Et si Thomas More, Rabelais, Voltaire, Jules Verne et Calvino étaient vraiment allés en Utopie ? Et si à partir de leurs témoignages un duo d’artistes friandes de littérature et de reconstitution miniature, cherchait à réaliser le portrait-robot du paysage de l’Utopie sous la forme d’une maquette en volume ?
Nous mènerons une enquête loufoque et néanmoins métaphysique, sur les traces d’un lieu qui ne saurait exister que dans un imaginaire. Munissez-vous d’outils tels que des ciseaux, de la colle, des pinceaux et des matériaux comme du papier, de la peinture, mais surtout d’une caméra pour capter et archiver l’avancée des recherches, parce que l’investigation est plus importante que le résultat.
Une classe de CM1- CM2 nous accompagnera dans notre enquête. Amenés à suivre ces recherches pas à pas, ils découvriront de grands récits d’utopie qui ont traversé les époques et nous accompagneront dans la construction d’une maquette en volume du paysage utopique.
Portrait-Robot-Utopie est né de notre rencontre - l’une est metteuse en scène passionnée de littérature d’anticipation ; l’autre scénographe experte du maquettiste - avec l’envie partagée de se positionner en faveur d’autres mondes possibles par l’utilisation de la fiction, de l’imaginaire. Avec cette enquête, nous souhaitons briser une forme de rapport cynique et désabusé à l’utopie, qui pose en premier le « ce n’est pas possible », et ce faisant incite à l’inaction, au renoncement. Notre recherche sera la preuve que même si quelque chose est impossible, ça vaut le coup d’essayer. Que c’est déjà beaucoup de formuler un rêve, et que c’est énorme de s’y mettre pour le réaliser. En bref, que c’est l’enquête en elle-même qui est importante, non pas le résultat.
Notre but ? Découvrir le vrai paysage de l’utopie ! A quoi ressemble t-il ? Pour s’engager dans cette recherche épineuse, nous avons voulu emprunter le vocabulaire technique de l’enquête policière afin de créer un décalage loufoque, entre notre sujet et nos modes opératoires. Une enquête sur les traces d’un paysage impossible, d’un lieu qui ne saurait exister que dans l’imaginaire des écrivains - le lieu de nulle part, « Utopie ». Nous traquerons ce lieu comme s’il s’agissait d’une personne et que nous étions une équipe de détectives, nous tenterons d’en faire le portrait-robot d’après les témoignages que nous aurons recueillis dans les grands récits d’utopie issus de la littérature. Avec humour et joie, nous tenterons d’en réaliser la représentation la plus ressemblante possible sous la forme d’une maquette en volume qui s’étoffera de témoignage en témoignage.
Quand bien même aujourd’hui, dans la plupart des esprits, l’utopie sert à définir un projet dont la réalisation est impossible, une conception imaginaire notre duo ne se laissera pas si vite décourager. Car l’utopie au départ, c’est un lieu, un paysage, c’est le nom de l’île décrite par Thomas More en 1516 dans son livre « Utopia ». Or en grec, « utopia » peut signifier à la fois « aucun lieu » et « lieu du bonheur ». Et si depuis longtemps on avait un peu trop privilégié la première version ? Si le lieu du bonheur existait à quoi ressemblerait-il ? C’est tout l’objet de cette enquête entre littérature et reconstitution en volume.
Notre recherche se déploiera à travers trois axes principaux, l’axe littéraire avec les témoignages, l’axe plastique avec la reconstitution en maquette ; enfin l’axe visuel, avec la documentation filmique de la recherche.
