cours et des temps de transmission de notre recherche auprès des enfants, nous travaillerons sur l’une des nouvelles du recueil Bestiaire de Julio Cortazar : «Casa Tomada».
Nous avons choisi cette nouvelle pour sa richesse visuelle, ainsi que pour les nombreux niveaux de lectures qu'elle contient. Son écriture convoque des sons, des couleurs, des formes graphiques, des formes spécifiques connues de l’art et du design, comme autant de pistes plastiques à investir lors d’ateliers.
Les productions résultant de ces ateliers viendront entourer la nouvelle pour en proposer collectivement une réédition augmentée.
Nous travaillerons autour du premier recueil de nouvelles de Julio Cortazar publié en 1951 : Bestiaire.
Ces nouvelles ont suscité de nombreuses adaptations au théâtre, au cinéma et à l'opéra mais de façon paradoxale, ce recueil n’a jamais été réédité en français, et ne connait que sa forme graphique originale. Notre recherche a pour objectif de donner une nouvelle forme à l’œuvre de Julio Cortazar en déployant la lecture et en partageant nos projections.
Nous nous intéresserons avec les enfants à l’une des nouvelles de Bestiaire : «Casa Tomada» («Maison Occupée»). Elle raconte l’histoire du narrateur et de sa sœur qui vivent un quotidien rangé, voyant se succéder les mêmes journées dans leur maison familiale. De manière énigmatique, ils sont contraints de réduire au fur et à mesure leur espace de vie, jusqu’à devoir affronter le monde extérieur.
La littérature est un terreau fertile pour la création graphique. Source infinie d’invention, d’interprétation, d’exploration, il est passionnant de tenter de la prolonger et de partager son exploration par la forme plastique et graphique. Il convient de noter aussi qu’une œuvre littéraire est un support propice au dialogue spéculatif et à l’échange collectif, aux interactions qui favorisent l’imaginaire, la singularité et le regard critique.
«Casa Tomada» est un format court, environ cinq pages, facilement accessible pour des enfants du cycle 3. Cette nouvelle offre des possibilités d’interprétations et des niveaux de lectures (primaire, poétique, politique, sensoriel) particulièrement larges.
Les mystères que l’auteur laisse volontairement planer dans son récit invite le lecteur à se questionner sur sa propre interprétation et sur les multiples possibilités narratives qu’il peut y entrevoir. Ce récit propose une zone d’indétermination à combler, principe établi par W.Iser dans son essai L’appel du texte (1970), qui le définit comme le «non-dit» au sein d’un récit. Pour W.Iser, seul l’indétermination permet la participation au texte, et de ce fait demande au lecteur de devenir actif et complice.
Au fil de nos interventions en classe, nous proposerons d’aboutir collectivement à la réédition de la nouvelle, augmentée des réalisations graphiques et narratives des enfants.
À travers ces réalisations, nous ne chercherons pas à illustrer le texte, mais plutôt à convoquer ses ailleurs, à le déployer et à retranscrire les temps de lecture que nous en ferons, à travers des ateliers de création. Ces derniers aborderont successivement plusieurs aspects de la nouvelle (péripéties, espaces extérieur et espaces intérieur, personnages, gestes et sonorités) afin d’inviter à son interprétation graphique :
NARRATION ET PÉRIPÉTIES
J.Cortazar installe de nombreuses questions dans sa nouvelle, par exemple qui ou quoi occupe et envahit la maison, ou bien que se passe t-il dans cette dernière une fois ses habitants partis? Ces interrogations pourront faire l’objet de propositions écrites et/ou graphiques pour traduire les interprétations de chacun et susciter une réflexion autour de la notion de para-texte dans la réédition finale de «Casa Tomada».
ESPACES EXTÉRIEURS
Ateliers autour de l’idée de la «maison-personnage» et de la représentation de l’espace du récit.
La maison dans laquelle se déroule l’action de la nouvelle tient une place prépondérante, elle est abondamment décrite et peut susciter tout un imaginaire à traduire graphiquement :
- Créer différents plans de la maison, plus ou moins labyrinthiques, au fil de son rétrécissement pour questionner la représentation d’un espace en mutation, devenu biscornu, en s’éloignant des codes conventionnels de la représentation de l’espace.
- Enquêter et se documenter sur le paysage de Buenos Aires et ainsi venir assembler, superposer, collecter, composer la potentielle architecture de la maison, à partir des images de la ville, des captures d’écran de la rue mentionnée et des projections des enfants.
ESPACES INTÉRIEURS
Les notions de souvenirs, d’héritage, de généalogie ou encore de transmission présentes dans le récit, peuvent constituer un axe thématique pour la recherche plastique et l’incarnation matérielle du récit.
- Nous pourrons créer les timbres mentionnés dans le texte (photocopier, coller, composer) et questionner les rapports d’échelle et les notions de signes et symboles.
- Recréer, moderniser et s’approprier la figure des majoliques également citées dans la nouvelle (intervenir sur des faïences existantes, repeindre, recouvrir, recomposer).
- Fabriquer un trompe l’œil, mur de la maison, avec ses objets décoratifs. Par exemple réaliser une tapisserie en s’intéressant à l’histoire de celle mentionnée dans la nouvelle, et ainsi concevoir une œuvre collective et interroger la transposition d’un support tissé à un autre support.
PERSONNAGES ET GESTES
Les gestes quotidiens et répétitifs des personnages rythment le récit et peuvent aussi être des points de départs pour imaginer la partition du texte.
- Restituer la chorégraphie d’une journée dans la maison : cartographier les déplacements, rejouer et photographier les gestes, imaginer un système de schéma et de notation pour les représenter.
SONS
- Confronter un mot qui évoque le son à l’effet qu’il produit, à l’image qu’il convoque, et à son incarnation typographique, et de ce fait interroger la représentation d’une ambiance sonore.
À l’intérieur de la réédition, cohabiteront donc réalisations graphiques, documentations annexes, commentaires des enfants, discussions glanées autour de l’œuvre, etc. Ces éléments viendront entourer l’œuvre d’origine, enrichir le texte et retranscrire notre lecture partagée. L’ouvrage chorale donnera néanmoins à chacun la possibilité de retrouver sa voix, sa lecture personnelle, à l’intérieur de cet objet final fait d’échanges.
Nos ajouts et inserts seront une manière de rejouer les notions d’envahissement, d’occupation, de croissance et d’excroissance, d’amputation / de rajout, propres au récit de «Casa Tomada».
Au cours de la mise en page de notre ouvrage, nous nous intéresserons à la spatialité du texte. En effet la nouvelle présente un espace mouvant et labyrinthique qui évolue en fonction de la temporalité du récit, une caractéristique propice aux jeux graphiques et éditoriaux. L’aménagement d’un texte en fonction de son espace décrit n’est pas sans rappeler la mise en page du Jardin des plantes de Claude Simon (cf. planches de documentation). De même, la mise en page de La Cantatrice Chauve proposée par le graphiste Robert Massin (cf. planches de documentation) rejoue les dialogues des personnages et leurs possibilités expressives.
Par le(s) artiste(s)