Projet Pink est une exploration de notre relation affective aux icônes féminines dans la culture pop. Nourri par des témoignages et des ateliers de co-création avec des amateur.e.s, Projet Pink est un étrange cabaret sans virtuosité où se déploient des tentatives d'incarnation et des velléités de déconstruction. Quatre personnages fantaisistes partent en quête du sens de la féminité et de la célébrité. C'est quoi, être fan ? Peut on se prendre pour des stars ? De quoi est faite notre boule à facettes intérieure ?
Durant la résidence avec les enfants, nous travaillerons la création de personnages à partir des modèles fictifs ou réels qui les inspirent, en se racontant et en se transformant au plateau. Par des protocoles d'écriture et d'improvisation, nous nous prendrons au jeu de la réinvention de soi, afin de mieux chercher ce qui, derrière les écrans et les paillettes, fait notre singularité.
C'est drôle comme une icône peut nous être intime. C'est en partant de ce constat que j'ai conçu Projet Pink, une exploration théâtrale et collaborative des icônes féminines dans la culture pop, avec la compagnie 1% artistique. Elle prendra la forme d'un cabaret dégenré tout public, dans lequel quatre personnages utilisent l'art du drag pour se réapproprier les mythes féminins populaires, entre hommage et subversion. Pinkessa (Garance Bonotto), Missy Pipi (Mona Abousaïd), Error 404 (Lucas Rahon) ainsi que Totina Lamür (Martin Nadal) farfouilleront dans notre boule à facettes intérieure.
Projet Pink s'appuie sur un processus participatif, à partir d'une première résidence avec des habitant.es du quartier du Chemin Vert à Caen, sous la forme d'ateliers de création de personnage à partir de leurs icônes féminines. Ces ateliers seront réalisés à partir de protocoles précis, dans une logique d’expérimentation collective et non d'efficacité. Ecriture, transformation, chant, expression corporelle et improvisations : autant d’outils performatifs ou narratifs pour mieux approcher les stars de façon ludique, d'abord dans des tentatives d'incarnation puis dans une initiation à la création de personnage. Ensuite, c'est à la Factorie – Maison de la Poésie (Val-de-Reuil) que nous serons en résidence en mars 2021 afin de donner naissance à une toute première étape de Projet Pink par l'écriture de plateau.
Via le dispositif Création en cours, je souhaite partager avec les enfants un processus de recherche et de création qui puisse valoriser leur sensibilité, tout en nous laissant bousculer par leur regard. A partir de leurs expériences et préoccupations, nous chercherons ensemble ce qui, derrière les écrans et les paillettes, fait notre singularité. Projet Pink est une création qui cherche à créer du lien intergénérationnel autour d'une thématique universelle : cela n'aurait pas de sens sans s'intéresser à ce qui anime la nouvelle génération, et à celles et ceux qui nourrissent leur imaginaire, qu'il s'agisse de Greta Thunberg, Ladybug ou Aya Nakamura. Car la force de l'icône, au delà de sa dimension spectaculaire et marchande, c'est bien d'inspirer.
La co-création avec les enfants se fera en trois temps principaux : un travail de dramaturgie et d'écriture pour réfléchir ensemble à ce qu'est « être fan », des tentatives d'incarnation à partir de leurs icônes (masculines ou féminines) où l'imitation vise surtout à révéler la singularité de l'interprète, et enfin un processus de création de personnages pour jouer à se transformer et se réinventer au-delà des stéréotypes. Cette recherche donnera lieu à une forme à part entière qui sera présentée aux parents et à la communauté scolaire. Je souhaite que les voix des enfants puissent également habiter notre création : ces deux formes se nourriront ainsi mutuellement, dépassant l'idée unilatérale de « transmission ».
Projet Pink se construit à partir d'outils pluridisciplinaires : l'écriture, la danse, l'improvisation mais aussi l'art du drag (que Garance Bonotto et Lucas Rahon pratiquent) qui permet d'entrer dans le jeu à partir de la caractérisation extérieure : costume, maquillage et expression corporelle. Je n'aborde pas ces outils comme des savoir-faire préétablis, car Projet Pink n'est pas une recherche de virtuosité ou de vraisemblance, mais une exploration scénique à la fois intime et collective. Notre matériau est vivant : il s'agit des souvenirs et des rêves des comédien.ne.s et des participant.e.s rencontrées. C'est une autre façon d'amener l'histoire sur un plateau, puisque nous nous plaçons du côté du sensible face aux grands récits. La dimension participative du processus sera renouvelée dans la version finale de Projet Pink : nous réfléchissons à un dispositif qui rende possible une certaine horizontalité dans le rapport entre la scène et la salle, d'où notre intérêt pour le format du cabaret.
Cette horizontalité est au cœur du projet : en tant que matière créative, la culture pop implique un large public. Si nous nous intéressons spécifiquement à la célébrité, c'est parce qu'être fan est un motif contemporain universel : tout le monde a déjà eu un modèle célèbre, qu'il s'agisse simplement d'admiration, d'inspiration ou d'un véritable culte. Néanmoins, notre approche des icônes féminines du 20ème et du 21ème siècle n'est pas biographique ni commémorative. Nous nous intéressons moins à la production qu'à la réception de ces images, et à la façon dont nous pouvons nous en saisir artistiquement, pour mieux se les réapproprier, les détourner, proposer des contre-discours. Ces icônes sont, pour reprendre les mots de René Char, « un héritage sans testament » : à nous d'inventer notre propre Panthéon de superstars.
Nous posons un regard à la fois tendre et critique sur la culture pop, trop souvent ignorée des plateaux. Elle appartient à tous.tes et personne n'y échappe. Elle met en branle le pouvoir de l'imaginaire. Elle nous accompagne dans la construction de notre identité et conditionne nos représentations. Elle nous impose souvent des rôles genrés normés et des idéaux inatteignables. Ainsi, s'intéresser aux icônes féminines en particulier a pour double objectif de revaloriser l'histoire des femmes et les différents types de féminités, ainsi que de déconstruire les stéréotypes. Nous parlons de « féminité » non pas d'un point de vue essentialiste, mais dans sa dimension de performance, culturelle et politique : nous ne nous emploierons pas à renforcer la binarité entre féminité et masculinité, mais à faire dialoguer différentes relations au genre, à la fois spectaculaires et intimes, nostalgiques et politiques, contraignantes et libératrices.
Le théâtre nous semble être un espace propice pour renouveler notre relation aux étoiles.