Outil d’enquête n°1 : le témoignage
L’axe premier sera celui de la collecte des témoignages dans les grandes utopies littéraires qui ont traversé l’histoire. Il s’agira de frapper à pas mal de portes pour questionner les œuvres, d’interroger les pages et d’en conserver uniquement ce qui concerne notre enquête, c’est-à-dire les éléments qui vont nous permettre de reconstituer le lieu utopique. L’originalité de notre démarche est d’effectuer un déplacement entre le champ fictionnel et documentaire, faisant entrer dans le domaine du possible des œuvres littéraires. Puisque les grands récits d’utopie sont aussi des récits de voyages lointains, il nous suffira alors de croire en cet ailleurs pour débuter notre enquête.
Nous avons d’ores et déjà amorcé les investigations en sélectionnant un premier corpus de texte qui recèlent de trésors de témoignages. Nos premières pistes s’échelonnent du XVIème siècle avec L’utopie de Thomas More, jusqu’au XXème avec Les villes invisibles d’Italo Calvino (liste complète au point n°3). Nous procéderons de façon méthodique donc chronologique et à chaque témoignage correspondra un travail de reconstitution en miniature qui viendra modifier le précédent portrait robot.
Outil d’enquête n°2 : la reconstitution
Le deuxième axe, la réalisation matérielle et concrète des descriptions - dite phase de reconstitution - se fera d’après les témoignages recueillis dans les œuvres. Pour cette étape, nous avons choisi de nous servir de la technique du diorama, mode de reconstitution d'une scène (historique, naturaliste, géologique) en volume construit plan par plan. Tout comme le portrait robot se construit par l’addition de différents calques représentant le nez, la bouche, les yeux, le menton d’un visage, le diorama se construit par l’addition de différents plans en deux et trois dimensions représentant la topographie, les principaux édifices, le paysage naturel, la densité urbaine d’un lieu etc. Chaque témoignage nous permettra de construire de nouveaux plans que nous pourrons ensuite additionner, intercaler, superposer, remplacer. Ici, le diorama sera envisagé comme un outil réflexif en lui-même. En tentant d’y faire cohabiter de multiples descriptions de lieux utopiques, il devient terrain d’expérimentation à échelle miniature, pour rechercher la scène commune du lieu utopique. Durant cette investigation nous procéderons par addition et chaque nouvel élément qu’apporterait un témoignage viendra enrichir notre maquette, qui de fait sera objet de transformations et de métamorphoses incessantes. C’est enfin cette plasticité du paysage utopique, résultat de nos trouvailles, de nos hypothèses, de nos doutes, de nos décisions, que nous souhaiterions capter en réalisant un film documentant notre travail.
Outil d’enquête n°3 : le rapport
Le film, dernier axe de notre recherche, vise à rendre compte de notre processus de travail à travers un moyen métrage ludique et décalé. Nous souhaiterions faire de notre recherche l’objet même du film qui suivrait notre aventure depuis ses débuts, intégrant à la fois notre travail plastique en train de se faire et nos rencontres et échanges avec les élèves de la classe. Ce film documentant l’expérience Création en cours fera l’objet d’un montage à la suite de notre résidence et sa présentation dans les mois qui suivront à l’école sera une occasion de retrouvailles avec les élèves et les professeurs qui auront fait partie de cette utopie en actes.
Se lancer dans Portrait Robot Utopie, c’est notre réponse à la question : comment faire vivre l’utopie dans nos pratiques artistiques ? C’est aussi un pied de nez à la « Tyrannie de la réalité », dénoncée par Mona Chollet ; l’autrice critique ceux pour qui « la réalité constitue la valeur étalon » au nom de laquelle « on condamne résolument l’imaginaire et le rêve, perçus comme des enfantillages, comme des symptômes d’un désir de fuite, d’une incapacité à « affronter la vie ». » Certes, nous allons nous lancer dans un projet impossible : produire une représentation unifiée du lieu utopique, mais cela ne nous empêchera pas de nous y mettre ; car l’important pour notre duo c’est de croire à l’impossible, une qualité que l’on attribue souvent à l’enfance, celle de l’innocence, que nous tentons de cultiver dans notre vie et dans notre travail.
Par le(s) artiste(s)