ABSENTE est un projet de narration mêlant textes, photographies, dessins et prises de son, présenté au lecteur par épisode. Nous y ferons le récit d’une femme disparue, suivant sa trace comme deux enquêteurs. L’histoire se construira au fur et à mesure des indices que nous découvrirons et qui nous entraineront de lieu en lieu, déroulant ainsi une succession d’hypothèses quant aux actes et trajectoires de notre personnage imaginaire. La matière littéraire, picturale et sonore sera récoltée sur le terrain, puis triée, retravaillée et mise en forme à l’atelier afin de constituer un corpus de documents que le lecteur pourra découvrir dans l’ordre qui lui plaira afin de créer sa propre expérience de lecture. A terme, nous espérons mettre en place un système d’abonnement grâce auquel le lecteur recevra régulièrement la suite de l’histoire dans une enveloppe postale.
Quelqu’un disparait. Imaginons qu’il s’agisse d’une femme. Nous partons à sa recherche. Ainsi est né le projet ABSENTE, de la constatation que l’inventeur d’histoires, comme l’enquêteur, travaille à créer de la vraisemblance. Nous partons en écrivains, dessinateurs, photographes et preneurs de son dans le but de raconter le parcours possible de notre disparue. Comme l’enquêteur, nous décrivons, analysons, récoltons, reconstituons. Comme lui, nous cherchons à revivre les scènes pour mieux les comprendre. Nous nous emparons des lieux que nous découvrons, des gens que nous croisons, des sensations qui nous traversent, et tout ceci devient la matière d’un récit qui nous entraine vers la suite du voyage. ABSENTE est un protocole de création littéraire basé sur la mise en situation, la confrontation au réel. Plutôt que de puiser l’inspiration dans nos expériences passées, nous partons physiquement à la recherche des décors et personnages, et nous travaillons la mise en scène de l’histoire directement sur le terrain. Les médias artistiques que nous avons choisi pour travailler sont l’écrit, le dessin, la photographie et l’enregistrement sonore. L’écrit est central, il permet d’instaurer une temporalité et il est le médium de la narration par excellence. Il constituera le pilier de notre projet qui est avant tout littéraire. L’essentiel de la matière textuelle sera produite sur le terrain. Des descriptions de lieux et de personnes se mêleront à nos hypothèses quant aux actions et trajectoires de notre disparue. Les modes indicatifs et subjonctifs viendront marquer ce contraste entre la réalité du terrain et les propositions fictionnelles que nous mettons en scène. Le dessin, la photographie et l’enregistrement sonore sont des outils de témoignage. Ils permettront de prélever les indices qui articuleront le récit. Ils ne sont pas envisagés comme des illustrations du texte mais comme des échantillons au service de la vraisemblance. L’histoire sera partagée avec les lecteurs de manière épisodique, sous forme d’une combinaison de textes, d’images et d’enregistrements réunis dans une enveloppe. Il ne s’agira pas d’un recueil avec un ordre de lecture déterminé, mais plutôt d’un corpus de documents à disposition du lecteur, qu’il manipulera à sa guise afin de déclencher sa propre rencontre avec le récit. Le choix de travailler sur le terrain, à la poursuite de notre personnage, induit un déplacement dont l’itinéraire sera définit au fur et à mesure de la construction du récit. Ces périodes de production en extérieur seront alternées avec des retours réguliers au lieu de résidence. Là-bas, les matériaux collectés seront triés, retravaillés et mis en forme. L’ensemble des documents formera une mosaïque qui couvrira petit à petit l’espace de l’atelier à la manière d’un tableau d’enquête. Débutera alors un temps de méditation où nous sélectionnerons et combinerons les pièces afin de remplir l’enveloppe. L’étape de sélection est très importante à nos yeux, car nous croyons fermement que les textes non inclus se révèleront en filigrane à travers l’influence qu’ils