L’ŒIL MAGIQUE ? Sur les postes de radio qui permettaient d’écouter les villes du monde entier grâce à l’AM (les « grandes ondes ») une lumière verte nommée « l’œil magique » étincelait pour indiquer à l’auditeur la qualité de la réception. Aujourd’hui, l’AM est morte petit à petit, et avec elle le hasard de faire glisser le bouton du poste vers des fréquences et des voix étrangères. Cependant, partout dans le monde, la vie est là : qu’est-ce qui bat à l’autre bout des ondes ? Qui sont celles et ceux qui y vivent ? Quels sont leurs envies ? Sont-elles si différents de ce qui, nous, nous fait battre ? Initié en 2019 à Tunis grâce à l'Institut Français, L’ŒIL MAGIQUE est un projet pluridisciplinaire destiné à l'espace public. Dans la continuité de notre travail, nous utiliserons le média sonore pour faire se rencontrer des élèves Français et des élèves Tunisiens et donner naissance à une création dont l'Autre sera la base.
Imaginé et réalisé par Charles-Henri Despeignes, L’ŒIL MAGIQUE est le fruit de dix années de pratique artistique dans les domaines du théâtre, de la radio, et de la musique où réalité et fiction, visible et invisible se sont toujours entremêlés.
L’ŒIL MAGIQUE est une performance dans l’espace public qui mêle création sonore et radiophonique, théâtre, danse et cinéma expérimental portant sur les désirs des Hommes. À travers une déambulation sonore et visuelle immersive dans l’espace public, c’est l’Homme et ce qui le meut qui est ici en question.
Ayant récupéré de nombreuses matières durant notre résidence à la villa Salammbô de l'Institut Français de Tunis en, nous souhaitons désormais sculpter et mettre en forme. Vous trouverez ci dessous l'ensemble de nos axes de recherches mais nous souhaitons ici surtout travailler l'axe 3 : le cinéma expérimental et c'est avec avec la créatrice vidéo Camille Sanchez - formée au Théâtre National de Strasbourg, section régie/création - qui a développé une expérience dans la création pour l’espace public que nous collaborerons.
Nos choix de départements ne sont pas des hasards, ils ont tous un lien avec la radiodiffusion, qui est la base de ce projet.
En effet, des sites d'émetteurs radio historiquement destinés à faire rayonner les ondes à l'étranger sont présents dans les Alpes Maritimes, dans l'Indre ou encore dans le Cher.
J'aimerais donc pouvoir partager nos avancées artistiques avec les élèves mais aller encore plus loin : en 20 jours, les accompagner pour donner naissance à une création sonore reliant les élèves Français et les élèves Tunisiens grâce à une correspondance sonore faite de mot - leurs paroles, leurs questions - mais aussi faite de son : des sons captés dans les deux villes, la ville française et Tunis. Travailler alors le montage sonore ainsi que la création sonore grâce à des logiciels ludiques. Utiliser le pouvoir du son, de la radio, comme convocation de l’imaginaire. Se détourner du regard journalistique porté sur un pays pour questionner ce qui fait battre le coeur de ceux qui y vivent.
Grâce aux contacts noués durant la résidence à Tunis et au soutien l'ONG l'Art Rue et de l'Institut Français, je serais heureux d'accompagner les élèves dans cette aventure, à l'image des fictions sonores que j'ai réalisé en Centre Educatif Fermé grâce à la bourse Déclic Jeune de la Fondation de France.
1 / Les voix réelles et fictives. Faire entendre ceux et celles qui vivent à Tunis afin de les faire témoigner sur ce qui fait battre leur cœurs jour après jour est un enjeux majeur. Des entretiens ont été réalisés dans l’espace public dans la langue usitée par les interlocuteurs. Cette matière, qui sera utilisée de façon brut dans le spectacle sera aussi la base d’un travail d’écriture en cours qui donnera naissance à une fiction entre deux personnages traduisant la pulsion de vie (Eros) et la pulsion de mort (Thanatos) de Tunis. Le travail porte sur la traduction des témoignages récoltés et sur leur transformation en un dialogue théâtrale interprété par des comédiens.
