CHUT ! Écoutez, les choses nous parlent …
« Chut ! » est un ensemble de sculptures parlantes, hurlantes, chuchotantes, eternuantes qui ont leur mot à dire et nous le laissent entendre. Le moment est venu de donner une voix aux choses, leur (re)donner l’usage de la parole.
À quoi ressemble une forme qui bâille ? Que se raconteraient deux choses molles ? Quel bruit fait une sculpture qui se cache sous
un tapis ?
En enregistrant des voix et des dialogues et en dissimulant des enceintes dans des sculptures que nous aurons construites ensemble, nous créerons une installation sonore dans laquelle les visiteurs viendront déambuler et écouter ce qui s’y raconte…
Chut ! est un projet d’installation sonore, une invitation à tendre l’oreille et écouter ce que racontent les formes.
C’est un projet que j’aborde comme la continuité d’un travail intitulé les Choses, enclenché en 2019 pendant mes études à l’École d’Art et de Design de Saint-Étienne. Les « Choses » construisent un répertoire de formes aux potentiels multiples, déployables au sein de différents formats (installation, performance, vidéo, image, objet éditorial …etc.).
À l’image d’un alphabet déclinable en une quantité de mots et de phrases, je rassemble et joue avec les différents protagonistes de cette collection. C’est un inventaire en perpétuel mouvement, dans lequel je ne cherche pas forcément de cohérence esthétique, mais où l’on devine souvent un lien de parenté entre les formes. Le travail de sculpture ne constitue en général que la première étape de mon processus. C’est la vie de ces Choses dans l’espace, l’entrée en contact avec d’autres Choses, vivantes ou mortes, qui m’intéresse.
Le langage est une question relativement récente dans ce travail. Je cherche les moyens de donner une voix, de faire parler les sculptures que je produis. Cet alliage entre la forme, le bruit et le signifié offre aux sculptures une existence propre, les faisant accéder au statut de protagonistes. En plaçant des mots dans la bouche d’une Chose, j’entretiens l’espoir qu’elle s’en empare et devienne autonome.
C’est ce collage entre formes et bruits que je souhaite développer avec des élèves de CM1 et CM2. Ensemble, nous porterons notre attention sur la vie discrète des choses qui nous entourent et explorerons les liens entre corps et parole.
À l’image d’un metteur en scène qui recruterait ses comédien.e.s, nous réaliserons une série de 7 à 10 sculptures, imaginées comme des personnages dotés de l’usage de la parole. Certaines existeront à deux ou en groupe, d’autres seront plus solitaires. Leurs formes découleront d’un travail de dessin et de modelage, et chacune permettra d’accueillir en son sein une ou plusieurs enceintes Bluetooth.
Restera alors à écrire les conversations, les monologues, les bruits qui sortiront de la bouche de ces sculptures. En nous inspirant d’exercices d’improvisation et de quelques œuvres de la poésie sonore, nous déterminerons plusieurs petits scénarios.
Deux sculptures longilignes discutent d’une recette du chou à la crème pendant qu’une troisième s’étouffe avec son chewing-gum.
Une forme cachée derrière un rideau chantonne l’Hymne à l’amour d’Édith Piaf.
Une grosse caisse en bois murmure son plus gros secret…
Il sera intéressant de s’ouvrir à d’autres langues et sonorités que le français. Nous pourrons profiter par exemple de dialectes locaux, de l’italien si proche de la région, ou de l’anglais afin d’enrichir et complexifier l’identité de ces sculptures.
Le langage m’intéresse d’autant plus que je ne me considère pas comme écrivaine. C’est le bruit des mots, leurs couleurs et le goût qu’ils laissent dans la bouche qui en fait pour moi une matière plastique. J’envisage donc ce temps de travail avec les enfants comme une opportunité de partager avec eux le plaisir des mots. Nous prendrons le temps de les regarder et de les écouter, de les susurrer et de les mélanger, de les savourer.
Derrière ces recherches formelles, il y a pour moi un questionnement plus large : Où se trouve réellement la frontière entre vivant et non-vivant ? À quel moment cet exercice ventriloque peut-il s’effacer pour laisser place à une Chose réellement devenue vivante ?
Dans ses entretiens avec Catherine Geel, Andréa Branzi explique le phénomène de l’animisme comme cette « idée que les objets ont une âme, c’est-à-dire une autonomie de vie. », comme « ayant une énergie interne », une « radiation active ». Cette résidence avec Création en cours sera aussi l’occasion pour moi d’approfondir et expérimenter cette « autonomie de vie » des formes que j’ai commencé à aborder pendant mon diplôme. J’ai par exemple pour projet de m’inspirer du livre « Apprendre à parler à une pierre » d’Annie Dillard et de trouver, moi aussi, les moyens de faire parler un rocher. Menées en parallèle des ateliers avec les enfants, ces recherches pourront s’alimenter mutuellement.
Chut !, c’est donc l’histoire de formes qui nous parlent avec leur propre langage. C’est un travail d’écoute et d’attention qui fait l’éloge des bavardages. C’est surtout l’idée que nous ne sommes peut-être pas si seuls au milieu de nos choses …