Le tarot des contes est un projet ludique et pédagogique grâce auquel les enfants pourront s’emparer des éléments constituants du récit pour réaliser une histoire, ensemble, matérialisée par un objet édité participatif. Inspirés par l’univers décalé du conte, les enfants construiront eux-mêmes l’outil didactique qui les amènera au construire leur histoire sous la forme d'un jeu de carte dit "Tarot des contes". Je crois que les histoires ont l’avantage de faire appel à l’imagination pour mieux travailler la perception de la réalité.
Après la constitution et l’édition de ce jeu pensé par et pour les enfants, ils s’en emparent pour en comprendre les mécanismes et les astuces. Ces cessions préliminaires de jeux emmènent le groupe vers la création d’une histoire commune établie et authentique qu’ils mettront en image avant qu’elle soit éditée à son tour.
Conter et raconter, c’est s’emparer d’une histoire, la sienne, celle de ses grands parents, d’un ami, d’un auteur, ou encore de personne. Une histoire, c’est cet ensemble d’éléments essentiels ou secondaires qui s’ajustent, se suivent, se croisent, s’entrechoquent pour y donner parfois un sens. C’est l’action d’éveiller en nous des sentiments et des émotions. C’est ouvrir les possibles. C’est donner une liberté à son imagination quand l’imaginaire est une source intarissable de réponses, d’explications complexes, farfelues, rassurantes face aux grandes interrogations existentielles. Si l’enfant est à ce point friand d’histoires, c’est qu’elles sont aussi une manière d’alléger les angoisses de la vie.
Se raconter une histoire, c’est laisser l’imaginaire devenir force de proposition face aux situations, aux événements qui nous déconcertent. L’histoire est aussi une façon de proposer des futurs, à l’aube des grands changements - qu’ils soient écologiques, sociaux, démographiques - qui se profilent.
En tant que bédéiste et illustrateur, inventer des histoires, construire des récits avec des petits bouts d'expériences, des morceaux de vie - saisis ça et là - composent la colonne vertébrale de ma pratique. La phase de réalisation vient ensuite habiller cette colonne, et c’est pourquoi elle doit être accordée pour résonner pertinemment avec le ton et la couleur du récit.
En tant que petits bricoleurs nés, ce projet collaboratif propose aux enfants d’ouvrir leurs possibles et de les laisser saisir les différents éléments constituants du récit pour que ce dernier devienne le leur. C’est donner la parole aux enfants et réussir ensemble à ce qu’un bout d’histoire de chacun vienne nourrir une histoire commune. Cette fresque, ce patchwork, sera, je l’espère, le miroir d’ensemble de la classe pensé par tous.
De par leur propre culture, et du fait des codes visuels qui inondent notre société, les enfants sont déjà imprégnés de multiples représentations. Parmi ce méli-mélo d’images et de symboles, nous essayerons, ensemble, de définir les éléments pertinents du contexte de l’histoire. Pour qu’elle soit encore plus étayée, je leur présenterai à un corpus de contes et d’histoires des plus basiques aux plus rocambolesques, qui se cachent parfois sous des formes moins évidentes, comme au travers de la chanson, de films ou autre.
L’idée sera de discuter ensemble pour définir les éléments communs à l’ensemble de ces histoires et ainsi, leur faire comprendre le fonctionnement d’un schéma narratif simplifié. Sur cette base, nous pourrons commencer à construire les fondements de notre Tarot des contes. Concrètement, chaque enfants créera des cartes correspondant aux éléments types constituant du récit dégagé antérieurement. Chaque enfant créera ses cartes personnages, lieux, objets, action, animaux, etc. Cette première étape leur permettra de prendre un premier contact avec les différents outils de création que je leur proposerai - type photos, dessins, collages, peintures, papier-mâché - et commencer à composer les éléments de leur narration. Je les accompagnerai dans la construction de ces éléments et dans leurs arbitrages, en stimulant leur questionnements et leur sens critique pour les libérer des formes entendues ou des clichés des dits éléments.
Sans jamais contraindre l’enfant, l’idée est d’aller chercher l’équilibre entre leur imaginaire et leur propre histoire plutôt qu’ils se réalisent dans des contes déjà vus ou entendus. Une fois le jeu complet, je le numériserai et je l'éditerai pour entamer la deuxième phase du projet.
Ce deuxième temps servira à expérimenter notre Tarot des contes et à expliquer de façon plus tangible son fonctionnement. Les enfants pourront apprivoiser le jeu en petits groupes séparés d’abord, qui s'élargissent ensuite, jusqu’à ce que l’ensemble des élèves jouent ensemble. Concrètement, chaque enfant tire de façon aléatoire plusieurs cartes du jeu et les dispose devant lui. L’enfant doit alors créer du lien entre les cartes en racontant aux autres membres de la partie une histoire. Le joueur suivant pioche à son tour le nombre de cartes qu’il souhaite et complète la narration de son prédécesseur. Les enfants continuent à piocher des cartes tant que leur histoire commune n’a pas trouvé sa fin.
Cet exercice se sert du jeu comme support et comme prétexte pour faire intégrer au enfants qu’une histoire ou une aventure est composée des interactions plus ou moins logiques des éléments qui la composent. Petit à petit, j’anticipe qu’il faudra conduire les enfants à s’éloigner du jeu pour prendre plus de liberté quant aux rythme narratif jusqu’ici dicté par les cartes afin qu’ils s’émancipent et laisse filer la suite de leur idées indépendamment des images matérielles.
Ce jeu nécessite d’accepter les propositions de l’autre et appelle à la participation active de chacun. Le tarot des contes demande de l’écoute, de la tolérance et de l’adaptabilité pour que les parties de l’histoire se construisent et se répondent. Cette étape est cruciale car c’est le moment de construire ensemble et de façon pertinente une narration qui tient et qui parle à tous. Ce temps de réflexion faits d’échanges, de questionnements, et de cessions de jeu devra se solder par la validation et la compréhension d’un récit par tous.
S’ouvrira le troisième temps du projet, celui de la mise en images d’une histoire. (Du fait de ce public un peu particulier, il est possible que le groupe finisse par s’entendre sur plusieurs courtes histoires. Dans ce cas, nous créeront plusieurs groupes). Ce temps de réalisation remettra de nouveau les enfants au contact de la création visuelle et il s’aideront des outils mis à leur disposition pour s’exprimer. Grâce à l’édition participative et au spectre du fanzine, les enfants se diviseront l’histoire (ou les histoires) de manière non nécessairement égale, plusieurs enfants pouvant dessiner un même chapitre, une même partie, à quatre, huit ou douze mains. Le but est de laisser les enfants le plus libre possible dans leurs expressions et de venir les aider à contourner les contraintes qu’ils rencontrent pour s’exprimer. L’éventail des méthodes mis à leur disposition sera le plus large possible. Que ce soit sous formes de fresques, d’affiches, de roman photos, d’illustrations, de petites bandes dessinés ou de dessins, les enfants donneront vie et forme à leur(s) histoire(s). Une fois le ton de la narration posé et rédigé, je compilerai l’ensemble des réalisations, les mettrai en pages et réaliserai une édition. Imprimée probablement en sérigraphie, je tirerai l’édition en trois exemplaires pour chacun des enfants, l’idée étant qu’il puisse la partager avec au moins deux membres de sa famille. L’édition imprimée, la classe pourra récupérer l’ensemble des productions et pourquoi pas donner lieu à une exposition ou vernissage comme témoignage de l’expérience que nous aurons vécu.