Territoire nuancé

Mon travail se traduit par des expériences, certaines inscrites dans le temps présent, celui de l’exposition, et d’autres relatives à un temps passé.

Ces expériences questionnent les matériaux et les techniques utilisés pour et dans la réalisation de mes installations ; leurs caractéristiques chimiques et physiques m’intéressent en tant que matières faisant œuvre. J’envisage le contexte d’exposition comme potentiel d’influence, d’évolution sur la sculpture, laissant libre place à l’accident. J’invite à observer le processus de création, une instabilité tangible inscrite par une fragilité, un déséquilibre rendant l’inaperçu perceptible.

Territoire nuancé est une recherche chromatique autour de la capacité tinctorial de la flore locale. Ma démarche consiste à parcourir et à découvrir le territoire, son paysage, sa végétation au gré des vagabondages et glanages le long des chemins, forêts et bocages de mon environnement proche. Après récolte, séchage puis extraction, j’en retire un ensemble de bains de couleurs sources d’images multiples. Ces derniers sont les matériaux naissants de mes encres de sérigraphie, teintures et aquarelles, eux-mêmes états d’une couleur comme matière à sculpter. Je projette également d’exploiter - respectueusement - les différentes qualités du processus tinctorial, de la plante fraîche jusqu’au marc issu de la décoction ; ils sont sujets à prendre forme comme éléments d’installation. Je tends à composer un ensemble de dispositifs plastiques autonomes donnant à voir le potentiel du végétal au travers du volume et de l’image abstraite, tel un herbier colorimétrique déplacé et déployé dans l’espace d’exposition.

Mon approche avec les enfants consiste au cours d’ateliers d’exploration, d’expérimentation puis de production à découvrir la végétation rurale ou urbaine qui les environne. Nous abordons la préservation de la flore par le respect du cycle et de l’épanouissement des végétaux lors de cueillettes sauvages. Je souhaite également sensibiliser chacun·e à la question du rebut et du déchet alimentaire par l’utilisation des épluchures pour la création de couleurs. Ils et elles ont également l’occasion de découvrir des techniques de production d’images variées - sérigraphie, aquarelle, teinture - mettant à contribution les couleurs extraites collectivement.

La couleur à ce pouvoir sur chacun de provoquer une sensation, de rêver un paysage tout en étant elle aussi sensible, sensible à son contexte. L’orange vif issu du curcuma - plante appartenant à la famille des caroténoïdes - s’effacera au bout de quelques jours d’exposition en plein soleil tandis que l’encre fabriquée à partir du chou rouge vire du bleu au rose, jusqu’au vert d’eau, selon l’acidité du papier sur lequel elle déposée. Autant de facteurs évolutifs qui prennent forme dans l'espace d'exposition, où la couleur s'évapore, se dissout, s'étend et laisse, le temps de son observation, voyager au travers des images qu'elle propose. C’est ce potentiel que la nature proche peu offrir et la façon dont elle peut devenir matière à peindre, teinter, ou sculpter que je souhaite approfondir et faire découvrir.