[S] et [I] sont deux personnages inventés et incarnés par Côme Guérif et Claire Peressotti. [I] est la ligne, le bâton de marche, la baguette de bûcheron qui mesure la hauteur des arbres, le vol d'oiseau pour qualifier une distance. [S] est la serpente, le chemin sinueux, la rivière qui suit les reliefs, l’itinéraire qui s’écarte des sentiers battus. Pour Création en cours, [S] et [I] partent en duo. Il et elle longent, dérivent, serpentent vers une école, en vue de créer un groupe temporaire de marcheur·ses. Sur le chemin et à l’école, [I], [S], les enfants donnent et écrivent des nouvelles, pensent et construisent des outils, des parures nécessaires à l’excursion et à la constitution de leur récit. Les rencontres textuelles, visuelles ou humaines composent leur bagage. À travers le déplacement et le collectif, il et elle interrogent la possibilité d’une pratique nomade via et par le champ de l’art, du design et de l’écriture.
[I] est un bâton de marche, [S] une serpente, est un projet de recherche et de création itinérant et collectif. Il a pour but d’envisager la marche, l’action de se déplacer, à travers le champ de l’art, de l’écriture et du design, comme un processus créatif et réflexif.
Rencontré aux Beaux-Arts de Lyon en 2018, nous nous retrouvons aujourd’hui pour Création en cours, en tant que [S] et [I], duo d’artistes et designer, avec la volonté de constituer un groupe de marcheur.euses temporaire et augmentable.
De la promenade à l’excursion exploratoire, nous pensons la marche comme un dispositif critique et pédagogique à la croisée de nos pratiques, à même de proposer des réflexions sur la notion d'environnement, d’écosystèmes, de nécessité, de lâcher-prise, d’autonomie physique et matérielle, de pratiques individuelles et collectives.
La marche comme un processus d’écriture et matière en soi, se fait en action et rend compte. Pensons au récit en duo de Carol Dunlop et Julio Cortazar “Autonautes de la Cosmoroute” ou à François Maspero et Anaïk Frantz dans “Les Passagers du Roissy Express” où suivre la ligne B du R.E.R devient le mobile de l’écriture, avant de faire état des territoires périphériques de Paris. Par l’idée du déplacement, la marche appelle à penser la production in situ. Elle tisse ainsi un lien fort avec le design et devient un moyen d’interroger la notion de matérialité, de nécessité, d’outil, de sa forme et de sa fonction. À travers ces architectures “transitoires”, Laurent Tixador porte un regard critique sur notre dépendance consumériste, les designers Olivier Lellouche et Olivier Lebrun questionnent notre héritage moderne à travers leur projet itinérant De Stihl (destihl.eu).
Convaincus que l’écriture et le design ont un rôle à jouer de transmission et de pédagogie, nous initions notre recherche théorique et pratique par le processus de la marche en duo et par un travail collaboratif avec les enfants. Il s'agit ainsi d’interroger nos références et ce projet en fonction des territoires investis (zones rurales, périurbaines, blanches, etc).
Nous imaginons cette recherche en 3 étapes, modulées par les allers retour effectués à l’école. L’étape 1 est la constitution d’un baluchon théorique et nos mises en route physiques vers l’école. L’étape 2 est la création du groupe de marcheur·ses avec les enfants, qui amène à l’organisation de plusieurs marches, jusqu’à une exposition des expériences menées. Nous envisageons la troisième étape comme la création a posteriori d’une publication des Nouvelles du périple. Dès le début du projet, nous entretenons une correspondance de lettres écrites vers et avec les enfants en vue de constituer, d’imaginer, d’inventer ce groupe de marcheur.ses. Faire récit, se fait tout au long du voyage.