auront eu sur d’autres textes et sur notre manière d’appréhender le personnage imaginaire de la disparue, selon la théorie de l’iceberg d’Ernest Hemingway. Dans ses mémoires publiées en 1964 sous le titre A Moveable Feast, l’écrivain déclare : "I omitted the real end [of Out of Season] which was that the old man hanged himself. This was omitted on my new theory that you could omit anything ... and the omitted part would strengthen the story." (« J’ai omis la vraie fin de Out of Season, où le vieil homme se pendait. Je l’ai omise en suivant ma nouvelle théorie selon laquelle on peut omettre n’importe quelle partie… et cette partie omise renforce le récit. »). Autre influence, la pièce de théâtre 2666 de Julien Gosselin, se voit aussi, pour une raison différente, privée de sa conclusion. Après 10 heures de représentation, le récit se termine alors que l’intrigue n’est pas résolue. Cette fin ouverte laisse le spectateur dans l’expectative. De plus, la narration se construit dans plusieurs espaces : chambres d’hôtel, appartement, boîte de nuit, Mexique, Italie, Londres. Les transitions sont brutales et les liens apparents entre les scènes sont souvent trompeurs, mais le récit se propage et des indices nous amènent petit à petit à comprendre l’intention du metteur en scène. Tous ces manques obligent le spectateur à adopter une attitude intellectuellement active. C’est cette expérience-ci que nous souhaitons partager avec notre lecteur. Les documents non choisis pour un épisode seront peut-être repris pour le suivant et permettront de mettre en place des retours en arrière, voire des retournements de situation. ABSENTE, en tant que récit d’enquête, restera hypothétique. Une somme de conjectures tressés ensemble, parfois confirmées et parfois réfutées par les nouvelles découvertes. Nous nous engouffrerons très certainement dans des fausses pistes et devront rebrousser chemin plus d’une fois, reproduisant ainsi les aléas de la recherche comme développée dans toutes les disciplines humaines. L’objectif de cette instabilité narrative est d’amener le lecteur à redécouvrir l’origine de cette tendance qu’ont les hommes à inventer des histoires : notre capacité à élever des hypothèses. Le plaisir du récit n’est pas tant d’y croire que de s’apercevoir qu’imaginer une expérience revient presque à la vivre. Les hypothèses que nous auront proposé au lecteur, au moment de leur réfutation, auront déjà produit leurs effets. Le lecteur aura déjà créé une série de liens entre l’expérience traversée par la disparue et leurs propres souvenirs. Revenir en arrière ne détruira pas ces liens, ce ne sera que l’occasion de leur découvrir de nouvelles variantes, d’essayer les situation dans un sens et dans l’autre, de profiter d’un plaisir habituellement réservé à l’auteur : celui de la matière littéraire encore indéfinie. « La voici. Elle vient du dehors. Elle traverse la chambre. Peut-être reconnaît-on sa silhouette, sa robe. Oui, c’est celle qui marchait vers le fleuve dans la rue droite le long du parc. Elle va vers la douche. On entend le bruit de l’eau. Elle revient. C’est alors qu’on la voit. Oui. Clairement, c’est encore une enfant. » Marguerite Duras, L’amant de la Chine du nord. Cette résidence serait pour nous l’opportunité de travailler dans des conditions professionnelles sur un projet demandant un investissement de temps et d’argent conséquent. Elle nous permettrait d’avoir un lieu consacré à l’écriture. Nos recherches sur la relation de complicité auteur-lecteur seront nourris par les temps de partages et de transmission avec les enfants, qui se placent naturellement et fréquemment dans les positions de raconteurs et récepteurs d’histoires. Notre objectif durant la période de résidence est d’expérimenter notre protocole et de produire la première enveloppe-épisode. Nous envisageons de la publier à environ 200 exemplaires qui seront diffusés par voie postale à nos lecteurs.
Aude
Par le(s) artiste(s)
Par les participants