La nuit est l'ombre de la Terre

Alors que le jour se couche, la nuit ne se lève pas, comme toujours elle tombe. Nous voilà plongés dans le noir. Presque noir. Il reste pourtant bien des choses à voir. À commencer par un constat : réverbères, trafic et autres lumières artificielles, assez nombreuses pour polluer celles des astres, tentent de pallier à notre manque de visibilité et à nos peurs primaires. Bureaux, parcs, commerces, écoles… les lieux les plus communs de nos activités diurnes sont vidés, pour la plupart précipités dans l’obscurité. Qu’advient-il de ces lieux lorsqu’ils se retrouvent à l’ombre de la terre ?

“Les alterations perceptives ne sont pas les mêmes pour le marcheur nocturne, l’enfant qui contemple les étoiles ou les participants d’une fête. S’il y a une chance de saisir malgré tout une unité par delà ces differences, elle consiste à partir des effets de l’obscurité sur le regard. Il ne suffit pas de dire que l’on y voit moins bien la nuit, il faut comprendre pourquoi l’obscurité invite à regarder (et à sentir) autrement" Michaël Foessel, La nuit, vivre sans témoin.

Ou donc poser nos yeux pour entrevoir ce qui se joue de poétique et politique durant nos nuits ?

Le projet de transmission/création s’attachera à accumuler des images, des récits et des mouvements provenant de nos nuits, aussi bien réelles que fantasmés. Travailler sur la nuit mais en dehors d’elle sera une manière d’étendre ce temps ou il est possible de vivre sans témoin, entre rêves, fêtes et errance. Du noctambule à l’insomniaque, nous croiserons tout type de regards et de personnages pour créer des histoires nocturnes collectives et singulières.

Pour les enfants il s’agira de placer leur école au centre de ces recherches. Ensemble, nous expérimenterons des formes d’animations et de narrations pour réaliser un court métrage sur ce qu’iels s’imaginent être une nuit à l’école. Les fictions que les enfants développeront seront imprégner des spécificités de leur territoire et pourront prendre la forme de contes, de faits divers ou encore se jouer des codes documentaires pour faire concurrence à la réalité.

Ma démarche consiste souvent à mettre en scène des déambulations qui contrarient le quotidien de lieux réels. Avec ce projet j’aimerais encourager les enfants à en faire de même en créant leur propre iconographie et mythologie de la nuit dans leur école. Iels pourront choisir de quelles manières réenchanter ou déconstruire le lieu ou iels étudient, grandissent et qui demeure un espace de leur quotidien très codifié.

L’absence sera un concept clé pour l’élaboration de leurs fictions car ni les élèves ni moi ne pourrons passer une nuit dans l’école. Il faudra tout inventer et fabriquer ce qu’il s’y passe de nuit, en différé, grâce aux artifices que permet le cinéma d’animation.

La nuit est un thème tout indiqué pour l’invention d’histoires et d’images. Dans le noir complet c’est souvent notre imagination qui prend le relai sur notre faible visibilité en nous faisant vivre toute sorte de paréidolies et d’illusions. La nuit est un moment éminemment cinématographique qui offre une lecture inattendue d’espaces pourtant familiers. Filmer la nuit c’est aussi la liée à l’obscurité de la salle de cinéma.

En parallèle de ces temps de transmission je poursuivrais mon travail autours des images nocturnes, des contextes festif, anxiogène ou solitaire qu’elles représentent et des sens qu’elles mobilisent. Je souhaiterais plus particulièrement explorer nos manières de retranscrire ce qui échappe à notre vision humaine. Au fil des nuits ces recherches prendront la forme d’un journal animé, une liste inachevée et lacunaire de mouvements et de lumières.