Le projet que nous proposons s'inscrit dans le champ du design d'espace mais aussi dans celui, plus indéterminé, de la scénographie. Ce projet viserait à développer un dispositif expérimental s’intégrant à une salle de classe pour proposer des manières de travailler privilégiant l’autonomie de l’enfant. Plus précisément, il s’agira de composer un mobilier ensemble comme un système de design fonctionnant conceptuellement et physiquement comme une seule entité. Autrement dit, pas un simple ensemble de chaises par exemple, sauf si elles trouvent un intérêt à être assemblées, mais plutôt un dispositif évolutif allant de la scène, à l’espace de travail, à un espace de repos. L’idée est de questionner l’organisation et le mobilier scolaire en intégrant les enfants et les enseignants au processus de création et à la construction physique et théorique du projet.
Notre projet consiste à concevoir un système de mobilier singulier pour et en collaboration avec un groupe d'enfants, faisant office de scène, d'espace de travail et d'espace de repos. Cette structure aurait pour but de former un espace fédérateur, propice à des explorations solitaires comme à des expériences collectives incluant les enseignants (projection, discussion, récitation, lecture, présentation, représentation de petit spectacle, prise de parole, dessin, écriture, jeux, sieste, etc.)
C'est un projet que nous voulons réaliser depuis quelques mois en binôme pour une école, et qui serait bien plus intéressant en collaboration directe avec des enfants et leurs enseignants.
Le design est présent dans toutes les situations domestiques, sociales et politiques, il participe à la construction de la société dans laquelle nous vivons. Ce n'est donc pas une initiation que nous voulons proposer au groupe d'enfants avec lequel nous travaillerons, mais une ouverture au champ du design. Autrement dit, un petit déclenchement dans leur manière d'appréhender le monde, comme ils en vivent chaque jour, qui dans l'idéal leur permettra d'avoir un point de vue sur les dispositifs qui les entourent, à l'école, et partout. Pour nous, la diffusion d’une culture du design n’est pas une finalité en soi, mais trouve sa valeur et son but lorsque le design permet de se mettre à l’écoute de soi et de l’autre, de partager, de créer de la communauté. Nous voulons aborder ensemble des questions d'espace et de design telles que l'intimité, la prise de parole, la représentation, le confort, l'ergonomie, le beau, le zen, la concentration.
C'est un projet artistique spécifique que nous entendons mettre en œuvre pour cette résidence. Nous travaillons en binôme depuis maintenant une année, durant laquelle nous avons pu mettre à l'épreuve des problématiques communes que nous souhaitons également prolonger dans ce projet:
- L’intérêt porté au sens des formes/couleurs/matériaux – cependant nous attachons une importance à ce qu’ils parlent d’eux-mêmes et soient appréciables pour leurs seuls ressenti, fonctionnalité et esthétique, avant d’en connaître les concepts. Dans une démarche non symbolique, il s’agit d’argumenter nos choix que ce soit en lien avec l’Histoire, l’ergonomie, les points de vue,... tant pour notre propre satisfaction que pour l’aura de l’espace créé, s’il en est.
- La modularité, toujours conjuguée avec une appropriation des dispositifs par le spectateur/visiteur/public. Nous voulons que celui qui investit nos espaces en soit un acteur, dans différents sens du mot.
- Tendre vers une démocratie des espaces.
Cette intention est en perpétuel questionnement, mais aussi toujours présente en filigrane dans nos projets et recherches. Si nous voulons perturber le rapport aux espaces, c’est pour suggérer des rassemblements, des usages et des déplacements plus libres. La question de la mobilité, qui est aussi celle de l’autonomie, entre en compte ici, lorsqu’elle permet à un dispositif de s’implanter dans une multitude de contextes, pour ne pas toucher un seul public, pour ne pas avoir un statut figé.
- La question du système de design. Nous travaillons avec l’idée de produire des espaces qui soient des dispositifs, pouvant s’envisager comme un seul “objet” et non comme une composition.
Ce système d’objets que nous souhaitons développer serait donc un outil variable, entendre par là un support d’usages variés, et permettrait de s’adapter à des temporalités de travail différentes. La proposition d’Herman Hertzberger pour l’école Montessori à Delft rejoint cette volonté de créer un dispositif qui soit support d’usages multiples et qui construit une forme de paysage évolutif dans l’espace existant. Comme dans tout modèle de pédagogie alternative, le corps dans l'espace est théorisé. Au-delà de ce dispositif, le projet de l’école Montessori rejoint aussi l’idée de free-space amenée par Cedric Price, laissant à l’individu une possibilité d’autonomie et de réflexion sur le type d’espace et de temps accordé à un type d’activité. Ce principe expérimental met en avant la muabilité et l’indépendance du dispositif en définissant des espaces libres, supports d’usages temporaires et variables. En encourageant la participation et l’appropriation des formes architecturales, l’individu n’est plus un simple utilisateur mais il devient acteur de l’espace. Basé sur l’intention théâtrale de Joan Littlewood, le projet du Fun Palace apparait comme un squelette constructif dans et autour duquel les activités se développent faisant exister sa centralité autant que sa périphérie.
