matière en partage avec les enfants

NULLE DIMENSION, vol. 2

Publié par Esther Meunier Corfdyr

Journal du projet

Un temps pour le sommeil avec les élèves de CM1 de l’école Jules Ferry à Montfermeil, un temps pour mettre en corps et en récit leurs rêves et cauchemars, leurs peurs et aspirations.

J’ai entamé une recherche sur le sommeil en 2019. Elle a donné lieu à l’essai Corps endormis, corps affranchis (ed. Presses du Réel) et à plusieurs œuvres regroupées dans la collection Nulle Dimension et présentées à l'occasion d'une première édition d'un festival, Nulle Dimension vol. 1 en 2020.

Ouvrir cette recherche à une classe d’élèves de primaire sur une longue période de résidence (une plage de trois mois) a été l’occasion de faire le point, de découvrir de nouvelles pistes d’expérimentation, et de partager et d’élargir le répertoire des œuvres sur le sommeil et de créer une nouvelle édition Nulle Dimension avec les enfants.

Ensemble, nous avons raconté cet état qui concerne chacun.e et cherché à subvertir l’idée que l’on peut s’en faire. Nous nous sommes concentré*es sur l’expérience du sommeil paradoxal, moment des rêves, phase extrêmement nerveuse, état de rencontre des contraires.

Venue dans un état d'esprit enthousiaste et curieux, ce sont les échanges avec les enfants qui ont désigné les sentiers que nous avons empruntés pendant la résidence. Tout du long, l'engagement des enseignantes Géraldine et Morgane a été crucial et est resté le même : elles ont été d’un immense soutien et je les en remercie.

Il était pour moi important de travailler avec les enfants dans un esprit de plaisir et de solidarité favorisant le jeu dans un cadre où chacun.e pourrait gagner en confiance et en curiosité, et de leur permettre de se découvrir sous l’angle de la vie intérieure et des rêves. Si au début les élèves avaient des propos durs et moqueurs les un*es pour les autres, peu à peu, le groupe s’est montré solidaire et cela a été pour moi une vraie joie d'assister à cette transformation.

Session aux Ateliers Médicis
Esther Meunier Corfdyr

Les débuts de la résidence ont consisté en un temps d’échanges durant lesquels chacun*e s’est ouvert.e sur son sommeil et donc sur ses appréhensions, ses cauchemars, ses rêves et aspirations.

J’étais arrivée avec l’idée de documenter la résidence, mais très vite, cette idée s’est transformée en véritable désir documentaire. J’ai donc filmé et enregistré les enfants (qui se sont aussi souvent emparé*es du micro-enregistreur seul*es) à chaque séance.

C’est aussi dans les premiers temps que je leur ai transmis mes outils de création, spécialement adaptés pour eux (exercices d’imagination, d’écriture, de danse, etc.). La classe a pu se familiariser avec différentes formes de création durant cette période.

Les débuts étaient assez timides : mes consignes étant très différentes des consignes scolaires, certains enfants avaient du mal à s’y faire et à accéder à leur imaginaire. Mais, à force de persévérance, les images et les idées se sont développées et chacun*e a pu découvrir ses envies et ses outils favoris.

session d'écriture
Esther Meunier Corfdyr

À mi-parcours, nous avons eu l’occasion de travailler sur le plateau des Ateliers Médicis que je remercie grandement. Cela a été l'un de mes moments préférés : c’était un contexte précieux pour partager le corpus d’œuvres issues de la recherche sur le sommeil avec les enfants.
Tout d'un coup, tous les outils que je leur avais transmis, tout ce dont nous avions discuté ensemble prenait sens et forme dans un espace scénique et j'ai senti que c'était un moment d'assimilation et de transformation des outils pour elles*eux.

Il a ensuite été possible de passer à une phase de création — qui a été très riche ! Nous avons généré plusieurs formes et l’ensemble a été présenté à l’occasion d’un festival à la fin de l’année dans l’école.

L’appétence des enfants pour le récit a donné lieu à un petit livre illustré à partir de leurs récits de rêves et a aussi trouvé un écho avec ma curiosité pour le travail sonore.
J’ai donc invité deux artistes sonores à prendre part à la création : Esther Mary et Eliott Bothorel (aka Somoine). Ensemble, nous avons conçu l’installation sonore SNORE, éclats spatialisés des sommeils des enfants. La classe a également co-composé deux morceaux diffusés dans un dj set, pendant une fête du sommeil dans la cour de récré à laquelle toute l’école était conviée.

SNORE

Composition de Esther Mary pour l'installation sonore SNORE
présenté à l'occasion de Nulle Dimension vol. 2

Dodo #1

Composition de Somoine présentée lors d'un dj set à l'occasion de Nulle Dimension vol. 2

Dodo #2

Composition de Somoine présentée lors d'un dj set à l'occasion de Nulle Dimension vol. 2

Les enfants ont aussi imaginé deux performances : l'une à partir d'une couverture de survie, l'autre à partir d'une couette.
Il était important pour moi de partager avec eux mon processus de travail, une mise en corps et en espace à partir d’une matière et d’un environnement initial que les gestes transforment, déploient, ré-inventent.

pendant la création des performances
Esther Meunier Corfdyr

J'ai eu besoin d'un temps pour laisser décanter cette expérience qui m'a profondément marquée. La rencontre avec les enfants sur le terrain de la vie intérieure a été évidemment très forte, d’autant que j’étais hébergée dans l’école, que les familles se sont mobilisées pour soutenir les enfants, assister à tous les temps d’ouverture, et que notre recherche a été rejointe par la sœur de l’une des élèves dans le cadre ’d’un stage en partenariat avec la mission locale.

Cette résidence a été pour moi l’occasion de travailler sur l’image d’une manière que je n’avais encore jamais abordée. Le climat de confiance avec les enfants m’a permis d’expérimenter une approche documentaire qui était jusqu’alors absente de mon travail. J’ai réalisé de nombreux portraits photographiques et poursuis le montage du film documentaire sur le sommeil des enfants et travaille sur un projet d’écriture inspiré des pistes ouvertes durant les discussions avec les enfants.