2 / Derrière les voix, de la musique en arrière plan. En vue d’accompagner et d’illustrer les paroles des habitants et des comédiens, Charles-Henri Despeignes s’inscrit dans la continuité du compositeur de musique électroacoustique Luc Ferrari. Ambiance de rues, conversations, appels à la prière, télévision… Autant d’éléments qui constituent un univers sonore spécifique à la ville de Tunis. Cette base sera la matière sonore du spectacle. C’est en cela que le travail de composition sonore trouve toute son importance. De plus, à l’instar du compositeur James Holden qui collabora avec les gnawa du Maroc, nous avons travailler avec Salah el Ouergli, l’un des derniers maîtres stambali en Tunisie. D’un côté, il y aura les sons de la ville et les sons électroniques de Charles-Henri Despeignes, de l’autre, les sons instrumentaux de Salah el Ouergli.
Le travail de recherche permettra d’articuler ces deux aspects de la matière sonore, voix et musique, qui cohabiteront au sein du spectacle. Cette création musicale vise à évoquer la ville de Tunis et basculer d’une forme de réalité à une forme d’irréalité.
3 / De la musique mais également du cinéma expérimental. Tout comme le travail réalisé sur l’aspect sonore du spectacle, il s’agit de capter la ville de Tunis de manière visuelle. Rue, foule, visage, bâtiments… Tunis s’exprime en image non pas sous les traits d’un documentaire mais de manière plastique. Nous construirons la vie de la ville grâce aux mouvements.
Comme Dziga Vertov, notre recherche nous permettra d’utiliser la matière cinématographique comme matière susceptible de créer des images surréalistes et riches de sens tout en l’articulant avec la matière sonore.
4 / Comment créer un espace d’écoute et de visionnage immersif ? Faire résonner et raisonner une ville dans une autre ville. C’est dans cette optique qu’est pensé le spectacle au niveau sonore et visuel, en lien avec l’univers urbain et les particularités culturelles des espaces. Le son multicanal propose une écoute polyphonique permettant une immersion sensorielle dans un espace sonore riche et complexe. La vidéo en multi-projection permet de créer cela au niveau visuel. L’enjeu est de proposer à la fois une œuvre contemplative, réflexive et une expérience sonore et visuelle, intime, sensorielle et physique au spectateur, en lien avec la transformation de l’espace de jeu. La réflexion porte sur l‘articulation entre musique, voix et image afin de créer espace onirique dans un espace public.
5 / L'enjeu du bilinguisme Une des questions centrales de ce projet bilingue est la traduction. Il est impensable d’avoir recours à la relecture des témoignages et de faire systématiquement appel au sous titrage. Le travail sur la voix, son expressivité, son timbre et sa couleur est un élément déterminant du projet tout comme la volonté de proposer au spectateur l’expérience d’écoute d’une langue étrangère à travers ses sonorités propres comme autrefois lorsque l’on écoutait les pays étrangers grâce à la radio.
6 / Un espace de jeu scénographié ? Le spectacle est pensé, à 360°, comme un lieu d’écoute et de visionnage pour des spectateurs tout autant mobiles qu’immobiles. Le spectateur évolue dans un espace déconnecté de la réalité des voix. Cette déambulation sera mise en scène et associée à la dimension plastique du spectacle. Cette scénographie de l’espace et la mise en scène de la déambulation du spectateur aborde la notion de l’ancienne pratique de l’écoute radiophonique : une écoute collégiale où les personnes se réunissaient autour du poste de radio. Les spectateurs sont invités à déambuler dans une installation, symbole du poste de radio comme lieu de découverte de cultures et d’espaces lointains, lieu d’imaginaire, lieu du commun, mais aussi symbole des rues labyrinthiques de la média.