Ils ont pris des pierres dans les champs

_{J’ai posé au sol une pierre. A côté de cette pierre, une autre pierre. L’homme après moi, a coupé la pierre, il a posé sur la pierre coupée une autre pierre, et une autre pierre. Ainsi est la ville. L’eau s’est mise à ruisseler. Des gouttes sur la pente roulaient, roulaient, roulaient. Le fleuve ainsi créé creusait l’endroit de son repos et partageait en territoires des espaces jadis réunis. De ces découpages jaillissaient des frontières, des espaces infranchissables. Que je cherche à traverser. Qu’existe-t-il dans l’épaisseur de la ligne ? Dans l’épaisseur de la coupure, et celle de la jointure ? Là, entre la gouttière, il y a sur la façade le petit creux de l’enduit qui finit, l’endroit exact où le geste s’est interrompu. Là, sur la bobine sonore de mes enregistrements, la bande collante vient agripper un morceau et l’emmener vers un autre. Parfois même ils se chevauchent, s’entremêlent. Au bord de l’image, à la limite de deux sons, en bascule, de l’un à l’autre, de l’autre à l’un.} 

Mélanie Métier se propose d'explorer les notions de montage et de collage par les pratiques architecturale, urbaine et sonore. Prenant place à Cajarc, village situé en Zone de Revitalisation Rurale dans le Lot, la résidence est structurée en des temps croisés de transmission et de création avec les résidents du Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale et des temps de création autour de l'architecture vernaculaire, de sons documentaires et d'images d'archives communales et personnelles.

Dans ce village au plan circulaire (anciennes fortifications) traversé de perpendiculaires et bordé par le fleuve Lot, qu'est-il donné à voir de ces intersections ? Qu'est ce qui fait "lien" ? Comment écouter, percevoir et révéler ces singularités par les pratiques artistiques ?

La résidence part d'une exploration personnelle afin de définir un cheminement dans le village qui donne à voir ces découpages et assemblages visibles ou invisibles, architecturaux ou sonores. Ce chemin répété, réalisé tantôt par l'artiste, tantôt avec les résidents du CHRS, se nourrit petit à petit d'histoires multiples qui viennent se mêler pour constituer une sorte de grand collage collectif.

Le travail avec les résidents est partie intégrante du projet : comment ces habitants de passage peuvent-ils "recoller les morceaux" de leurs vies souvent éclatées, malmenées ? À Cajarc, ils sont entre deux endroits car la durée de leur séjour au CHRS est limitée à six mois. Avec l'artiste, les résidents documentent les assemblages territoriaux qu'ils perçoivent et en inventent de nouveaux, lors d'ateliers de collecte et création sonore, de prise de son et prise de vue, de dessin et d'écriture. Ces pratiques artistiques sont ainsi accumulées au fil du chemin-fleuve et mènent à plusieurs créations à inventer ensemble : une carte-relief qui reconstitue les cheminements et volumes architecturaux, une pièce de création sonore, des montages d'images... Se faisant, jaillit sans doute une troisième histoire, qui permet de tirer un fil, de coller et monter ensemble les fragments.