Mon projet est d’écrire une bande dessinée dont le personnage principal serait un voyageur arrivé dans un lieu, lieu inspiré de celui de ma résidence dans le cadre du dispositif. Dans mon travail, le lieu est un moteur central de création. Le lieu dans ce qu’il a de familier, d’étrange, ce qu’on en sait, ce qu’on ignore et ce qu’on s’imagine. Une connaissance subjective d’un lieu est pour moi un déclencheur d’idées. Je vais mettre les enfants à contribution de mon processus, en leur posant des questions et en leur faisant faire des petites enquêtes sur la topographie et les personnages de leur commune, de manière à les rendre acteurs et les intégrer à ma démarche. Je veux leur montrer l’avancement de mon projet au fur et à mesure, et en même temps, dans une perspective d’échange, utiliser les temps de transmission pour les faire travailler autour de la bande dessinée avec comme leitmotivs le lieu, le fantastique, l’imaginaire.
Dans mon processus de création, je comble les lacunes de ma connaissance et de mon expérience avec des histoires qui empruntent au fantastique, à l’absurde, et qui amènent les personnages dans des aventures. En même temps, je fais référence au monde réel, à des villes européennes, et je m’inspire aussi d’évènements de ma vie pour que les relations entre les personnages soient touchantes et plausibles.
L’invention d’un lieu précède toujours pour moi l’écriture d’une histoire. Mes récits se déroulent dans et autour de lieux fictionnels, mais qu’on pourrait imaginer exister sur la planète: Krask, le désert du Krioûkhe, Linzburg, “une petite capitale”, la Lagonie…
Dans mes lectures, je cultive une affection particulière pour les récits d’aventures au cours desquels le personnage est amené à voyager loin.
J’ai élaboré pendant quelques jours un projet de voyage en Biélorussie, vite abandonné car trop compliqué... mais peu de temps après j’ai réalisé une courte bande dessinée: “le voyage vers Krask”. J’ai inventé le nom “Krask” mais je me référais en fait à une destination qui, dans mon imagination, pourrait exister en Biélorussie. Même chose pour la ville de “Linzburg”, c’est ce que je m’imaginais de l’Autriche avant d’y être allée. C’est ainsi que dans mes récits, les lieux qui constituent les décors viennent de ma vie, mais ils sont en dehors, dans les marges de ma connaissance du monde. L’image que j’ai d’un lieu, que je connais peu ou mal, est le support de mon écriture fictionnelle.
Robert Louis Stevenson le dit bien:
“Certains lieux parlent distinctement. Certains jardins humides appellent à grand cris un meurtre ; certaines vieilles maisons demandent à être hantées ; certaines côtes ne se dressent que pour des naufrages.”
( « À bâtons rompus sur le roman », 1882. )
Dans le récit que je projette d’écrire en ce moment, un étranger arrive dans un lieu qu’il ne connaît pas et découvre peu à peu que ce lieu est plein de secrets. Peut-être qu’il y a un trésor caché, dont tout-e-s les habitant-e-s connaissent l’existence? Peut-être que pendant la nuit, tout le monde se transforme en panthère. Ou alors le village pourrait être en fait un vaisseau spatial qui va se détacher de la terre pour rejoindre une autre planète. Le voyageur découvre peu à peu des secrets de cet ordre-là, presque sans faire exprès. Il se retrouve face à un dilemme: est-ce qu’il doit raconter à ses amis et sa famille ce qu’il a vraiment vu et vécu dans ce lieu, ou est-ce qu’il invente autre chose pour protéger le secret des habitant-e-s?
Au cours du travail avec les enfants, je souhaite partager avec eux ma manière de passer du lieu réel, que l’on connaît, à ce qu’on en ignore, pour ensuite imaginer ce qu’il peut contenir de fantastique, dans la perspective d’écrire une fiction. Ce passage, comme mon processus de travail, sera composé d’étapes de lecture, de découverte, d’expérimentations - avec la peinture par exemple - de création ludique, de réflexions, d’échanges, et me sera aussi très utile pour me procurer des informations - vraies, erronées, complètement subjectives ou inventées - sur le territoire de la résidence.
Par le(s) artiste(s)