Le troc peut être considéré comme un moyen d'échange de biens certes mais surtout comme un moment de rencontres et de partage des histoires, des récits, au gré des expériences complexes et des anecdotes, comme un espace commun, un moment vécu ensemble.
L’objectif est de partir à la rencontre d’enfants, d'adultes et des communautés en Guyane pour réfléchir et créer ensemble à partir du projet Troc-Troque-Troc débuté en 2016. Il sera question de s’interroger collectivement sur l’histoire du troc et ses enjeux sous-jacents à partir de temps d’échanges, d’écritures et de jeux, mais aussi par le biais des traditions orales locales.
Cette action de troque d’objet est un prétexte pour faire monter des histoires, des récits, des anecdotes sur le patrimoine matériel de chaque culture. La relation à l’objet est complexe : celle-ci peut être affective, symbolique, économique puisqu’il a une valeur d’usage et d’échange.
Le troc est l’une des plus anciennes actions d’échange commercial entre les Hommes. Il a compensé l’absence de monnaie commune. A l’ère paléolithique, l’homme comprit qu’il pouvait échanger un silex contre une peau de bison sans devoir aller le chasser lui-même. Cette économie pris son ampleur au néolithique, avec l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, et des traces de commerce se déroulant sur de plus grande distance. Echanges d’objets, de récoltes, d’outils, de denrées et même d’esclaves ont traversé l’Histoire et les continents.
Au Vème siècle avant J.C., le l’historien grec Hérodote écrit dans Histoires : «Lorsqu’ils ont débarqué leurs marchandises, ils les déposent en rang le long de la grève, se rembarquent sur leurs vaisseaux, et font de la fumée. Les indigènes, voyant cette fumée, se rendent au bord de la mer, déposent de l’or qu’ils offrent en échange de la cargaison, et s’en retournent à distance. Les Carthaginois débarquent, examinent l’or; s’il leur paraît équivaloir à la cargaison, ils l’enlèvent et s’en vont; s’il ne leur paraît pas équivalent, ils remontent sur leurs vaisseaux et s’y tiennent. Les indigènes s’approchent et ajoutent l’or à ce qu’ils avaient déposé, jusqu’à ce qu’ils les aient satisfaits. Ni l’une ni l’autre des parties, disent les Carthaginois, ne fraudent.»
Au XVIème siècle, lorsque les bateaux des explorateurs européens accostaient des terres inconnues, ils proposaient de la verroterie contre des vivres frais. Puis se mit en place le commerce atlantique et triangulaire basé sur l’échange scandaleusement fructueux d’esclaves noirs de Guinée contre de vieux fusils et des perles de verre coloré. Le commerce d’esclave noir était un commerce de troc et aucun achat de « nègres » ne se payait en argent mais en marchandise ou en Cauris, monnaie d’échange très prisées des Africains.
A Dakar, au mois de mai 2016, j’ai mis en place un troc d’objets.
J’ai d'abord réalisé une première collecte d’objets prélevés dans différent lieux par différent moyen, au regard de mes propres projections et spéculations sur les modes de vie de cette grande métropole de l'ouest de l'Afrique. Ensuite, j’ai collecté d'autres objets auprès de mon entourage. Je demandais «Que veux-tu que j'amène à Dakar ?». J’ai insisté sur l’idée qu’il était important que chaque donneur réfléchisse à l’objet donné, à sa valeur sentimentale, économique, sociale. Aux raisons qui le poussait à me le confier, à choisir tel artefact plutôt qu'un autre. Au fait que chaque objet à une signification, une histoire spécifique. Et que chacun d’entre eux allait rencontrer une autre histoire, une autre personne.
Et ce faisant, j'ai réuni 85 objets. Avec leurs histoires.
Je les ai ensuite rangés sous forme de collections. Certains étaient liés à l’outillage, d'autres à la cuisine, ou encore à la beauté et à l'habillement, il y avait aussi des livres, des biberons… Puis, j'ai établi des fiches/notices pour chaque don = une photographie de l’objet sur fond de couleur associée à un portrait photographique du donneur et à l'histoire racontée. Ces fiches/notices accompagneront l’échange, voire la série d’échanges, et feront surgir d’autres récits et des anecdotes. Lorsque un objet sera troqué, le receveur/troqueur repartira avec l’objet ainsi que sa notice. Je lui transmettrai l'histoire de l'objet choisi, et recueillerai l'histoire de celui qui me sera donné. J'écouterai ce qu’il aura à me dire. Les histoires des objets passeront de l’ancien propriétaire à leur nouveau propriétaire.
