Méthodologie du sensible

Tout projet créatif vient de quelque part et le plus difficile est d'en connaitre la provenance. L’identification au territoire est essentielle dans le développement de mes projets. Ayant déménagé et habité dans de nombreuses villes, la nécessité de m’approprier un nouvel environnement m’est importante.

Très observatrice avant de me lancer dans un nouvel environnement, je prends un grand plaisir à découvrir de nouveaux espaces et rencontrer les habitants de ces derniers. Déambuler et observer avant même de rentrer en interaction avec ces nouveaux mondes sont une manière de me les approprier.

Suite à un premier cursus artistique à Rennes et un semestre en Roumanie, me voilà aujourd’hui arrivée à Saint-Étienne. Nouvelle école, nouvelles rencontres, nouvelle ville et nouveaux horizons. J’aime cet endroit, la mixité stéphanoise, l’ambiance de sa ville et les paysages qui l’entourent. Je choisi d’y implanter mon projet de diplôme et décide alors, sans vraiment savoir où je vais, de partir en exploration… À la manière du créateur Simon Porte Jacquemus qui exprime  au travers de ses créations l'attachement à sa terre natale, je souhaite retranscrire une atmosphère.

Méthodologie du sensible est un projet permettant d’exprimer nos émotions, inventer des scénarios, s’approprier et représenter son environnement par la création.

Pour mon diplôme de fin d’études en design d’objet, j’ai mis en place un système d’analyse du réel. Cette méthode d’exploration in-situ permettant la captation d’une atmosphère spécifique à un lieu a été une partie très importante dans l’aboutissement de ce projet. Je me suis immergée dans cet environnement, en m’y promenant, en le photographiant, en observant, écoutant et prélevant des fragments d’objets. Je l’ai parcouru, sous le soleil, la pluie, tôt ou tard dans la journée pour avoir plusieurs visions d’un seul et même endroit.

J’ai emprunté à ce lieu ce qu’il m’offrait graphiquement et y ai développé un répertoire formel inspiré par son végétal et sa lumière. J'en ai extrait une gamme de couleur précise en cohérence avec l'espace qui m’a, par la suite, guidée dans la création d’une série de mobilier urbain. En parallèle, cela m’a permis d’analyser et comprendre les différents potentiels et contraintes de ces espaces notamment le comportement de ses usagers. 

J’ai compris par cette méthode de travail l’importance du processus de création jusqu’au résultat final du projet. C’est un exercice où l'individu, confronté à un environnement précis, réalise une enquête de terrain qui lui permet de s'identifier à un territoire grâce à ses outils (dessins, photographies, enregistrement, vidéo, déambulation, etc.). 

Ivan Le Pays est un artiste, illustrateur et tatoueur français dont la démarche m’inspire beaucoup. Il s’approprie des bribes de paysages, des voyages et les retranscrit graphiquement. Dans sa biographie, sa démarche est exposée : «Passant du design industriel au monde de l’art, de la calligraphie au tatouage, de la photographie au dessin, il  poursuit un processus créatif qu’il exprime sur différents supports, utilisant la ligne comme clef de voûte de ses travaux » (https://ivanlepays.com). Le travail par la ligne est le fil rouge d’Ivan Le Pays, j'essaie de développer le mien, tout comme lui, en me positionnant à la frontière entre le croquis et la photographie.

Je souhaite approfondir cette méthodologie et l’expérimenter dans de nouveaux domaines. Durant cette résidence, je vais partager mes connaissances sur le moyen de représenter un territoire, tout en utilisant les savoir-faire ancestraux que nous offre la région d’Auvergne-Rhône-Alpes : le textile. Il permet une multitude d’expériences sensorielles, par son toucher, sa transparence, sa fluidité ou encore sa prise au vent invitant au rêve.

C’est pourquoi je propose aux enfants de devenir des designers-explorateurs et de les accompagner en immersion dans leur propre environnement (de l’échelle de l’école, jusqu'à celle de la région). Nous l'appréhenderons de manière créative et ludique, avec leurs outils que nous définirons ensemble.

Tels des investigateurs de terrain, ils vont s’équiper collectivement de carnet, papiers, crayons, feutres, fusain, pochettes et tout autre matériel nécessaire pour arpenter, trouver et collecter des objets, des formes, des textures, des couleurs. Ces trésors donneront naissance à un carnet de bord propre à chacun. 

Je souhaite, parallèlement à ce travail de collecte, effectuer une carte sensible du territoire d’exploration, que nous apprendrons à déchiffrer ensemble ou chaque designer-explorateur pourra partager ses expériences. Elle rassemblera et inventoriera les recherches de chacun en un objet commun. La photographie et l’illustration m’accompagneront tout le long du projet comme des outils de documentation et de recherche qui permettront également aux enfants de prendre du recul sur leur propre expérience.

Le carnet de bord permettra de conserver et collectionner leurs trésors, et sera un support pour échanger tous ensemble sur les choix de leurs récoltes personnelles et le scénario qu’ils auront créé à partir de ces éléments.

Dans un second temps, nous passerons à la mise en place du projet. Les explorateurs décortiqueront les carnets et tenteront de définir l’affect qu’ils apportent à chacun des trésors. Ils choisiront alors les plus pertinents d’entre eux par leur forme ou leur texture par exemple. Leur bibliothèque graphique se constituera par la sélection de fragments, détails, en les illustrant, décalquant, avec l’aide de tampons, ou encore sous forme de collages. Elle est le lien entre cette étape d’immersion et de collecte et la première approche créative.

De cette bibliothèque, chacun constituera son motif, qui, une fois retranscrit en 2D, sera associé au textile. Une étoffe sera alors créée par chaque enfant. J’imagine également une étoffe commune répertoriant l’intégralité des motifs retenus par les élèves. L’objectif est de créer une collection d'étoffes-sensibles.

Utiliser un processus de création tout en exploitant le savoir-faire du territoire, sensibilise au principe du circuit court. S’associer à des ateliers d’impressions de la région permettra aux élèves de découvrir le potentiel du savoir-faire local. L’histoire du textile est ancrée dans le territoire Auvergne-Rhône-Alpes et va me permettre de faire découvrir (ou redécouvrir) aux enfants la richesse créative que génère leur environnement.

Je souhaite partager ma démarche de designer, qui consiste à partir d’une enquête de terrain, pour ensuite l’illustrer, la conceptualiser et en créer un objet. Je les invite dans mon univers d’exploration et leur propose une ouverture du champ des possibles vers une méthodologie de création. Je leur donne ainsi des clés pour accéder à l’interprétation d’un lieu et raconter leur propre histoire.