Replongeons ensemble dans l'univers très familier du conte de Perrault pour en proposer une transcription visuelle et sonore, à l'écran, sous la forme d'un court métrage d'animation en volume. L'objectif est de partir ce cadre bien connu, de cette histoire maintes fois lue et écoutée, pour la mouliner au prisme de signes inventés avec d'autres. J'aimerais initier une véritable collaboration avec les élèves en travaillant avec eux sur la direction artistique du film et en les associant à la fabrication des éléments nécessaires au tournage. Il s'agit de mettre en place un jeu de cadavre exquis, d'aller-retours entre les élèves et moi-même pour concevoir décors, personnages et découpage. Nous naviguerons entre propositions dessinées et maquettes en volumes jusqu'à l'élaboration finale d'éléments techniquement viables pour le tournage. Les enfants seront également invités à participer à la conception de la bande sonore du film.
Mon objectif est de réaliser sur le temps du projet de recherche et de création un court métrage d'animation de cinq à six minutes, dont la direction artistique serait développée de manière collégiale avec une classe. Je souhaite me focaliser sur le travail du décor et des personnages avec les enfants.
L'histoire du Petit Poucet a été illustrée, interprétée, détournée, analysée de multiples façons par de nombreux plasticiens, cinéastes, auteurs, penseurs, de Gustave Doré à Marina de Van en passant par Bruno Bettelheim. Elle ne semble jamais devoir perdre de son pouvoir de fascination. Pendant mes nombreuses années de service en tant qu'animatrice en centres de vacances, reprenant la tradition orale dont elle est issue, je la racontais aux enfants à l'heure du coucher. Le frisson était toujours le même, au moment où l'ogre s'écriait d'une voix rauque : « Ça sent la chair fraîche ! ». L'idée de me servir de ce conte comme point de départ pour un projet de film me trotte dans un coin de la tête depuis ma sortie d'école. Je souhaite aujourd'hui saisir l'opportunité de redécouvrir le récit originel de Perrault de manière littérale. Plutôt que de m'en écarter, je veux m'en servir comme d'un cadre non négociable pour expérimenter d'autant plus librement différentes façons de le mettre en forme.
Mon médium de prédilection, l'animation en volume, est extrêmement chronophage, demande une grande minutie et une certaine patience. Il faut construire les décors, les personnages, et au tournage il faut prendre entre huit et vingt-quatre photos pour obtenir une seconde d'animation. Les marionnettes sont manipulées quasiment entre chaque prise de vue. Parfois la caméra elle-même est animée grâce à des systèmes de travelling ou de têtes micrométriques actionnés à la main. Le défilement rapide des images capturées crée chez le spectateur l'illusion du mouvement, exactement comme le ferait un folioscope. L'animation répond à des règles de courbes, d'amortis, de rythme. Cette pratique est paradoxale : elle s'attache à témoigner de la matérialité de son dispositif tout en aspirant à le faire oublier au spectateur. Le défi, c'est de réussir à faire adhérer à un récit, de provoquer une émotion par le biais d'acteurs de métal, de mousse et de pâte à modeler.
La physionomie des personnages, leur mode d'expression, les transformations qu'ils subissent, leurs déplacements, les éléments qu'ils ingèrent ou sécrètent, les décors dans lesquelles ils évoluent sont autant de terrains d'expérimentations nécessaires à la préparation d'un film en stop-motion. Il faudrait réussir ici à faire intervenir l'aléatoire, à lâcher prise, à user de ruses pour s'éloigner de nos automatismes, pour produire un grand nombre de formes, les assembler de différentes manières et en générer de nouvelles. C'est dans cette phase de mon travail que je veux collaborer en priorité avec les élèves.
Il faut nous replonger dans le conte, le lire plusieurs fois, le raconter avec nos mots, le mimer, en parler, en classe et dans le cadre de nos ateliers. Nous pouvons nous pencher sur différentes adaptations du conte par des illustrateurs, des dramaturges, des cinéastes. Nous sommes à égalité face au conte, nous en connaissons la structure, les protagonistes, les ressorts. À travers des séances de travail thématiques, nous cherchons, nous discutons, nous dessinons, nous sculptons et nous mettons peu à peu en place un univers graphique cohérent. S'il est fantasque, s'il contredit une somme de conventions comme par exemple, celle de donner deux yeux, un nez et une bouche à un personnage, il doit avoir sa logique propre, obéir à ses propres règles pour permettre au spectateur de s'y projeter.
Le travail sur les personnages se divise en plusieurs groupes de recherche : le petit Poucet et ses frères, les parents, L'ogre et sa femme, les petites ogresses. Je propose aux enfants un certain nombre de modules à plat, en 2D, en balsa, en papier mâché, en carton, en papier, en tissus. Chaque groupe dispose de modules similaires, que les élèves peuvent assembler, découper, modeler, pour en tirer les premières esquisses des personnages du film. Puis les élèves produisent eux aussi des modules abstraits à partir desquels nous réalisons de nouveaux personnages. Nous discutons ensemble des choix faits par chacune et chacun, des caractères des protagonistes, de leurs liens visibles ou invisibles, des effets produits par le grossissement du trait ou au contraire de l'effacement d'un attribut. Je récupère les dessins des enfants, et je mets en place de mon côté quelques maquettes en volume à partir de ces premiers jets. Je reviens en classe avec ces maquettes, et le matériel nécessaire à la réalisation en volume d'autres propositions. Les marionnettes passent de groupe en groupe pour être modifiées. Une fois le prototypage des marionnettes finalisé avec les élèves, je me lance dans la réalisation de celles qui seront utilisées pour le tournage (structures métalliques, points de serrage, articulations, mousse, latex ou balsa, etc.). Les marionnettes retournent en classe pour la validation des élèves et les finitions de surface (laine, cuir, patines, etc.).
Le travail sur les décors se divise entre les extérieurs et les intérieurs, et répond au même principe d'assemblage à partir d'une bibliothèque de formes proposée aux élèves, bibliothèque qui a pour vocation d'être augmentée par les enfants. La fabrication des décors est tributaire du story board du film, que j'élabore avant de le partager et de le modifier avec les enfants. Cette fois, les élèves peuvent intervenir directement sur la majorité des éléments de décor qui seront utilisés pour le film. Les contraintes techniques liés à celui sont généralement moindre. La forêt est un protagoniste à part entière du film, ce qui implique que nous mettions en place un système de fabrication assez systématique d'arbres de différentes essences. Nous nous promenons en forêt pour observer la végétation, et nous nous servons de nos observations pour imaginer une forêt en cohérence avec le conte et avec nos personnages. La réalisation des décors prend un long moment, et est organisée de manière à ce que je puisse commencer à animer certaines séquences. Nous recevons la visite d'un chef opérateur qui nous explique son rôle sur un tournage en stop-motion, et m'accompagne pour éclairer les premières séquences à tourner.
Une fois les décors finis, je documente le tournage et informe la classe de son avancement. Les élèves de l'école peuvent nous rendre visite sur le plateau. Les élèves de la classe expérimentent l'animation par petits groupes, sur des séances ponctuelles.
Ils visionnent les rushs au fur et à mesure des semaines. Le tournage terminé, les enfants repassent à l'action pour travailler sur la bande son. Nous nous préparons à la visite d'un bruiteur en listant tous les éléments sonores dont nous aurons besoin. Les enfants assistent à la séance de bruitages à tour de rôle, par petits groupes.
Un fois le film bruité et étalonné, nous préparons une projection et une exposition des recherches, des décors et des personnages pour les familles, pour toute l'équipe de l'école et pour les partenaires.
Calvados
Par le(s) artiste(s)