J’ai ensuite conçu un stand (en pensant aux astuces des vendeurs ambulants à la sauvette, sur une table, sur le sol ou porte à porte). Je voulais un stand facile à déployer, présentant vite les objets de troque et leurs histoires, prêt à accueillir l’échange. Je me suis interrogée aussi sur l'histoire du troc, les différentes manières de troquer, les mots à utiliser, les types d’argumentations, les façons de marchander, de commercer, de négocier. Et les enjeux sous-jacents. Enfin, chaque objet a été emballé soigneusement, tous chargés d'un vécu, des récits des donneurs, et de mes propres envies.
Je suis revenue en France, après 1 mois de rencontre et d’échange, avec 47 objets troqués. Ce fut la première étapes de ce grand projet de troc d’objet-histoire.
De retour à Nantes, ma valise remplie de nouveaux objets chargés d’histoires, d’interrogations, de sons, d’images. L’enjeu premier est de rendre compte de la manière la plus juste de ces échanges, des différentes questions qui en ressortent, ne pas tomber dans l’exotisme, ne pas les sacraliser.
En décembre 2016, 17 objets-histoires sont partis avec Sarah Orumchi en Iran. Puis, entre janvier et février 2018, 31 objets-histoires ont été emmenés au Pérou. À mon retour en France, lors de ma résidence à la maison de quartier de Madeleine-champs de Mars à Nantes, j’ai généré un temps de troc avec l’ensemble des objets-histoires.
La proposition pour «création en cours», sera la partie 5 de Troc, Troque, Troc, que je souhaiterais activer auprès d’enfants de Guyane. Le troc est une pratique courante pour les enfants. C’est pour eux un moyen destiné à compenser et repenser la compréhension des échelles de valeur exprimées en numéraire. Le troc permet ainsi de favoriser l’autonomie des enfants. En effet, pour faire du troc, les enfants mettent en place une organisation sociale qui vise à reproduire dans leur groupe de pairs ce qu’ils observent dans les points de vente ou au sein de leur famille. Il est un support d’apprentissage et par ce biais les enfants acquièrent des connaissances sur la valeur des objets et leur représentation dans la société.
Pour chaque troque, il m’est indispensable de réfléchir au lieu où il se fait, ce que cela implique, l’histoire du pays et les traces éventuelles de troque sur son territoire. Le point de départ sera celui de la transmission et du partage des histoires à partir d’objets appartenant à d’autres cultures. Nous tenterons ensemble de réfléchir à ces questions communes notamment autour du troc présent dans les cultures des caraïbes : Arawaks, Palikur, Wayana et Bushinengue.
Durant le temps des ateliers, mener avec les enfants de l'école de Providence, l'enjeux sera que les enfants prennent part à ce dispositif, qu'ils en deviennent les actrices-acteurs et investigatrices-investigateurs.
Nous prendrons le temps de se rencontrer, de conter nos histoires et pour ce, nous créerons un espace/dispositif qui sera le lieu des contes et du troc. Il y aura des moment de réflexion collective sur les enjeux qui en ressortent, réfléchir à l’histoire du territoire et l’impact de l’arrivée de la monnaie mais aussi la quête de l’or qui suivie. Viendra ensuite le temps du troc, j’inviterais les enfants dans un premier temps à réfléchir à ou aux objets, aux histoires qu’ils voudraient échanger. Dans l’espace que nous aurons créée, nous écouterons les histoires de ces objets, je leur conterais certaines histoires présentes sur le tapis de troc puis nous troquerons. Enfin, nous élaborons ensemble un jeu, un mélange entre le jeu de memory et celui-ci du domino à partir des objets-histoires.
L’objectif principal est cette idée de la circulation des objets et de leurs histoires, dans un partage entre différentes cultures et donc différents rapports à l’objet.
Il est prétexte à/pour faire émerger des histoires, des récits, des anecdotes sur le patrimoine matériel de chaque culture.