Se faire tirer le portrait est un projet qui vise à questionner les représentations, à travers la réalisation de portraits en petits groupes. Nous réfléchirons ensemble à la composition de l’image de A à Z, en créant des tenues/costumes et des décors, en vue de rejouer une prise de vue type « photo de classe », mais comme un espace personnalisé par les enfants, à leur image.
La question de la représentation tient une place centrale dans mon travail. A la frontière entre le documentaire, le photo-journalisme, la photographie d’art et de mode, mais aussi la vidéo, je jongle entre les codes, ainsi qu’entre les techniques et protocoles de travail.
Je réalise avant tout des portraits, vidéo ou photographiques. Pour certaines de ces productions, je suis amenée à penser un décor, une mise en scène, parfois en collaboration avec des stylistes, make-up artists... J’ai commencé à m’intéresser à la photographie à travers la photo de mode, qui est, à mon sens, un type d’image très imprégnée de son temps. Ces photos dépeignent leur époque, mais aussi des questions de représentations évidentes, et ont longtemps érigé des canons de beauté. Chaque image, série de photos, est pensée de A à Z, au détail près. Au cours de mes études aux beaux-arts j’ai aussi été influencée par la photographie contemporaine, elle aussi, dans certains cas, pensée à l’avance, composée.
C’est pourquoi, depuis plusieurs années, je réalise des portraits à travers lesquels je tente d’interroger des questions qui se lient au reste de mon travail : la notion d’identité, culturelle, de genre, métissée, parfois hybride.
J’aime l’idée de dépeindre une nouvelle communauté, témoignant d’histoires diverses, souvent liées par un parcours fait d’exil.
La mode qui l’accompagne est pour moi porteuse de valeurs culturelles et d’expression de caractères alors mis en lumière.
Le portrait dans son ensemble, regroupant modèle, vêtement et décor, devient alors vecteur d’affirmation d’une personnalité, de la façon dont on se représente au monde.
J’aimerais proposer un atelier qui mènerait à la création de portraits photos des enfants, qui seraient composés de décors et de tenues/costumes choisis ensemble. L’idée serait de « Se faire tirer le portrait » mutuellement, tout en imaginant la construction de l’image : de la disposition des sujets à photographier jusqu’à celle du décor. J’aimerais qu’ils.elles imaginent un décor qui leur ressemble, à leur image, fait de leurs univers respectifs, des choses qu’ils.elles aiment, qui sont issues de leur imaginaire collectif et personnel. J’aimerais laisser une grande place à la pluralité des décors possibles, pouvant allier imaginaires et trivialité, kitsch, objets issus de la culture mainstream.
Je me rappelle un projet réalisé par mon école primaire, qui consistait à nous faire dessiner un autoportrait. Tous les dessins étaient mis en commun et étaient ensuite sérigraphiés sur des torchons de cuisine, que nous emportions chez nous.
J’aimerais donc à mon tour proposer aux enfants de faire leur autoportrait par petits groupes. Le point de départ serait de leur demander de rapporter un objet qui leur plait et/ou qui les représente, qui pourrait être n’importe quoi. J’ai souvent eu l’occasion de participer à des workshops, où, lors de la première journée, cet exercice était mis en place, et j’ai constaté qu’il était révélateur de beaucoup de personnalités, et créateur de liens.
A partir de ces objets choisis par les enfants, nous pourrions commencer à réfléchir ensemble aux groupes de travail, ce qui permettrait une mise en commun des intérêts et des personnalités de chacun.e, créant alors une dynamique collective.
Chacun.e pourrait alors définir son propre rôle dans l’image, tout en veillant à ne pas créer de système de hiérarchie entre elles.eux. Nous pourrons donc définir des costumes/tenues à créer ainsi que des décors, afin de personnaliser l’espace de l’image.
A travers cet atelier, j’aimerais amener les enfants vers un questionnement autour de la représentation de soi, de leur personnalité, de leur époque. J’aimerais exacerber le procédé de la photo de classe, en le rendant plus créatif, moins « formel », et en mettant les enfants elles.eux-même au centre de leur propre représentation.
Cet atelier serait l’occasion de rendre compte de mon intérêt envers les enjeux du portrait comme outil autobiographique, comme souvenir d’une époque, d’une génération, mais aussi comme documentation, archive. Lorsqu’on devient adulte, en rouvrant les vieux albums photos on peut tomber sur des photos de classe et autres souvenirs de notre enfance. Ces images viennent raconter notre vécu mais à travers une dimension fictionnelle, en fonction de leur disposition, des « chapitres » créés, mais aussi des commentaires qui peuvent y être ajoutés. Elles tiennent une place particulièrement clef dans ma vision de la transmission familiale et culturelle, puisqu’elles ont le rôle d’archives, permettent de ne pas oublier, et à l’histoire d’être retracée.
On peut aussi penser l’école comme une communauté extra-familiale dans laquelle nous évoluons chaque jour, pendant plusieurs années, et dont il est intéressant de dresser le portrait.
Par ailleurs, à une époque où les images affluent dans notre quotidien, il me semble que les modèles auxquel.les s’identifier ne sont pas encore assez multiples. C’est pourquoi j’aimerais mettre en avant la pluralité des identités de chacun.e, afin d’être le plus représentatif.ves possible.
Créer sa propre image est aussi un moyen de mettre en avant sa créativité, d’une manière qui ne nous est pas forcément habituelle. Si la pratique du selfie comme autoportrait leur est peut-être déjà familière, il me semble intéressant de retourner ce processus dans une dimension créative, et collective, pensant également l’image comme pouvant être un long processus de création.
Par ailleurs, tout au long de l'histoire, à travers de nombreuses oeuvres telles que les Portraits du Fayoum ou encore de la Renaissance, le portrait n'a cessé de façonner notre propre appréhension du soi, le reflet de l'âme et la figure du nouvel individu.
Pour citer Rineke Dijkstra : « Les enfants m’intéressent tout particulièrement parce qu’ils n’ont pas encore conscience d’eux-mêmes, ils ne ressentent pas encore de gêne (…) ».
Leur demander une auto-représentation me semble donc un moyen particulièrement intéressant d’explorer ce phénomène, tout en gardant une bienveillance évidente vis-à-vis de ce qu’ils.elles ne veulent pas mettre en scène.
J’aimerais commencer par présenter aux enfants le travail d’artistes pratiquant la photographie tels que Pierre & Gilles, Hassan Hajjaj Larrache, ou encore Seydou Keïta. Ensuite ils.elles pourront commencer à réfléchir la composition de l’image à l’aide de dessins préparatoires et de collages. Enfin, nous pourront passer à la phase d’installation des décors et de prise de vue.
L’idéal serait que les enfants aient un rôle à jouer dans la prise de vue finale. Dans la mesure du possible, nous pourrions faire des binômes de groupes qui se prennent mutuellement en photo. J’espère que nous pourrons ensuite exposer ces photographies au sein de l’école et les regrouper dans un format que chaque enfant pourra emporter chez lui.