Sortez masqués !

En 2016 j’assiste à une performance de théâtre Balinais nommée Kecak Ramyama. Durant la représentation de ce spectacle à destinée touristique, je fais l’expérience inattendue d’un état de conscience modifié. En 2018 cette expérience devient le sujet de mon mémoire d’étude: Du rituel au spectacle touristique et vice-versa, qui obtient les félicitations du jury à l’ENSAD. J’y pose l’hypothèse selon laquelle ce serait la présence d’éléments formels universellement liés au rituel qui m’aurait permis de vivre cette expérience dans un contexte si particulier. Par la suite, mes recherches me mènent à vivre une autre expérience d’état modifié de conscience via une ‘‘descente aux tambours’’ guidée par une chamane. Elle nous propose de voyager entre ‘‘les mondes du dessus et les mondes du dessous’’, des mondes reliés au nôtre par un ‘‘arbre cosmique’’. La description de ces mondes aux prégnances visuelles et sonores étonnantes et diversifiées m’intrigue, et me conduit à m’intéresser aux représentions culturelles et cultuelles de ces mondes ‘‘invisibles’’, les mondes de l’au-delà. Je crée en 2019 une installation immersive présentant un récit pluri-sensoriel inspiré d'histoires de voyage dans l’Autre Monde au travers de laquelle je propose au visiteur-spectateur de faire l’expérience d’un état de conscience modifié. En 2022, c’est la confrontation avec la mort de ma mère qui me replonge dans ces recherches de manière plus intime et donne lieu à une série de dessins illustrant différentes modalités de traversées vers cet autre monde.

Dans nos sociétés occidentales contemporaines la mort est tabou et nous ne cessons de vouloir l’occulter, voir la transcender. Les nouvelles technologies - prothèses corporelles en tout genre - passent comme la clef de cette immortalité. Il y a un clivage entre le corps et l'esprit où la corporalité domine et l'âme est effacée. Nos esprits sont abreuvés d'images publicitaires et d'informations normatives qui ne laissent plus le temps de vagabonder, ce qui, couplé au développement d’une pensée matérialiste et individualisée, a renforcé ce qui me semble être une crise dans notre relation à l’Au-Delà. Comment alors s’échapper de ce monde, laisser aller notre imagination au développement d’un monde autre, issu de nos propres représentions ?

Ma démarche actuelle tend à explorer l’imaginaire de la mort aujourd’hui : un imaginaire autour duquel gravite un ensemble de concepts tels que le sacré, le rite et le rêve, ainsi que les éléments formels qui y sont associés. C’est au travers d’une pratique engageant l’espace - en lien avec mon statut de scénographe - que je souhaite les étudier et autour desquels j'aimerais expérimenter.

Le travail du masque sous une forme anthropozoomorphe - pour introduire la figure d’un être ambigu comme entité appartenant à plusieurs mondes (homme/animal et terrestre/céleste) et ayant le rôle de ‘‘passeur’’entre ces mondes - est l’une des thématiques qu’il me tient à cœur d’explorer.

C’est vers cet aspect en particulier que je souhaite m’orienter dans le cadre de la résidence de création en cours, via la thématique du carnaval - tradition encore très implantée dans les départements sélectionnés – et la figure de « l’homme sauvage » qui lui est associée. La figure de l’homme sauvage rattache l’homme à ses origines naturelles, et met en évidence le lien d’amour et haine qu’il entretient avec la Nature. Les rituels festifs et carnavalesques qui le mettent en scène et que Charle Fréger a photographié, exposent la volonté de l’homme de contrôler la nature (ces fêtes se tiennent généralement dans l’espoir de bonnes récoltes, de météo clémente ou de prévention des catastrophes naturelles ). Ainsi, nombreuses sont les parades qui montrent l’homme gagnant puis perdant le contrôle sur l’animal : les bêtes sauvages sont mises à mort mais elles ressuscitent toujours, en écho au cycle vie/mort de la nature. Mais aujourd'hui l'homme cherche à aller à l'encontre de ce cycle naturel et empreinte une direction telle que l'on se demande quelle résurrection sera possible.

Je me propose d’explorer cette thématique et les rites qui y sont liés par le biais d’atelier de confection de masques, de costumes et d’accessoires, en vue d’une parade performative menée par les élèves et d'expositions multiples.