Le projet Les Aubaines, lieu-dit, propose de réinvestir poétiquement ce qu'on appelle l'économie. Largement préemptée par les économistes, ces experts dont la parole est d’or, le sens du terme est pourtant plus vaste. Contraction des termes oikos (la maison, la famille, le domaine) et némein (distribuer, partager), l’économie est un fait de possession mais aussi la façon dont on partage cette possession, un mode de relation.
À travers la création d'un espace fictif, mental et physique, individuel et collectif, le projet explore les liens entre le texte, l'économie et l'art. Protéiforme, il prendra la forme finale d'une installation qui, en filigrane ouvrira sur la question de la valeur.
Les Aubaines, lieu-dit s'inscrit en résonance avec le travail de Juliette George qui opère, par le biais de l'écriture et dans une certaine économie de moyens, des déplacements humoristiques dans le cours institué des choses autoritaires.
Ma pratique artistique, développée à l'ENSP d'Arles et pendant cette année d'après-diplôme s'appuie principalement sur l'écriture et pose la question de la valeur. Repenser la mesure du mètre-étalon, réécrire poétiquement les vœux présidentiels, entamer un dialogue littéraire avec ma banquière, demander à une numérologue de lire l'avenir dans les chiffres de mon RIB, déspéculer... autant de moyens d'interroger en filigrane ce qui fait autorité (l'argent, la spéculation, le pouvoir politique, le système des mesures etc.). L'écriture, personnelle et drôle, me place dans une position assumée d'amateure et me permet de soulever les questions économiques et politiques fondamentales qui régissent les productions artistiques dans un monde dominé par le capitalisme marchand.
Grâce au temps de travail libre permis par Création en cours, je voudrais appuyer ces recherches.
Il s'agira de les déployer théoriquement (temps de lectures sur la généalogie de valeur, sur l'évolution du concept de production, de réflexion sur le statut précaire des artistes aujourd'hui (doc 1) et sur la place que pourrait y occuper l'écriture. Quels liens entre l'art, le récit et l'économie ? Comme le récit, l'économie repose sur la croyance, la transaction et la valeur. Si l'économie fluctue, au même titre que le cours du récit, l'écriture peut-elle donner des armes pour la repenser ?
Il s'agira aussi de développer ma recherche plastiquement. Les formes que je réalise sont encore très héritées d'un enseignement classique de l'image (au mur) et de l'influence de l'art conceptuel : comment penser autrement la place du texte, sa circulation et sa réception dans un contexte d'exposition ? Quelles formes inventer ? Quelle valeur donner au texte à l'heure où le marché de l'art se gargarise de peinture ?
Les Aubaines, lieu-dit, me permettrait aussi d'inscrire cette recherche dans un projet de création plus vaste : à l'échelle d'un lieu fictif d'économie poétique et à l'aune d'une pratique participative avec des scolaires.
Il ne s'agira évidemment pas de leur faire rejouer le processus capitaliste mais plutôt de les engager à repenser le système, à donner une place à l'imagination, la liberté, l'humour et pourquoi pas l'inutile, l'improductif. Mes projets partent souvent d'un amusement à revendiquer une naïveté supposée enfantine.
Le titre que j'ai choisi détermine à la fois un rapport au territoire fictif que nous créerons ensemble et à la parole (lieu-dit), dans l'idée d'une économie comme mode de transmission, de partage. Aussi, le terme d'Aubaine renvoie à l'initiative de Création en cours : que va-t-il se jouer dans cette rencontre fortuite entre ma pratique et celle des enfants ? Est-ce là notre chance inattendue ?
Le projet de transmission avec les scolaires se développera selon deux axes : l'économie du récit et sa mise en forme dans un espace d'exposition. L'idée étant de leur ouvrir le champ des possibles liés à l'écriture, de ne pas restreindre l'écriture à l'édition et celui qui écrit à un.e auteur.ice.
Il s'agira d'abord de partager ma pratique artistique avec les enfants et de leur présenter des travaux artistiques qui traitent d'économie au sens large (doc 2). Je les inviterai ensuite à s'en emparer par le biais de l'écriture afin de bâtir les fondations de notre lieu-dit. Quelle serait leur société idéale ? Sur quelles nouvelles valeurs reposeraient Les Aubaines ? Par quels ressorts proprement littéraires pouvons-nous déjouer, détourner, repenser notre commun ?
Un second temps sera consacré à explorer les possibilités de mise en forme, d'organisation et de circulation de leurs textes dans un espace ouvert aux visiteurs, un espace d'exposition éventuellement ou peut-être un espace public. Pour cela, nous explorerons des travaux d'artistes (doc. 3) mais nous nous inspirerons aussi de leur environnement (doc. 4). Enfin, nous penserons collectivement une installation d'économie poétique qui articulera chaque projet et dessinera les contours de nos aubaines (doc. 5). Quelle valeur donner au texte dans un espace d'exposition ?
Concernant le lieu de fondation des Aubaines, il me semble intéressant de choisir un territoire où l'économie exclut davantage qu'ailleurs certaines catégories de population : j'ai pensé au Gard, au Vaucluse et à la Seine-Saint-Denis mais je pense que le projet peut être développé dans tous les départements et je resterai ouverte à toutes les propositions.