Se situant entre architecture, arts et danse, « pour un conservatoire du vivant » projette l'installation d'une architecture ludique - en lieu et place de la cour minérale de l'école - pour encourager sa re-végétalisation. Élèves, familles et équipes pédagogiques sont invité.es à prendre part au processus de conception et de construction de ce nouvel espace. Architecte et maçonne "terre crue", Aline Caretti met ses savoir-faire à disposition de l'école pour expérimenter la transformation de l'espace du dessin à l'usage. Quatre séquences collaboratives rythment la vie du chantier et donnent à voir les multiples facettes de la pratique architecturale : celui-ci danse pour battre le sol, celle-ci façonne un mur en terre, ceux-ci dressent des tiges de bambou en toiture et celles-là plantent des essences florales qui peupleront bientôt le nouveau conservatoire du vivant. En Guadeloupe, Aline part à la découverte d'un milieu, de ses rituels collectifs et de ses cultures constructives locales.
Cette proposition prend pour ancrage un hors-champ - un regard porté sur l’architecture au détour de la danse. J’entame un processus de recherche qui s’intitule “Chorégraphier l’acte de construire : gestes, savoirs et mouvements collectifs inhérents à la construction en terre crue”. Ma recherche se propose d’examiner les gestes, mouvements et rituels collectifs inhérents à la transformation matérielle et conceptuelle de l’espace, depuis le champ des pratiques chorégraphiques. Je m’intéresse à la manière dont la matière en transformation interfère avec notre rapport au territoire, au corps, au groupe.
« être terre » est le versant artistique de cette recherche - une collection d’œuvres performatives. Il expérimente des formes chorégraphiques pour la production d’objets architecturaux en terre crue. S’insérant en des milieux précis, avec des individus et groupes singuliers, au contact d’une matière extraite localement et donc propre à un milieu géologique, « être terre » s’envisage comme une performance de l’acte de construire. La proposition développe une partition chorégraphique de gestes inhérents à la construction en terre. Là où l’architecture idolâtre l’objet fini, « être terre » se place du côté de l’expérience humaine. Ce n’est pas l’objet produit - aux usages ou fonctions à venir, qui fait œuvre mais bel et bien le processus chorégraphié de transformation de la matière d’un état de ressource à un état d’artefact. À chaque itération, « être terre » s’étoffe en un corpus d’expériences plurielles - support d’analyse de la recherche.
Se situant entre architecture, arts et danse, « pour un conservatoire du vivant » projette l’installation d’une architecture ludique - en lieu et place de la cour minérale de l’école - pour encourager sa re-végétalisation. Élèves, familles et équipes pédagogiques sont invité.es à prendre part au processus de conception et de construction de ce nouvel espace. Le terme de conservatoire revêt ici une double signification. Dans le champ de la danse, le conservatoire est un lieu de transmission et de création accessible dés l'enfance. En botanique, le conservatoire est un espace dédié à la conservation des plantes pendant les périodes d’hiver. De la danse au vivant, que souhaitons-nous conserver de notre époque ? À quoi pourrait servir ce « conservatoire du vivant » ? Et si l’on posait la question à des enfants. Qu’auraient-ils et elles envie de conserver, protéger, de garder en mémoire ? Objet architectural, le conservatoire du vivant est avant tout un processus ludique de transformation de l’espace. Par une approche sensible de la matière, des protocoles simples de conception collaborative et par la mise en situation de construction à échelle 1, le groupe-classe traverse la pratique architecturale et ses grandes phases d’opérations.
acte 1 : « al leur nevez »
Notre patrimoine architectural est gorgé de récits-témoins. Dans des pratiques de construction traditionnelles en Bretagne, lors de la construction d’une « nouvelle aire à battre », ami.es et voisin.es venaient prêter main forte au foyer bâtissant. À cette occasion, de grandes fêtes s’organisaient à l’emplacement même de l’aire à battre. Des danses - dont la traditionnelle « al leur nevez » - rythmaient la vie et le travail de la communauté agricole. On dansait pour tasser la terre argileuse humide. En la piétinant, l’argile formait un sol en terre battue capable d’accueillir les usages agricoles après les moissons (La Villemarqué, 1839). Cette danse représentait un rituel social majeur où hommes et femmes donnaient à voir leur vigueur à des fins de rencontre et de séduction (Hélias, 2013). Le premier acte fondateur de ce processus de transformation serait donc la création d’une aire en terre battue. L’espace délimité représenterait l’emprise du futur “conservatoire du vivant”. À la manière bretonne, les enfants d’une classe de CE1-CE2 seraient invité.es à imaginer des danses de piétinement : des danses à la fois animées pour les spectateurs mais aussi physiquement engagées afin de remplir la mission de “battre la terre” à coup de pieds. À l’issue d’une semaine d’expérimentations collectives, la classe de CE1-CE2 organiserait une grande fête pour l’ensemble de l’école. Espace de présentation des transformations à venir, espace de représentation des danses constructives inventées, espace de transmission de ces danses et chantier de construction d’un sol habitable. (Voir la suite de la présentation des quatre actes dans le calendrier ci-après).
Cette résidence offre un contexte propice au développement de ma posture d’architecte-pédagogue. Allier pratique et transmission est un format qui aujourd’hui encore sort des sentiers battus. Au-delà de la dichotomie conventionnelle entre conception et médiation, je considère la pratique architecturale simultanément comme une forme pédagogique. Ce fut d’ailleurs le sujet de mon projet de fin d’études qui s’intitule « L’aleaa : Atelier Lycéen Expérimental en Art et Architecture » (Lycée Carcouet, Nantes) - un travail de recherche-action qui s’est déployé en deux temps : d’abord, sur le terrain, par des interventions auprès des usagers du lycée, pour opérer une ré-appropriation du territoire par les élèves ; puis, par une travail de recherche et d’écriture aboutissant à une analyse anthropologique des modalités de l’être-en-groupe au sein du lycée (Guattari, 1989).
Diplômée du Bachelor en architecture de la Central Saint Martins de Londres (2012) et du Diplôme d’État d’Architecte de l’ENSA Nantes (2020), ma pratique architecturale se nourrit d’expériences situées, par des démarches collectives et transversales. Co-fondatrice du collectif PRJT (Aisne, Picardie), j’y développe mes premiers projets de médiation. En 2015, je rejoins La Collective - un groupement d’artistes et de professionnel.les de la culture, à Rennes. Nos actions favorisent l’émergence de communautés hétéroclites envisagées comme autant de laboratoires éphémères où questionner nos manières de faire société.
Au cours de mes études à l’ENSA Nantes, je rencontre un matériau de construction qui modifiera significativement ma pratique : la terre crue. Curieuse de découvrir des cultures constructives variées, je souhaite me rendre en Guadeloupe pour découvrir le patrimoine vernaculaire et les savoir-faire locaux. Saine, ludique et poétique, écologique et commune, la terre révèle en toute simplicité ses différents états. Du gisement au matériau, elle donne à voir le cheminement qui la transforme en une ressource architecturale. Elle est à la fois matière à construire et outil pédagogique.
Au sein de la résidence Création en cours, j’envisage que les individus et groupes s’engagent dans un processus triangulaire entre conception, construction et transmission. Un processus en cadavre exquis où les actions des élèves et d'autres collectifs se complètent et s’augmentent.