Ce projet est celui de la réalisation d'un film qui interroge l'identité d'un territoire rural, celui des Gorges de l'Allier, à partir de sa géographie, des récits de ses habitants et de la caméra de Jean-Baptiste Perret. Qu'est-ce qui fait l'identité et le vocabulaire de ce territoire à la fois relié et séparé par la rivière ? Comment est-ce que je le regarde ? Pour mener cette recherche, l'artiste souhaite expérimenter physiquement le territoire et partir à la rencontre de ses habitants. En parallèle, il organisera avec les élèves un voyage à pied qui consistera en une traversée de leur territoire afin de filmer, photographier, glaner des récits et récolter des ambiances. Les matériaux issus de cette aventure collective seront utilisés pour la construction d'un film à la manière d'une chronique rurale. Pour les enfants, cette expérience artistique, physique et sensible sera l'occasion de questionner le réel et l'imaginaire du territoire qu'ils habitent.
Cinéma de l'interférence
Je pratique ce que François Niney appelle le « cinéma de l'interférence », et qui tente de dépasser l'opposition entre documentaire et fiction. Dans le cinéma de l'interférence, « le film est le résultat de l'aventure de son tournage et la réalité qu'il traverse ». Cette méthode de travail est héritière du cinéma-vérité de Jean Rouch, Pierre Perrault et plus récemment des films de Pedro Costa ou Pierre Creton. Ces films ont en commun d'être profondément ancrés dans la réalité dont ils s'inspirent tout en proposant un récit singulier qui peut s'apparenter à une fiction. On parle à ce propos d'ethnofiction. J'ai élaboré un dispositif similaire lors de la réalisation de mon film L'Hiver et le 15 août qui met en résonance le parcours de vie de 4 habitants des Monts du Forez. Il s'agit pour moi de traiter de la réalité rurale sans la caricaturer, de donner à voir sa beauté par le regard singulier de ses habitants.
Le Sentiment géographique
Mon projet est celui de la réalisation d'un film qui interroge l'identité d'un territoire rural, celui des Gorges de l'Allier, à partir de sa géographie et des récits de vie de ses habitants. Qu'est-ce qui fait l'identité de ce territoire à la fois relié et séparé par la rivière ? Quelles représentations s'en font les habitants ? Comment sont-ils affectés par le relief et l'isolement ? Je poursuis ici mon intérêt pour des secteurs peu connus du massif central qui sont d'une grande richesse naturelle et humaine. Je m'intéresse à la relation particulière que les habitants de ces territoires entretiennent avec les lieux, la solitude et le temps. Parmi les habitants, je cherche à rencontrer ceux qui portent une vision originale de leur territoire. Il peut s'agir d'une apicultrice nouvellement installée, d'une personne qui vie en ermite à l'écart d'un village ou d'un naturaliste en quête d'espèces rares. Loin des manuels touristiques et des idées reçues sur une campagne en déclin, je souhaite réaliser un film qui donne à voir la vision singulière que les habitants portent sur leur terre.
Enquête immersive
Ma démarche artistique est centrée sur des enquêtes immersives. J'utilise dans ma pratique du documentaire des méthodes empruntées à l'anthropologie qui remettent en question les critères d’objectivité, plaçant l’affect au centre même du travail de recherche. Il me faut donc expérimenter le territoire et tisser des liens avec ses habitants. Cette phase d'enquête a déjà commencé et m'a permis d'identifier des lieux, des dynamiques locales et des figures singulières parmi les habitants. Grâce à des naturalistes locaux qui mènent des actions d'éducation à l'environnement, je compte explorer les secteurs les plus sauvages des gorges de l'Allier. Je souhaite également approfondir ma rencontre avec les jeunes qui s'installent dans les gorges et qui crée des dynamiques nouvelles.
Oser raconter son territoire
En parallèle de ce projet de création, je souhaite inciter les élèves à faire leur propre récit du territoire qu'ils habitent. Pour cela, nous partirons de la manière dont le monde rural est habituellement représenté dans les médias, le cinéma et la peinture. Cette réflexion sera menée sous la forme d'ateliers d'éducation à l'image qui permettront d’interroger la relation entre la forme artistique et le sujet qu'elle aborde. Ces ateliers seront l'occasion de rencontrer des journalistes locaux, des élus et des naturalistes afin de mettre en débat leurs points de vue. L'objectif de ces ateliers est de favoriser la prise de parole afin d'inciter les élèves à adopter une posture critique sur la manière dont leur territoire est représenté. Nous nous intéresserons ici à l'écart qui peut exister entre cette représentation et la manière dont les élèves perçoivent ce territoire. Afin sublimer cet écart, les élèves seront invités à échanger sur leur territoire à partir de leur propre expérience. Il s'agira ici de mettre l'accent sur les visions subjectives avec la mise en commun de souvenirs, d'images, de rencontres et de lieux qui leurs sont chers.
Traverser le territoire et ses habitants
Afin de porter un nouveau regard sur le territoire, rien de tel que de partir sur les chemins comme Stevenson, à la rencontre des paysages et des habitants. En m'appuyant sur l'enquête immersive menée pour mon projet de création, j'organiserai avec les élèves un voyage en itinérance de plusieurs jours qui consistera en une traversée du territoire. Ce voyage sera l'occasion d'expérimenter et de ressentir par le corps le relief, les lieux-dits et de prévoir des rencontres sur le terrain. Pendant cette traversée les élèves récolteront des traces visuelles, sonores et écrites qui serviront à l'élaboration d'un film collectif. Les élèves serons invités à filmer l'environnement naturel, les pratiques humaines et à interviewer les habitants sur leurs visions personnelles du territoire, leurs souvenirs et leurs habitudes. Notre expédition fera étape dans les villages où nous seront accueillis pour la nuit. Un bivouac en pleine nature sera prévu en compagnie d'un guide naturaliste. L'accent sera mis sur l'aspect sensoriel et participatif du voyage. Les élèves seront donc mis à contribution dans l'organisation quotidienne et la récolte des traces. Ils auront été initiés à la prise de son et à la prise de vue. Ce seront donc eux qui récolteront et produiront images, vidéos, sons, textes. L'idée est ici de documenter la traversée avec différents types de matériel (enregistreurs son, caméras, téléphones portables, appareils photos) afin de multiplier les points de vue.
Un film collectif adressé aux habitants
De retour à l'école, les élèves seront incités à raconter comment ce voyage a modifié la vision qu'ils se faisaient de leur territoire. Nous travaillerons en groupe sur le montage du film et à la création d'un récit en voix-off. Il s'agira d'organiser et de composer à plusieurs. Pour cela, nous favoriserons une approche plastique du montage où les élèves seront invités à manipuler les images et les sons, à visionner des essais et à échanger leurs points de vue. Nous nous inspirerons pour cela de certaines techniques de montage et du travail de collectifs d'artistes et de cinéastes.
Une projection à destination des habitants sera proposée à l'issue de la résidence. Ce sera l'occasion pour les élèves de valoriser leur production et de partager avec les habitants leurs questionnements sur l'identité du territoire.