Le projet proposé, se penche sur la problématique du jeu. Un mois de résidence de création et de recherche sur le territoire est prévu, pour entrer en contact avec les institutions locales, les habitants et les élèves afin de concevoir et de créer des formes artistiques relatives au jeu en dégageant de celui-ci ses potentiels sociétaux, relationnels, psychologiques et documentaires. L’objectif est de produire des protocoles de jeux, des dispositifs ludiques et interactifs ainsi que des évènement participatifs dans la commune et l’école. C’est une invitation ouverte pour les habitants adultes et enfants à entrer dans le jeu, l’inventer, le réinventer, le détourner... À l’issue du mois de résidence, 20 jours de partage, de co-production et de jeu seront proposés aux élèves de la classe. Des dates seront fixées pour la restitutions des travaux produits sur le territoire à destination du grand public. Une programmation de performances, d’animations et de médiation sera mise en place.
Intentions :
« Le jeu est plus ancien que la culture. » C’est par cette phrase que Johan Huininga commence son livre Homo ludens Essai sur la fonction sociale du jeu.
Le jeu est une pratique que l’on pourrait qualifier d’universelle. De nombreux jeux et jouets sont reconnaissables d’un pays à l’autre, sauf parfois des petites variation. Mais les enjeux restent les mêmes. Le temps, les gestes, les désirs, les impulsions, les stratégies, les pactes, le matériau, l’espace, l’imagination... sont des facteurs inhérents au jeu et qui sont pour moi une matière de fascination et d’expérimentation. Et quand je parle de jeu, je m’intéresse surtout aux jeux qui ne nécessitent pas l’achat de jouets sophistiqués, mais plutôt des jeux populaires transmis d’une génération à l’autre.
Dans mon travail artistique j’implique souvent des gens de ma famille, des gens que je connais, des gens que je rencontre et c’est à travers mes conversations avec eux que je tisse mes projets. Les anecdotes qu’ils racontent, les professions qu’ils exercent, les souvenirs qu’ils évoquent, les objets qu’ils gardent et les jeux qu’ils pratiquent sont tous porteurs de sens et de potentiel artistique. Les jeux comme d’autres gestes et objets du quotidien sont des sujets récurrents dans ma pratique. Je les investis à travers des installations, des performances, des vidéos, des sculptures et toute autre forme ou technique qui me paraît nécessaire pour transmettre un sens ou une expérience esthétique.
Pour ce projet je me penche spécialement sur le jeu pour approcher une communauté qui m’est étrangère et pour laquelle je suis étrangère. Surtout que mon but est d’explorer les facettes de ce sujet avec les différentes générations de la population. Le jeu sera mon flotteur pour plonger dans un contexte géographique, sociétal et culturel qui m’est nouveau. Le jeu sera le sujet et la matière d’une production artistique basée sur les rencontres, les conversations, et la pratique.
La pratique prendra plusieurs directions. Dans un premier temps j’inviterai des groupes d’individus (adultes) à partager des moments de jeux en pratiquant des jeux qu’ils connaissent (par exemple des jeux de société, des jeux sportifs). Dans un second temps je les inviterai à imaginer de nouvelles règles, et de nouvelles variations aux jeux qui leurs sont familiers et d’essayer de les jouer en abolissant leur connaissance antérieure du jeu. Ici il serai intéressant d’investir dans les gestes et le langage qui se tordent et se transforment pour répondre aux nouvelles exigences du jeu. Je leur proposerai aussi de se rappeler de leurs jeux d’enfance et d’essayer de les rejouer face à l’oubli, aux omissions et à l’impuissance du geste. Ce ne sont que quelques exemples qui illustrent l’infinité des possibilités qui pourront naître au fil des rencontres.
Le travail que j’envisage auprès des élèves n’est pas très différent. Après des moments de conversations et de partage, les enfant seront invités à exprimer leurs propres visions sur les jeux, à proposer leurs règles et à expérimenter dans tous les aspects d’u jeu donné. Je les inviterai à investir dans les jeux sportifs qu’ils jouent pendant la récréation, dans leur foyer ou dans le parc (la marelle, course, cache-cache...) mais aussi dans la fabrication de leurs propre jouets à partir de matériaux de récupération (par exemple fabriquer son cerf-volant à l’aide d’un sac plastique et d’une ficelle).
Toutes ces expérimentations feront la matière première de la production artistique, elles seront documentées par des photos, des enregistrements vidéo. Des dessins et des objets seront réalisés pour répondre aux nécessités du jeu. Et des rencontres seront programmées pour jouer et rejouer.
Motivations :
Pendant ma formation artistique au Liban, j’ai acquis tous les outils classiques des Beaux-Arts J'ai ensuite voyagé en France où j'ai poursuivi mes études en art contemporain et où je continue à travailler et exposer depuis six ans. Ce déplacement m'a aidé à comprendre l'art comme une expérience personnelle et partageable. Ma pratique artistique émane toujours du milieu culturel et géographique dans lequel je travaille, et j'ai eu l'occasion de confronter ma recherche et ma production artistique à de nouveaux contextes et cultures et de créer de nouveaux dialogues que je continue d’explorer.
En effet, si l'art est un moyen d'expression, il est essentiellement une forme de transmission et de communication d’une production culturelle. Mon but est d’infiltrer cette production dans la vie quotidienne des gens qui n’ont pas le luxe d’accéder régulièrement aux grandes institutions artistiques. Dans ce sens, l’art ne se concentre pas dans un objet précieux conservé sur un socle dans un musée, c’est plutôt une expérience qui peut se retrouver dans les petits gestes de tous les jours, dans un objet oublié au fond d’un tiroir ou dans un jeu d’enfant qu’on se remémore avec nostalgie et enthousiasme. Inviter les adultes à se rappeler d’un jeu, le décrire, le rejouer, le transformer, le reconfigurer, le confectionner..., constitue pour moi une chorégraphie de gestes qui mêle le corps, la mémoire, l’individu et la communauté dans un processus d’expérimentation vital pour ma production artistique.
Quand à mes motivations auprès des élèves, c’est également de les inciter à réfléchir sur leur formation et leur production artistique en relation avec les pratiques de l'art contemporain, de l'histoire de l'art, et surtout en relation avec les questions sociales et culturelles dans le milieu et le temps dans lesquels ils vivent. Le jeu est un point de départ qui me paraît comme une entrée adéquate pour aborder les questionnements sur l’individualité, la collectivité et la société su un plan plus large. Il s’agit de les pousser à trouver les moyens par lesquels ils seraient capable d’exprimer et de donner une forme à leurs rêves, craintes, ambitions ou visions. L’enjeu est de voir avec eux comment un travail artistique est capable d’initier un dialogue et d’approfondir des émotions et des idées. S’engager avec les élèves dans ce processus de recherche et de création devient ainsi un moyen de transmission des expériences personnelles respectives. Il est aussi une invitation à expérimenter et à partager des pensées, des idées et des images. La thématique du jeu sera idéale pour l’instauration d’une dynamique de groupe autour de l’acte de création.
Mon projet est conçu comme un prolongement de mes recherches menées autour des formes de vies au quotidien. Il s’engage donc à créer des conditions dans lesquelles seront examinées les relations de nos gestes au temps et aux personnes qui partagent avec nous l'espace de notre vie quotidienne. Ainsi, en partant de la conviction que le jeu met en œuvre des forces qui dépassent la performance physique et échappent à la conscience pleine et éveillée, l’ambition de ce projet est de capter ce qui se joue au fin fond des fondements de la société.
Par le(s) artiste(s)