Par le biais de la sculpture et de l’installation, Ariane Jouhaud inscrit au centre de son travail les formes et les modalités de la conservation, ou de la disparition, des objets dans la culture occidentale. A l’occasion de sa résidence, elle proposera aux enfants de développer dans cet esprit une série de musées miniatures portatifs qui hébergeront des fragments de leur vie quotidienne. Il s’agira ainsi de lier une création artistique à une problématique de la vie urbaine soucieuse de l’environnement et, par là, de penser aux manières d’intégrer l’art à l’espace public. S’attachant à une réflexion sur la technique de l’assemblage, elle imaginera avec un groupe de jeunes, une série d’ateliers où la question du réemploi de matériaux croisera celle de la sublimation des souvenirs. Elle cherchera ainsi à enclencher une réflexion collective sur la fragilité du patrimoine culturel à travers le monde.
La proposition des Ateliers Médicis présente l’attrait unique de réunir création, partage et mise à l’épreuve de l’expérience et de l’inspiration avec de jeunes élèves d’école primaire. Je suis particulièrement sensible à l’effervescence du travail de groupe, cette approche de la création à plusieurs mains est à l’origine d’un projet de musées miniatures que je développe actuellement. Je travaille à la réalisation d’une série de sculptures servant d’espace d’accueil et de protection pour des œuvres réalisées par des artistes invités. Prenant le nom générique de Galerie Modèle, ces différentes constructions jouent, chacune à sa manière et à son échelle, avec les codes de présentation de l’art actuel. Participer à ce programme de création me permettrait de poursuivre ce projet en proposant à des enfants de se l’approprier et éventuellement de le transformer. Je suis persuadée que ma pratique en ressortirait métamorphosée et enrichie. Ce serait aussi l’occasion d’aborder des thèmes qui me sont chers, comme la fragilité de la mémoire. Et, bien sûr, il s’agirait également d’initier les enfants à la pratique de la sculpture et de la maquette d’architecture.
Mon projet de création et de recherche connaîtrait alors un développement en plusieurs étapes. J’aimerais proposer, comme point de départ, de détourner d’anciens jouets par le biais de la technique de l’assemblage. Avant de les transformer, nous nous interrogerions collectivement sur la valeur symbolique de ces objets et sur les souvenirs qu’ils évoquent. Je donnerais comme consigne aux élèves de ramener à l’école deux jouets leurs appartenant sur lesquels ils accepteraient d’intervenir en développant leurs propres techniques d'assemblage. Je mettrais à leur disposition une série de matériaux récupérés permettant diverses approches de la matière : colle, cordage, terre, bandes plâtrée, élastique, aiguilles, fils, plastique, tissus, faux cheveux, aimants, pâte à modeler et d’autres encore. Je tenterais ainsi de les sensibiliser à la question du réemploi des matériaux. Nous chercherions ensemble à trouver des techniques d’assemblage adaptées à la nature propre de chaque objet, qu’il soit de fabrication artisanale ou manufacturée.
Ceci fait, j’aimerais faire prendre conscience aux enfants du fait que l’on peut utiliser des objets disponibles tout autour de soi, et souvent délaissés, pour en créer de nouveaux. C’est une démarche que j’applique en permanence dans mon travail et qui est déterminante dans mon approche de la sculpture. L’assemblage des deux jouets de chaque élève tous porteurs d’intimité et de souvenirs, questionne la nature et le statut de l’acte créatif. Je voudrais qu’ils s’approprient ce résultat plastique comme un totem autour duquel construire un espace idéal. En l’occurrence un espace construit qui permettrait de transporter, protéger et exposer leurs œuvres : véritable boite au trésor et musée de l’intime.
Une seconde étape de réflexion et de création s’enclencherait alors. Nous chercherions à concevoir ces abris dans lesquels les assemblages trouveraient leur place et de nouvelles significations. Avant le passage au volume, les élèves devraient dessiner les formes du refuge idéal auquel ils songent. Un fil narratif se construirait alors, faisant écho aux espaces réels et fantasmés qui rythment le quotidien spatialisé des enfants. Une fois ces « plans » établis, chaque enfant serait invité à faire une présentation à l’ensemble du groupe, tant des objets que des espaces qu’ils projettent de construire, sans oublier l’histoire dont ils sont porteurs. Puis, après ces présentations, les élèves seraient libres de se regrouper ou de continuer de manière individuelle pour commencer la construction. Plus précisément, ils auraient le choix de participer à la mise en espace pour l’œuvre d’un de leurs camarades, d’en concevoir et construire une pour héberger leurs propres réalisations ou de se réunir collectivement pour inventer une architecture où cohabiteraient plusieurs de leurs créations.
Ces nouvelles constructions seraient composées de matériaux légers et modulables comme le carton, le papier, le plastique, le polystyrène etc. La taille de l’œuvre première déterminerait l’échelle à laquelle elles seraient réalisées. Ces « musées-maisons-miniature » se construiraient donc autour des créations de chacun pour les accueillir et les envelopper. Cette manière de faire utilise le langage de la maquette d’architecture, et également celui de la sculpture avec sa liberté de forme. Par cette démarche de muséification, je cherche à changer le regard que les enfants portent sans y penser sur les objets du quotidien, en transformant ces objets en véritable trésor dont il faut prendre soin. Je projette par ce biais de les sensibiliser à la question du patrimoine et de sa fragilité partout dans le monde.
Intégrer le programme Création en cours serait l’occasion de rencontrer de nouveaux artistes implantés sur le territoire de l’agglomération parisienne, exceptionnelle opportunité de confronter mes réalisations avec celles d’artistes venus de différents horizons et de disciplines variées. Une partie de mon temps de résidence serait donc dédié aux rencontres et à la recherche collective, afin de concevoir en partenariat de nouvelles Galeries Modèles. Mon projet de musée à échelles réduites s’inscrit dans une volonté de lutter contre le gaspillage et la spectacularisation excessive de l’art contemporain, en proposant des modèles d’espaces de protection et de présentation d’œuvres d’art facilement stockés et déplaçables, au fond réduits à l’essentiel. La fermeture des espaces culturels durant la pandémie ne permet plus d’accéder physiquement à l’art : face à de telles contraintes, mon projet est aussi une tentative pour ramener les œuvres dans l’espace public en les rendant facilement accessibles et déplaçables.
Mon projet et les propositions d’ateliers qui en découlent s’appuient sur ma démarche artistique et mes différentes expériences professionnelles. J’ai appris à mener et organiser des ateliers de création grâce à mon emploi de technicienne dans l’atelier maquette de l’école Camondo. De plus, j’ai eu l’occasion d’organiser et d’animer un workshop sur l’assemblage dans l ‘école d’architecture de Versailles (ensa-v), pour les étudiants de première année. Ce projet s’inscrit donc dans une continuité d’expériences liées à la transmission de la création que j’expérimente. En tant que jeune artiste en début de carrière, je suis à la recherche d’un espace d’accueil qui me permettrait de m’engager dans de nouvelles expériences artistiques singulières. Ma démarche est motivée par un désir de remise en question et de transformation de la place de l’art dans notre société. En ce sens, je trouve particulièrement intéressant le programme de création des Ateliers Médicis qui est soucieux d’apporter un soutien à la création dans un contexte de transmission.