Nous sommes en 2034, l’interféromètre LISA va être lancé en orbite autour de la Terre afin de détecter des ondes gravitationnelles issues du primo-univers.
Comme pour les sondes Voyager en 1977, la NASA décide de renvoyer une « bouteille à la mer interstellaire », le Lisa Golden Record, destinée à d’éventuelles formes de vie extraterrestre.
Les enfants infiltrent le comité consultatif pour en déterminer le contenu. C’est à partir de ce scénario que le jeu de rôle s’installe.
Qui dit infiltration, dit brouillage des pistes. On vient avant tout questionner la notion d’universalité d’un tel projet.
Inventer un monde, celui de 2034, tel qu’il pourrait être perçu par bribes, fragments, dont la reconstitution compose un récit fictionnel d’anticipation.
Le projet réunit différentes formes comme « Les sons de la Terre », « Les salutations à l’univers », des images de la vie terrestre, ainsi que des musiques.
Elles seront réunies dans une édition coffret, prête à décoller avec LISA.
« La banlieue influence Paname. Paname influence le monde. » Médine - Grand Paris
L’imaginaire de la conquête spatiale, depuis les années soixante-dix a beaucoup évolué, tout en préservant la magie et la fascination qui l’entoure. Celle-ci se précise quelque peu aujourd’hui avec des expériences qui tendent à rendre l’univers plus accessible : l’envoi d’une voiture Tesla dans l’espace, le lancement de l’album Loin du monde de Jul, ou encore la campagne de publicité d’un site de rencontre pour y envoyer des lettres d’amour.
Malgré ces coups médiatiques, l’occupation de l’espace promet d’être encore réservée à une élite financière puissante, dont les intérêts de colonisation sont avant tout économiques. C’est déjà dans cette perspective qu’en 1977, les sondes Voyager I et II sont lancées pour défier les limites de notre univers connu, embarquant à leur bord le Voyager Golden Record. Ce CD est en format de vinyle doré et gravé. Il forme une sorte de capsule temporelle, destinée à communiquer une histoire de notre monde aux extraterrestres. La question se pose alors de savoir ce qui peut représenter la vie sur Terre, avec l’infini des disparités qu’on lui connaît.
Le Voyager Golden Record sera donc notre objet d’étude tout au long de cette résidence. Il est gravé de 116 images et illustrations, d’une quarantaine de sons enregistrés sur Terre censés représenter son environnement sonore, de salutations en cinquante-cinq langues et d’une trentaine de musiques. Lorsqu’on regarde son contenu aujourd’hui (libre d’accès sur le site de la NASA), on ne peut que constater certains aspects problématiques du projet. Les images, notamment, de part leur posture encore colonialiste et américano-centrée. Les sons et les salutations à l’univers relèvent quant à eux une interrogation sur la pertinence de la sélection sonore et le choix des idiomes parlés. S’il était découvert aujourd’hui, ce n’est qu’un aperçu de la vie sur Terre vu par une cohorte de scientifique blanche et Américaine des années soixante-dix qui serait retenu. L’ancien président des États-Unis, Jimmy Carter, se permet même de prendre la parole au nom de toute l’humanité. On peut d’ailleurs se demander ce que représentent les notions d’humanité et universalité aujourd’hui, ou bien plutôt même, l’allure qu’elles prendront en 2034.
Ce projet poursuit l’objectif de réaliser un remake, sous la forme d’une édition composée d’un vinyle (format CD pour les enfants), d’un livret, et de tirages photographiques. Il en reprendra donc les grandes étapes de construction. Il s’agit, dans un premier temps, d’appréhender cet objet avec les enfants et de se familiariser avec son contenu. Pour chaque catégorie, les enfants proposeront leur réponse pour 2034. Pour ma part, j’ai déjà pu expérimenter le mécanisme du remake par plusieurs re-enactment d’oeuvres. L’idée n’est donc pas de plagier ou de recopier, mais bien de s’approprier un processus de fabrication et de réflexion pour en produire une version personnelle. Ce sera l’occasion de nous questionner sur la puissance des éléments culturels comme symboles de la vie sur Terre, et leur potentiel à nous rendre humain·es .
