Mon projet fait suite à mon dernier travail traitant de la crise grecque pour lequel je me suis intéressée notamment aux vases antiques de l’époque hellénistique comme support de récits. Je souhaite développer cet intérêt nouveau pour la céramique et l’observation de sa transformation en objet souvenir de consommation touristique, cette fois pour un projet d’installation constituée de vases, sur le thème des Tikis océaniens (personnages représentant les dieux). Le Tiki a lui aussi subi une transformation consumériste entre 1920 et 1960 en donnant sont nom à une mode décorative américaine inspirée de la culture polynésienne. En m’intéressant à ces évolutions de formes ainsi qu’à leur potentiel narratif, je souhaite créer ma propre interprétation de vases qui seraient animés de récits peints et sculptés sur leurs parois. Des récipients grotesques et tragiques à la surface desquels seraient visibles leur histoire, leur circulation, leur participation à une économie marchande et culturelle. Le projet se fonde sur la sculpture et le dessin mais je le voudrais ouvert sur un décloisonnement des hiérarchies présentes en art. L’enjeu serait de partager avec les élèves, sur un mode ludique et empirique, l’idée que l’on peut détourner une forme ancienne issue de l’art dit populaire, afin de l’utiliser comme support narratif pour se raconter au présent.
Elsa Fauconnet est lauréate du Prix Création en cours 3e édition avec SuperBo(w)l-Bateau-cheval-cloche-ding-dong.
Ce projet renoue avec l'absurdité mélancolique qu’exhale notre société aujourd’hui, avec la multiplication des objets traditionnels porteurs de sens transformés en objets de consommation, telles les orchidées ou les Acropoles vendues par millier aux touristes que l’on retrouve dans mes projets précédant. Mon propos s’attache cette fois au phénomène Tiki des années 50, à travers lequel l’Américain qui a accédé au confort moderne éprouve cependant le besoin de fantasmer les mers du sud en élaborant une imagerie de divertissement s'inspirant du Tiki océanien, personnage mythique qui engendra les êtres humains. Les Tikis, figures en pierre ou en bois levées, au fondement incarnaient le lien avec le passé en étant un support pour recevoir l’âme des ancêtres. Régurgité par la culture consumériste moderne, il se trouve littéralement vidé de son sens sacré pour ne garder que son enveloppe graphique et devenir un contenant creux, un mug qui accueille des goulées de cocktail pour s’enivrer.
S'inspirant de cette mode au cours de laquelle le dieu Tiki créateur devient la divinité des « loisirs », mon projet d’installation, réalisé avec un autre artiste plasticien, Antoine Liebaert, renoue avec l'absurdité mélancolique de ce phénomène. Un classique revisité du vaisselier des bars à cocktail
Tiki présentera de grands bols revêtant des figures mythologies grotesques propres à notre travail artistique ainsi qu’à nos sociétés. Le rêve de contrées plus ou moins lointaines flirte avec une forme de monstruosité dystopique. La réalité des événements de notre Histoire venant dévorer l’image attrayante de l’ailleurs fantasmé, pour former des objets qui évoquent toujours une genèse alimentée par l’évolution et la disparition des mondes où nous vivons.
Ainsi danses macabres, touristes égarés avec leurs selfies stick, puits à extraction de pétrole (énergie fossile), spéculation boursière, cimetière marin… ornent ces nouvelles interprétations du bol Tiki à cocktail. Plus le consommateur boit, plus il découvre les horreurs cachées sous le cocktail abyssal.
L’ensemble de vases constitués rejoindra une scénographie baroque, les disposant sur des monticules animés par des plateaux tournants. La mise en scène intégrera également dessins, diorama photographique et vidéos qui dévoileront un usage manuel et absurde de ces vases.
Ce travail va de pair avec une réflexion sur les arts premiers et ceux dits populaires. Il tente de renouer avec un usage de l’objet qui permet à l’homme d’être au monde et non plus d’avoir seulement une fonction attrayante et décorative.
Dans le cadre de ces recherches qui tendent à faire dialoguer des formes à travers des espaces-temps hétérogènes en d’étudiant leurs modalités de circulation et leur syncrétisme, il y a un sujet qui m’intéresse particulièrement aujourd’hui, dans l’art populaire : les épis de faîtage qui ornaient traditionnellement le sommet des habitations, tels des vases inversés et empilés. L’épi de faîtage me passionne car il conserve un rôle d’ornementation mais est aussi symbolique. On l’utilise en France dès le XIIIe siècle. D’abord en terre cuite puis en plomb et en faïence, il arbore des formes allant de la simple sphère aux animaux ou aux formes anthropomorphes, en passant par le pain de sucre, et les motifs floraux qui rappellent les rhizomes qu’on plante au sommet des toits de chaume pour les fixer. Ainsi ces édicules offrent une protection à la maison, au sens propre comme au sens figuré. L’épi de faîtage consolide le « chez soi » et prend des allures de totem en donnant des informations codifiées sur les habitants du logis.
Ainsi dressé au sommet, l’épi de faîtage renoue avec la tradition tikis des pierres ou bois levés sacrés qui protègent un lieu. Sa forme est aussi en lien avec les totems amérindiens qui accumulent des figures tout en gardant cette ressemblance avec la mode tiki américaine puisqu’ils font penser à une colonne constituée de vases empilés.
Il me semble ainsi enrichissant de travailler en développant ce support particulier qui est l’épi de faîtage pour les enfants, en les invitant dans le cadre d’un atelier à détourner l’usage et la forme de l’ornementation, pour se raconter eux-mêmes en créant leur propre totem en terre à modelé qui serait adossé sur un socle en forme de maison. Comme le dieu créateur il est ici question de fondations et, par-delà, de cette idée de se fonder soi-même.
La symbolique de la maison, du toit qui protège et qui permet de créer une identité sont souvent présents dans les dessins d’enfants. Leur proposer d’explorer la représentation de soi en choisissant l’assemblage des formes qui les représentent, un animal, une forme humaine, une étoile ou tout autre support me semble être un bon médium, spontanément accessible, pour saisir la richesse de l’expression plastique et s’en emparer.
L’usage de la terre et de la peinture rend la démarche ludique et permettra un rendu final des travaux réalisés en atelier vivant, animé et personnel. La partie documentation, qui peut être réalisée avec les enseignants, permettra de porter un regard positif sur les arts premiers et sur les arts populaires, pas toujours mis en avant, qui offrent cependant une ouverture sur le monde qui nous entoure, ainsi que sur la diversité des formes et des symboles.
Par ailleurs mon expérience de tournage, en faisant participer une classe de CM1 pour mon dernier projet sur les mythes grecs et sur la spéculation des tulipes, m’a convaincue que l’échange avec la créativité des enfants influence et enrichit mon travail. Par exemple j’ai intégré des formes de masques tulipes que les enfants avaient fabriqués à mes propres dessins au sein de l’installation. Ainsi en parallèle de ma recherche de création en cours, il serait pour moi enrichissant d’observer de quelle manière les enfants fabriquent cette sorte de totem autoportrait, gardien de leur mémoire, en se réappropriant aujourd'hui la forme populaire de l’épi de faîtage pour leur propre expression de soi.
Par le(s) artiste(s)