L’autonomie spatiale du dispositif nous semble importante à la fois dans l’organisation de la classe dans laquelle le projet serait réalisé, mais aussi dans la visée expérimentale du projet d’être développé dans d’autre écoles. Cette autonomie se retrouve aussi dans la responsabilité de chaque enfant qui apparaît, à l’image du Fun Palace, comme acteur de l’organisation de l’espace et du temps. La notion de déplacement, relative au mobilier et aux enfants dans l’espace poursuit cette idée d’autonomie. En effet, la variation des postures et du corps en mouvement est importante pour des raisons physiologiques mais aussi bénéfiques pour l’apprentissage. Par exemple, la position japonaise seiza, ( assise au sol sur les genoux ) que l’on envisage d’intégrer au projet, permet d’adopter une posture naturellement adaptée au corps et propice à la concentration (utilisée en méditation par exemple). Nous voulons nous éloigner du couple classique chaise, pupitre pour se rapprocher d’un système plus proche du fonctionnement de l’enfant, le laissant libre de ses mouvements dans l’espace, favorisant la variation des postures et la créativité. Dans ce sens nous envisageons le sol comme un support, une surface de travail au même titre que l’assise et la table. La bonne ergonomie n’est donc pas relative à l’idée du confort dans son entendement occidental mais bien à celle du mouvement, du déplacement dans l’espace.
La réalisation de maquettes sera une étape essentielle pour expérimenter des imbrications de mobilier et d'espaces, pour se figurer des dimensions et des formes, pour exprimer physiquement des idées. Une initiation au dessin en axonométrie cavalière sera également proposée, dans le but de donner un outil de représentation facile et réaliste aux enfants, et de leur partager notre manière personnelle de dessiner. Étant donné que la maquette constitue un de nos outils principaux dans la recherche et la monstration de projets, nous réaliserons sans hiérarchie avec les enfants des maquettes de recherche. Principalement en argile, en bois et en textile, ces maquettes seront des empreintes de l'évolution du projet, réalisées avec les matériaux que nous utilisons, sans s'arrêter aux classiques cartons, papiers, peinture, largement utilisés dans les activités d'arts plastiques dans les écoles. Nous prévoyons de réaliser la finalisation du projet (maquette finale, 3d, plans), en dehors des temps de transmission, cristallisant la collaboration passée. Le prototype échelle 1 du projet, en revanche, sera assemblé dans un temps commun, durant lequel les enfants pourront par exemple apprendre à se servir d'une visseuse, mettre à l'épreuve leur esprit logique. Les interventions plus dangereuses comme la découpe de bois seront réalisées par nous même et avec nos machines au préalable.
Dans la recherche du projet, nous serons accompagnées d'une bibliographie choisie en écho avec nos problématiques. Elle nous permettra d'alimenter la théorie du projet, mais également de partager des lectures avec les enfants. Pour cela nous sélectionnerons des passages parlants, ayant en conscience que ces écrits, pour certains philosophiques, ne sont pas adressés à des enfants mais nous les pensons tout à fait entendables par eux s'ils sont expliqués. Cette sélection non achevée comporte à ce jour les livres suivants :
- La poétique de l'espace, Gaston Bachelard.
- Walden ou la vie dans les bois, Henry David Thoreau.
- Philosophie de l'ameublement, Edgard Allan Poe.
- Libres enfants de Summerhill, Alexander Sutherland Neill.
- L'idée de confort, une anthologie : du zazen au tourisme spatial. Sous la direction de Tony Côme et Juliette Pollet.
Les étapes de “transmission” condenseraient alors (volontairement dans le désordre): des réalisations de maquettes de recherche, des sessions de dessin d'apprentissage seuls puis de dessin de création à plusieurs, des lectures de textes + discussions autour + écriture en cut-up, des collages à partir d'images glanées par les enseignants, par les enfants, par nous , des cercles de parole visant à exprimer ses émotions, à débriefer sur l'évolution du projet, à commenter les productions, et pour finir quelques visionnages d'extraits de films et de documentaires. Ces activités toujours documentées par des photographies faites par tous, nourrissant par la suite le journal papier que nous mettrons en page nous-mêmes après chaque transmission.
Par le(s) artiste(s)