Pourquoi 2034 ?
L’interféromètre LISA est un élément de narration présent dans une nouvelle du recueil L’horizon des événements* dont je poursuis actuellement l’écriture. Le livre prend la forme d’un journal pseudo-scientifique consignant les activités de divers personnages évoluant dans un même monde. Comme des spots braqués sur diverses actions, le temps de la narration est décomposé. Le tout constitue un univers de récits d’anticipation qui entrent en résonance pour dessiner les contours d’une société télescopée. Dans la nouvelle H., le personnage principal, Ache, est ainsi en charge de noter l’activité de détection LISA. Le Laser Interferometer Space Antenna promet réellement d’être envoyé par la NASA dans l’espace à l’horizon 2034. Il devra permettre de détecter de potentielles ondes gravitationnelles venues des confins de l’univers, à l’époque de sa primo-existence.
L’horizon, justement, est une notion omniprésente. Le titre reprend une terminologie scientifique. Dans le cas de la surface d'un trou noir, il s’agit du point de non-retour au-delà duquel rien ne peut sortir. Par extension, il s'agit de la séparation pour un observateur·rice entre la région de l'espace-temps d'où aucun signal ne peut lui parvenir et celle où il·elle se trouve. Ce recueil se présente comme un corpus de nouvelles qui pourraient toutes être « le début de quelque chose », aussi bien dans la narration d’un récit d’ensemble, que dans la possibilité d’en extraire des éléments pour les faire dialoguer avec le réel. De la même façon qu’avec ce projet pour Création en cours, j’ai la volonté d’en faire découler d’autres formes participatives (Je suis notamment en train de monter une chorale féminine pour une réalisation sonore autour du souffle, de la con-spiration).
Je m’interroge en effet sur ce que l’on fait « pour soi » - des pratiques publiques, et de notre rapport à la fiction que cela engage. La frontière entre ces deux notions, plutôt la charnière, est l’endroit du travail qui s’installera dans les différents ateliers. Je repense à la phrase de Jean Cocteau dans son Message à l’an 2000, tourné en 1962 « On ne peut pas reprocher à la jeunesse de s’amuser, parce qu’elle ne sait pas au juste ce qui a eu lieu et elle ne sait pas non plus dans quoi, vers quoi, elle s’engage ». Je propose donc aux enfants d’enfin participer à ce « grand récit » en imaginant leur futur 2034 et surtout la manière dont il devrait être perçu. Dix ans, c’est à la fois court et long. Dans cette temporalité, je laisse le groupe libre d’inventer les changements (technologiques, sociaux, écologiques) envisagés. Bien plus que de constituer une archive mémorielle de notre existence sur la Terre; ce projet se révèle avant tout un témoignage, un instantané documentaire de l’imagination des enfants quant à leur futur et de la façon dont ils·elles se le représentent. Ce qui est en jeu ici, c’est la capacité à fictionnaliser cette anticipation pour la transmettre.
Je souhaiterais que ce projet s'inscrive dans des territoires limitrophes de grandes villes. Ceux qu'on appelle les banlieues. J’ai moi-même grandi dans celle qu’on considère « sensible » puis, sans même changer de code postal, j’ai expérimenté celle qu’on dit « dortoir ». Ache vit d’ailleurs dans l’un de ces espaces péri-urbain. De ces territoires mis à la marge, leurs habitant·es en ont fait des endroits à forte identité et développé un sentiment d’appartenance jusqu’à en proclamer une forme d’indépendance. Comme dit dans la citation en introduction, je suis persuadée de l’influence culturelle que ces lieux exercent sur les autres régions. Convaincue alors, de la pertinence d’en proposer le regard pour que les vies extraterrestres comprennent ce qui se joue sur Terre.
Essonne
Par le(s) artiste(s)