Soyeux, raides, ondulés, bouclés, frisés, crépus… Les cheveux sont une marque de l’identité à la fois très intime et très visible. Hair Pride est un projet pluridisciplinaire et inclusif qui questionne cette tension paradoxale par le prisme des arts visuels et de la sociologie.
Via des outils comme l’enquête, les débats, le jeu ou encore le déguisement, Cannelle propose aux élèves d’aborder différentes questions : Qui suis-je ? Qui suis-je avec et sans mes cheveux ? Quelle image ma coiffure renvoie-t-elle ? Ma nature de cheveux est-elle moins bien qu’une autre ?
Par le dessin, la photographie, le volume ou encore la coiffure, les élèves et l’artiste produiront parallèlement un ensemble de documents et de propositions formelles extériorisant leurs ressentis. Expérimentations et objets manifestes pourront s’entremêler au sein d’une édition et d’une exposition, comme autant de supports à la réflexion. Hair Pride est une invitation à l’empowerment, à l’intégration sociale et à la joie.
À l’origine du projet
Avec Création en cours, je souhaite poursuivre un projet engagé en 2016 autour des cheveux, de leurs représentations visuelles ou mentales, de leur impact sur notre identité et des fascinantes qualités plastiques et matérielles qui font leur diversité. Artiste du bijou contemporain, j’ai un attrait particulier pour la parure et ce qu’elle dit de nous. Afro-descendante, j’ai une relation mi-passionnelle mi-conflictuelle avec les cheveux, fondée sur une carence culturelle héritée des actes de domination occidentale. En effet, comme l’explique la sociologue Juliette Sméralda dans Peau noire, cheveu crépu, c’est à compter de la colonisation et de l’esclavage que, privées du temps et des outils nécessaires pour soigner leur chevelure, les populations noires déportées “intériorisent le regard négatif posé sur leur traits somatiques et culturels et finissent par entretenir une forme d’automépris envers elles-mêmes”. Plusieurs siècles après, cette attitude a été collectivement intériorisée.
Suite à de vastes recherches documentaires, étoffées par une collection d’expérimentations graphiques et formelles, j’ai d’abord réalisé plusieurs objets de parure questionnant l’acceptation de notre pilosité. Depuis, au gré de mes expériences et de mes lectures, le projet a nettement évolué. Cette résidence en sera un volet supplémentaire, plus riche et plus engagé.
Je souhaite porter un nouveau regard sur cette recherche en y faisant participer un public jeune qui, s'il n'a pas forcément le recul documentaire et sociologique, comprend intuitivement, par l'expérience sensible de soi et du quotidien, les problématiques d’identité et d’intégration sociale : Suis-je libre d’incarner pleinement ma personnalité ? La nature de mes cheveux me définit-t-elle ? Ai-je accès à des connaissances et des outils adaptés pour prendre soin de ma chevelure ?
Les temps de transmission
Je proposerai aux élèves un large panel d’ateliers allant de la recherche vocabulaire au déguisement, en passant par les débats, interviews et l’écriture de poèmes. Ces activités aboutiront à la production d’un ensemble d'œuvres signifiantes : biographies capillaires, maquettes rapides, dessins, photographies, objets sculpturaux.
Ainsi, les enfants pourront :
Afin d’enrichir le projet, j’envisage de créer des ponts entre les arts visuels et le langage, ou encore les sciences, en proposant à l’enseignant·e de s’y associer si iel le souhaite. Pour la production plastique, je les guiderai dans le choix des matériaux et les initierai à des techniques en fonction de leurs besoins (peinture, cheveux synthétiques, travaux de fils, photographie…). À travers cette collaboration, je souhaite partager aux élèves ma démarche artistique, fondée sur l’observation du quotidien. Une façon de leur montrer qu’iels peuvent aussi être chercheur·euse·s ou inventeur·euse·s.
Selon moi, la façon la plus pertinente de construire ce projet avec des élèves serait d’avoir la plus grande variété d’histoires capillaires possible au sein de la classe. C’est pourquoi j’imagine développer ce projet dans un QPV, susceptible d’avoir une population aux origines très diverses.
C’est dans une ambiance positive et joyeuse, inclusive et ludique que j’envisage d’orchestrer les moments de transmission. Je souhaite proposer un espace d’affirmation de soi, où chacun·e pourra s’exprimer librement, être qui iel souhaite, revendiquer ses rêves, ses envies et ses chagrins. Notre travail de valorisation de la diversité capillaire ne pourrait-il pas être une belle occasion de court-circuiter d’éventuels mal-êtres grandissants ? Hair Pride porte ainsi les valeurs du vivre-ensemble et de l’inclusion et espère voir ces écolier·ère·s en devenir des ambassadeur·rice·s.
Mon projet personnel
De mon côté, j’approfondirai mes recherches documentaires et développerai mes propres expérimentations enrichies des réflexions des élèves. Sur le territoire d’implantation, je mènerai des enquêtes et des interviews, me rendrai dans des salons de coiffure classiques ou afro, et entamerai des récoltes photographiques. Je reste flexible quant à la nature de mes réalisations finales mais ces démarches devraient naturellement m’amener à produire des sculptures en lien avec le corps, des photographies ou encore une installation.
Afin de faire la liaison entre ma recherche et le travail mené avec les élèves, je tiendrai un journal de bord. J’y consignerai nos échanges, découvertes, les nouvelles voies ouvertes ensemble… Dans une volonté d’enrichissement mutuel, afin de récolter leurs réactions ou stimuler leurs idées, je réserverai chaque mois un temps pour leur partager les résultats de mes investigations locales et l’avancement de mon travail plastique.
Collaborer
L’échange est indispensable à la construction de mes projets, il permet de multiplier les points de vue et donne davantage de résonance à mes préoccupations. J'aime traiter de sujets qui appartiennent à tout le monde car chacun peut en être spécialiste à sa façon. Ainsi, je pourrais m’appuyer sur les ressentis authentiques des élèves et non seulement sur mes souvenirs. Leurs réactions brutes, parfois dures, parfois fantasmées, seront porteuses de vérité.
Création en cours serait pour moi une aventure inédite de co-création avec des enfants. Lors de précédentes expériences professionnelles, j’ai pu observer leurs fantastiques ressources et je suis convaincue que leur énergie et leur sensibilité auront un impact surprenant sur mon projet. Aussi je veillerai à rester souple quant aux directions que celui-ci prendra.
Finalités du projet
Diffuser nos productions et nos réflexions à l’extérieur de l’école sera la dernière étape essentielle de la résidence. J’envisage donc deux options, à construire avec les enfants : l’organisation d’une exposition dans une salle de la ville à l’attention des familles et des habitants du territoire ainsi que la réalisation d’une édition au format magazine. Dans l’une et l’autre des options, nos travaux entremêlés dialogueraient pour célébrer la richesse de la diversité culturelle. L’édition conservée en souvenir par les élèves pourra être racontée dans les familles, feuilletée en cas de panne d’inspiration capillaire, redécouverte des années plus tard, brandie comme une fierté. J’ai espoir que les visiteur·euse·s de l’exposition puissent trouver dans un fragment de Hair Pride une résonance personnelle, que l’on génère du dialogue, que l’on allume des petits feux de joie.
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.