J'ai initié ce projet en janvier 2017. Je l'ai d'abord nommé « Exhumer les reliques du surfing français ». Des articles glanés dans d'anciennes revues de bricolage amateur sont à sa base. Ces articles des années 30 aux années 60 proposent la construction d'objets nautiques principalement en bois à usage récréatif. Ma démarche consiste à chercher ces articles, fabriquer une réplique de l'objet qu'ils proposent puis tester in situ cette réplique. Cette première phase est documentée et analysée et permet le dessin d'une deuxième version de chaque objet, une version contemporaine cette fois, par ses formes, matériaux, usages, etc. Le design, le travail du bois et autres matériaux en volume, la photographie et la vidéo, le sport constituent une liste non exhaustive des disciplines mises en jeu par ce projet.
Ce projet est né du travail de fond que le développement d'une démarche artistique suppose : lectures, rencontres, surf de l'internet, hasard. Soit un processus de recherche. Ainsi, c'est en lisant l'ouvrage "Terre des vagues" d'Hervé Manificat que j'ai commencé à tirer les fils qui m'amènent à cette proposition de projet. "Terre des vagues" est un recueil de textes de toutes origines, époques et styles qui ont en commun de laisser le lecteur interpréter ces évocations de la mer et des vagues selon l'œil d'un glisseur. C'est donc dans ce livre que j'ai découvert les plans proposés par Charles Hanot (Aquaplane dans les Travaux de l'amateur, revue illustré pour les bricoleurs, 1932) et André Picard (Construction d'un surf pour débutants dans Systèmes D, mai 1968). Le premier constat qui a éveillé mon intérêt pour ces articles est le fait qu'ils sont datés d'époques où les pratiques de la glisse sont marginales en France et donc que ces français ont manifesté un désir de jouer dans les vagues, s'inspirant des informations qui pouvaient être décryptées des photographies et textes véhiculés par les médias américains. J'ai ainsi entamé la construction de quatre répliques fidèles de ces objets dans l'idée, d'une part de comparer cette expérience de shape (on désigne par ce mot l'acte de fabriquer une planche de surf, les shapers sont les artisans fabriquant les planches de surf) au shape de planches courantes (mousse polystyrène, fibre de verre) et d'autre part de tester l'efficience de ces objets et de les faire évoluer de manière empirique. Les objets sont donc nés. L'un s'utilise comme une planche de surf, deux sont réservés à l'usage de la glisse tractée, et le dernier à l'usage de la baignade. J'ai testé et fait tester ces objets et en ai analysé les défauts et qualités. Ces résultats ont été injecté dans le dessin de deux objets de glisse plus contemporains et j'ai produit et qui attendent d'être testés (ils exposés en ce moment, juillet 2017). Les tests évoqués plus haut ont été réalisés sur la Garonne et les plages de Gironde dans le cadre d'une résidence de création à Darwin, l'éco-système de la caserne Niel, Bordeaux. Au delà des résultats de leur tests, ces objets ont permis de nombreuses rencontres qui participent à l'évolution de cette recherche : Hervé Manificat, l'auteur du livre, me communique les plans d'autres objets tout aussi incroyables, Gibus de Soultrait, rédacteur en chef de Surfer's Journal France suit de près le projet pour communiquer dans la presse, Gérard Decoster, collectionneur d'objets liés à l'univers du surf et Jean Le Gall écrivain et éditeur expérimentent eux aussi la fabrication de ces objets. Les membres des Marins de la Lune, un club nautique bordelais se portent volontaires pour d'autres tests et Jean-Bernard Nicolas (chantier naval Nicolas, Bordeaux), spécialiste des canots automobiles (Riva, Abbate, Chris-Craft, etc), me communique de la documentation au sujet des aquaplanes qui sont très liés à la culture du bateau runabout. Après cette première entrée en matière dans ce sujet je me rends compte que ces plans recueillis dans "Terres des vagues" n'étaient que l'arbre qui cache la forêt et je suis certain de l'intérêt à développer cette recherche. D'une part je me retrouve totalement dans la démarche empirique des hommes et femmes qui ont proposé ces objets : ils voulaient glisser, émettaient des postulats pour avoir des bases dans le dessin des objets, ensuite ils les fabriquaient puis ils glissaient ! Cet esprit pionnier est ce lui que j'essaye d'avoir dans mes questionnements liés aux pratiques de la glisse (plus connues aujourd'hui comme sports extrêmes plutôt que pour ce qu'elles impliquent culturellement et socialement). De plus, cette démarche de bricoleur et le fait que l'on trouve ces plans en open-source font lien avec un champ du design qui m'intéresse aussi beaucoup et que je pratique : le design libre. En effet, le design libre dont on peut considérer l'italien Enzo Mari comme le père, porte en lui les notions de partages et de transmission. Il permet aussi de démystifier les savoirs et savoirs-faire et encourage le novice à passer à l'acte. De plus, suivant le type de licence choisi par l'auteur d'un objet, les makers suivants peuvent proposer et/ou exploiter des dérivations, déclinaisons ou améliorations, produisant une émulation créatrice. C'est aussi en gardant en tête ces pratiques que je souhaite mener cette recherche. Le projet permet ainsi, en mêlant glisse et bricolage, des explorer des enjeux sociaux liés au fait d'être acteur, de valoriser l'importance de l'acte du Faire. Il ouvre aussi une porte aux joies de la glisse pour les novices souvent intimidés par les codes entourant ces pratiques (technicité du matériel, niveau de surf, communauté voire tribu, etc) et propose un autre regard aux glisseurs avertis sur leurs propres pratiques. Le bricolage peut aussi permettre de faire communier ces personnes issues de différents horizons, l'usage de l'objet récompensant le fait de se lancer dans la construction d'un engin de glisse. Et l'objet que l'on a fabriqué de ses propres mains n'est-il pas celui qui nous procure le plus de plaisir ?
Oise
Par le(s) artiste(s)