Notre première étape nous amène à réfléchir à l'idée du bagage, du sac à dos, du poids matériel et de celui de la connaissance. Nous concevons un baluchon de voyage numérique sous la forme d’une base de données visuelle et textuelle, relative aux notions de déplacement et de nomadisme: références en histoire de l’art, extraits de récits de voyage, manuel de survie, fabrication d’outil, modèle de vêtements, plans, cartes, image, photo, film, etc. Ce baluchon est une base théorique et pratique. Il prend la forme d’un carnet de route, accessible en ligne, à la manière de la plateforme Royal Garden X Côté jardin, initiée par C.Guiral et B.Domingues en 2019 pour l’exposition “Des attentions”, au Crédac. Créé en amont du voyage vers l’école, d’octobre à décembre, notre baluchon s'enrichit de nos rencontres et de nos déplacements.
Chaque trajet vers l’école est pour nous l’occasion d’inventer de nouveaux itinéraires et de les documenter. Il ne s’agit pas de suivre le chemin le plus court, mais plutôt de jalonner notre venue à travers des étapes d’intérêt définies (site historique, monument architectural, rencontre avec des auteur.ices et praticien·es, etc.).
Sur place (Étape 2), nous explons collectivement l’expérience de la mobilité, entre l’école et ses alentours (comment faire école hors les murs ?). Il s’agit de mêler ateliers théoriques et pratiques, en intérieur et en extérieur, entre l’observation et la réflexion, le faire et l’expérience et de considérer les enfants comme les acteur·rices même de cette recherche (pensons à la pédagogie envisagée dans le documentaire “Le maître est l’enfant” de A. Mourot, 2018).
Chaque atelier débute par le déploiement de notre baluchon. Il permet de donner à voir notre propre évolution tout en devenant un outil pédagogique, vecteur d’envie et de discussions. Ces instants de partage sont envisagés comme des moments de sensibilisation aux questions du design et de l’écriture liés au nomadisme, mais aussi de poser un regard politique, social et critique sur les figures de la marche, dépassant le romantisme (crises migratoires, logement, propriété, frontières, etc.)
Le groupe de marcheur.ses, envisagé comme un véritable «système de laboratoires» (Andrea Branzi, « Global Tools », 2001, tombolo.eu) s’organise par des ateliers pratiques: randonnée et cartographie (principe du sentier et du hors-piste), écriture en marchant, retranscription d’impressions, collecte d’objets, traces laissées et collectées sur le terrain, réalisation d’outils de marcheur.ses; baluchon, bâtons de marche, parures, etc.
À travers ce projet nous aimerions interroger la notion de “groupe”, à la manière de l’artiste contemporaine Ulla Van Brandenburg posant la question de “Qu’est-ce qu’une communauté?”. A contrario du mouvement anglais de randonneurs Kibbo Kift dans les années 1920, nous imaginons les lettres [I] et [S], non comme des éléments d’identité, mais comme des prétextes visuels (typographique, plastiques) qui invitent au faire et à l’imagination des possibles (déplacements, écriture, design). Ainsi, nous constituons au fur et à mesure nos typologies de formes et d’actions, de modularités physiques et langagières. Ces possibilités s'exposent, par la suite, lors d’une restitution, imaginée sous la forme d’une balade (voir la parade des Heralds, conçue par le designer et artiste Paul Elliman, Lyon, 2017), ou d’un campement in situ par exemple. Elle est pensée non comme une fin en soi, mais comme un événement festif, ouvert, inclusif (habitant·es, familles, village, etc.). Comme une étape du parcours collectif, qui montre les traces, les collectes, les productions et écrits du groupe des marcheur·ses.
(Étape 3) Suite à cette expérience, nous produisons une publication éditoriale sous la forme d’un recueil de Nouvelles (écrites et visuelles). L’écriture, le design et le graphisme deviennent à leur tour les outils d’une mise en forme. Claire comme autrice et Côme comme graphiste, sous la forme d’une co-édition par nos maisons d’édition respectives et associées : Revue d’Office et La Conscience du Vilebrequin.
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.