Il fut un temps, dans les écoles françaises, il était de mise de récompenser une attitude positive en classe, ou bien un devoir réussi, en offrant au jeune écolier un bon point. Coupons, images ou gommettes, la forme de cet objet varie, mais sa fonction reste une validation morale de l'enfant ainsi qu'un outil pédagogique afin de stimuler son attention.
Le bon point n'est guère plus d'actualité dans nos écoles et si encore quelques professeurs pratiquent son utilisation, cela reste un objet évocateur d'une pédagogie d'antan aujourd'hui remise en question.
Pourtant, l'objet nous semble être un point de départ intéressant pour initier une réflexion sur la valeur des images en fonction de leur forme, de leur fonction et de leur diffusion.
"Lorsque j'étais petit, je me rappelle qu'à l'école élémentaire nous recevions des bons points. Des images sous forme de vignettes qui représentaient l'univers de la faune, de la flore ou bien des dinosaures. Personne n'avait les mêmes. Je ne sais plus exactement pourquoi parfois, je recevais une image, mais j'ai le souvenir de les conserver soigneusement dans une boîte prévue à cet effet. Tout le monde avait sa propre boîte. J'étais fier de les avoir gagnés et j'en prenais soin parce qu'elles m'appartenaient."
La nostalgie nous pousse à regarder avec un regard actuel les choses de notre passé. Alors on se demande la valeur de ces souvenirs et si ces expériences ont eu des conséquences.
Il y a quelques jours, le neveu de Tommy a fait remonter le souvenir de ces bons points gagnés et conservés un temps. Ludwig a 8 ans, et dans sa classe, la maîtresse récompense les enfants en leur donnant une image lorsqu'ils sont sages et attentionnés dans leur travail.
Aujourd'hui, graphistes, notre métier est de produire des images qui véhiculent des messages — de la communication visuelle. Affiches, livres, illustrations ou signalétique, les images sont pensées avec stratégie, tout comme leur diffusion et leur réception. Diplômés de l'École nationale supérieure de Arts Décoratifs, nous poursuivons une pratique personnelle artistique, en parallèle à notre travail de graphiste, dans laquelle l'image reste notre terrain d'expérimentation.
Comment les images sont faites, par qui et à qui sont-elles destinées ? Que racontent-elles ? Sont-elles informatives, commerciales, artistiques ? Quelle est leur valeur aujourd'hui alors que chaque espace de nos villes se retrouve recouvert d'images, et que chaque temps libre est investi à en consommer plus. Quels sont les médias qui les diffusent ? Quel est l'impact de ces images sur notre regard, sur notre compréhension du monde et sur notre rapport à l'autre ?
Un sujet inépuisable qui nous aura amenés à produire un mémoire sur le rapport à l'écran pour Tommy et un mémoire sur la valeur de l'image reproduite dans le contexte de l'iconographie sacrée pour Paul. Travail rédactionnel suivi par la réalisation d'un diplôme centré sur la stature et les codes des images religieuses liés à l'écran pour le premier, et un diplôme sur l'image populaire et sa présence dans nos vies pour le second.
Des préoccupations communes, des goûts similaires et un lien affectif nous ont amené à travailler souvent en binôme, que ce soit en créant le collectif Beaucoup — prétexte à une production foisonnante d'images et réflexion sur l'image gratuite (produite sans but commercial) — ou encore en créant un groupe de musique rock Vacarme — prétexte pour produire l'iconographie, vidéo-clip, pochette et musique d'un groupe punk — ou bien encore la prise en charge du graphisme et de la scénographie des Portes Ouvertes de l'EnsAD de 2019 — parodie de l'univers iconographique des autoroutes françaises.
Bon Point, s'inscrit donc à la suite d'un travail en binôme entrepris depuis plusieurs années, établies sur un esprit d'humour, de provocation parfois (mais bienveillante), et un goût pour les images électriques — de celles qui ne sont pas passives.
À travers, Bon Point, l'objectif est d'initier une réflexion sur le monde des images et leur impact. C'est pourquoi nous envisageons ce projet sur deux temps : l'un centré sur notre rapport de jeunes professionnels de l'image vis-à-vis d'un univers qui nous appelle et aussi nous perturbe parfois. L'autre en utilisant la possibilité de travailler un temps avec des enfants pour les confronter à cette recherche, leur demander leur avis et les engager dans ce type de réflexion. Utiliser cette opportunité pour étudier leur ressenti vis-à-vis de la récompense à l'école — et de manière plus large, sur les systèmes de notation.
L’image dans la ville, qu’elle soit publicitaire, signalétique ou autre est par nature une image donnée. D’aucuns la considère parfois imposée, elle est pour l'observateur un non-choix qu’il endure avec plaisir, indifférence ou bien animosité. Informatives, elles établissent un langage destiné à l'autre pour livrer son message : une relation unilatérale d'offre et de réception.
Ce rôle de l'image, pour nous est une réelle préoccupation et c'est pourquoi “l’image offerte” devient un terme qui nous donne envie en réponse de proposer d’autres termes : l’image publique, l’image imposée, l'image inaccessible, l’image récompense, l’image gratuite. Des jeux de sens et de fonction qui se retrouvent dans nos divers projets.
L'école est un premier pas dans la société. On y invite l'enfant à apprendre les règles et comprendre les codes du monde collectif qu'il va bientôt intégrer. Si aujourd'hui, il est possible d'observer les limites de notre société, il est normal de voir évoluer les systèmes pédagogiques, et éclore de nouvelles écoles alternatives. Dans ce présent, le bon point scolaire est un objet ambigu : évocateur d'un système éducatif questionnable, douteux, basé sur le mérite, la récompense et donc une forme de compétition individualiste et discriminante. Que cela disparaisse petit à petit de nos écoles est compréhensible. Pourtant, on a du mal à imaginer que pour un enfant cette vignette offerte soit si problématique.
C'est pourquoi travailler avec eux serait une manière d'étudier leur ressenti vis-à-vis de l'image, de la récompense à l'école — et de manière plus large, sur les systèmes de notation. Initier avec eux une réflexion sur le rôle des images. Produire avec eux des expériences sur cette chaîne simple de "produire-donner/offrir/vendre-recevoir" qui semble être l'une des bases de notre économie et de notre société.
Par des exercices pratiques évoquer la notion du don. De qui, vers qui et pourquoi ? Inverser le rôle de consommateur et de diffuseur en invitant l’enfant à devenir porteur de sa propre réflexion, sa voix qu’il diffuse et propose à l’autre. On imagine avec humour obtenir comme résultat le fameux collier de nouilles, mais c’est plutôt vers un atelier de réflexion sur le geste que nous aimerions nous diriger et non vers un atelier de loisir créatif. Ouvrir et étendre ce geste de récompense : l’enfant pourrait alors offrir un bon point pour ses parents, mais aussi bien à son école, à sa ville, ou pourquoi pas même à son pays…
Chaque ouverture amenant son lot de problématique diffusion/média/forme. Et finalement, c’est la question de faire exister sa voix dans un système plus grand par l’acte de création qui en devient l’enjeu.
« Ceci est l'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance. »
Dans La Jetée, de Chris Marker
Par le(s) artiste(s)