Fiction(s) est un projet artistico-littéraire en deux parties.
La première, « oser », vise à dédramatiser la pratique de l’écriture à l’aide de jeux et autres exercices ludiques (ex : cadavres exquis, cut-up, travail sur les expressions et les métaphores), afin que les enfants comprennent combien les mots sont bien plus que de simples vecteurs informatifs.
« Les mots sont comme des cailloux, les fragments d’un minerai qu’il faut casser pour libérer leur respiration. Tout un livre peut provenir d'un seul mot brisé. » (Valère Novarina, dans « Devant la parole »).
La seconde partie du projet, « raconter », a pour but d’interroger nos imaginaires (schémas narratifs vendus partout, ce qui fait une héro·ïne, la diversité des représentations…), pour raconter en conscience une histoire qui prend la forme d’un court texte travaillé au corps pendant plusieurs séances, comme un·e vrai·e écrivain·e.
Le rendu se fera à la fois à l’oral (restitution à la bibliothèque), et plastiquement (les travaux et affiches et brouillons seront encadrés, et réunis au sein d’un fanzine illustré).
Fictions (qui rend hommage au recueil de nouvelles de Borges, du même nom), que je propose aux Ateliers Médicis, s’inscrit dans une démarche entreprise il y a quelques années et qui s’est précisée avec les deux projets sur lesquels j’ai travaillés dans le cadre du master de création littéraire, ainsi qu’à la lecture de Je suis une fille sans histoire (2021) d’Alice Zeniter. Pour résumer, je dirais que la manière dont sont façonnés les grands récits populaires depuis l’Antiquité me chiffonne. Il existe bien sûr des propositions divergentes, celles qui se refusent à être seulement “des histoires de mecs qui font des trucs” (citation de Zeniter). Malgré tout, il semble difficile d’échapper au schéma narratif théorisé par Aristote dans sa Poétique (situation initiale/exposition —> élément déclencheur —> péripéties —> point culminant —> dénouement). Ainsi se perpétue un cercle vicieux, puisque nos préférences s’élaborent à partir de ce qu’on a lu/vu, et vont influencer ce qu’on va vouloir créer (et donc reproduire sans même y penser).
Grâce à cette résidence, et à l’opportunité de travailler avec des enfants, j’aimerais chercher à ouvrir des brèches. Réfléchir avec les élèves, mains plongées dans les mots, manches retroussées, à l’intérêt de raconter autrement, de se sentir représenté, tout en s'aventurant hors des carcans à travers l’expérimentation et l’amusement. Il n’est pas tant question de révolutionner nos manières de raconter des histoires que de stimuler la pensée critique chez la toute jeune génération, ainsi que de la soutenir dans les singularités qu’elle recèle. Car, après tout, les créateurs et les penseurs de demain se trouvent en elle.
Ainsi, à travers la confection de deux fanzines, nous travaillerons en petits groupes sur plusieurs aspects de l’écriture créative – destinées, évidemment, à un jeune public.
J’aimerais aussi que les élèves décortiquent nos propres histoires fétiches (films, contes, romans), en notant à la fois ce qui leur y plaît particulièrement et les points communs et divergents avec celles des voisin.es. Une discussion autour de ces caractéristiques pourra être amorcée afin d’en comprendre les rouages, les bienfaits, les limites, et pour réfléchir à nos héro.ines et modèles, tant dans la fiction que dans la vie courante. Car à mon sens, avoir des modèles, c’est devenir plus large que soi, apprendre plus vite, mieux savoir quelle direction prendre. En ce sens, il pourrait aussi être intéressant de les familiariser avec des outils critiques qui permettent de penser différemment les œuvres (par exemple, le test de Bechdel, intelligible même par les plus jeunes).
Cependant, l’essentiel de ces ateliers sera destiné aux mots. Qu’ils soient découpés, tapés à la machine ou à l’ordinateur, qu’ils forment des dessins, qu’ils soient écrits en phonétique, peu importe du moment que les enfants éprouvent leur organicité. J’ai en tête de nombreux exercices. Depuis les cut-up inspirés de la Beat Generation aux poèmes synesthésiques, en passant par des histoires à inventer à partir de mots proposés par le voisin de table. J’apporterai aussi des références de romans faisant l’usage de métaphores et de comparaisons, pour parler avec les enfants de la force du montrer plutôt que du dire.
Les réponses à ces exercices (une par élève) seront regroupées dans un premier fanzine.
Pour le second, je compte demander aux enfants de récolter de la matière auprès de leur famille. Parents, oncles, tantes, grands-parents, tou.tes pourront leur raconter des anecdotes (de préférence inédites, qui seraient survenues alors qu’iels étaient en âge d’aller à l’école primaire). Cela permettra aux enfants d’échanger avec leurs proches, d’en apprendre plus sur eux, de se rappeler qu’iels ont eu leur âge, tout en se mettant dans les bottes de l’écrivain.e, qui, très souvent, utilise la vie réelle comme inspiration. De là, comme des apprentis auteurs, les enfants pourront inventer une histoire en mélangeant les anecdotes, n’en gardant que l’amorce, le lieu... Le plus important sera de travailler la manière dont ils racontent l’histoire afin d’explorer ce qu’entendait Claude Simon par “le sujet d’un roman, c’est l’écriture”.
Ainsi les enfants pourront s’aventurer dans la relation des mots à la page (est-ce qu’ils dégringolent pour signaler que le personnage tombe par exemple ?), et à leur chair (choisir chaque mot, faire attention au rythme, aux images). C’est en ce sens, peut-être, que pourraient se déployer de nouvelles narrations puisqu’elles n’auront pas été contraintes par un mouvement, ni par les jalons précis qu’on retrouve dans pléthore d'œuvres, même splendides, depuis plus de deux mille ans.
À celles et ceux qui ne se sentiraient toutefois pas à l’aise avec cet exercice, je proposerai un récit de soi à la troisième personne. Ils auront la possibilité de réaliser un autoportrait à partir de leur photographie (que j’aurai prise et imprimée préalablement en un seul exemplaire, qui leur sera restitué). Ils pourront découper dans des magazines des objets qu’ils aiment, écrire des phrases au crayon, déchirer leur visage… Cet exercice, mené dans le cadre d’un atelier d’art-thérapie alors que j’étudiais la psychologie il y a quelques années s’était avéré très libérateur, presque cathartique, en cela qu’il permettait aux enfants de prendre de la distance vis-à-vis d’eux-mêmes et d’envisager différemment leur potentialités. Par la suite, dans le cadre des Ateliers Médicis, j’aimerais leur présenter des photographies de lieux, afin qu’ils écrivent leur arrivée en un endroit inconnu, à la troisième personne – se hissant alors plus facilement au rang de personnage. Ceci peut faire écho au roman que j’écris actuellement, qui me fait plonger dans les archives photographiques de Bosnie.
Par ailleurs, pour ancrer la dimension collective du travail des élèves, en dehors du travail en petits groupes, il leur sera demandé de dessiner le ou la protagoniste d'un récit de camarade, avec la technique qu’ils souhaitent, sur une grande affiche où ils devront s’adapter aux dessins des autres. L’objectif : stimuler l’empathie et rappeler que nous nous inscrivons toutes et tous, malgré nos histoires personnelles, dans un vaste récit collectif.
Aussi, j’aimerais beaucoup que ces fanzines puissent être présentés par les élèves lors d’une restitution orale et ludique dans une médiathèque/bibliothèque/café des environs. Voire dans une galerie, où pourraient être exposés certains de leurs exercices encadrés.
Par le(s) artiste(s)