Carnaval est un hymne à la liberté et à la désobéissance, le renversement des hiérarchies et de ce qui est habituellement admis. C'est une création hybride à la croisée de la radio et de la scène : une fiction radiophonique et théâtrale de l’auteure et metteure en scène Claire Balerdi. Il s’agit de partir en quête d’une esthétique carnavalesque contemporaine à travers l'art sonore, le théâtre et la marionnette. Pour Mikhaïl Bakhtine, le carnaval permet de « donner un aspect du monde, de l’Homme et des rapports humains totalement différent, délibérément non-officiel ». C’est une « fuite provisoire hors du mode de vie ordinaire ». Avec la classe, mais également la maison de retraite impliquée dans le processus, Claire Balerdi poursuivra l'écriture de sa pièce radiophonique, réalisera des portraits sonores de personnes âgées ainsi que des marionnettes en taille réelle. Un grand banquet carnavalesque et une déambulation joyeuse et sauvage.
Carnaval
Fiction sonore et théâtrale par Claire Balerdi, à écouter au casque ou/et à voir sur scène dans le cadre d'un spectacle radio-live.
Carnaval est une fiction sous morphine mêlant prise de son documentaire, portraits sonores de personnes âgées enregistrés en maison de retraite et écriture théâtrale poétique.
« L'origine de notre monde n'est pas dans un évènement, infiniment distant dans le temps et l'espace, à des millions d'années-lumière de nous - elle ne se trouve pas plus dans un espace dont nous n'avons plus aucune trace. Elle est ici, maintenant. L'origine du monde est saisonnière, rythmique, caduque comme tout ce qui existe. »
-- COCCIA Emanuele, La vie de plantes. Une métaphysique du mélange, Editions Bibliothèque Rivages
L'origine du projet Carnaval
Pendant environ six ans (entre 2009 et 2015), j’ai griffonné dans des carnets des morceaux de vie avec mon père, alors gravement malade. Un cancer s’était emparé de lui et il commençait à travailler du chapeau. Pour autant, il n’a jamais été autant lui-même que dans ces interstices, ces fulgurants moments où nous avons ri, joué, où nous nous sommes échappés d’un quotidien anxiogène rythmé par les traitements. Dans les couloirs des hôpitaux, lorsqu’il n’y a plus rien à perdre, se met en place un véritable carnaval. La mort était la dernière aventure qu’il lui restait et il l’a partagée avec moi. Lui qui, depuis gamine, a toujours été le complice de mes aventures, m’en proposait une dernière et c’était véritablement le casse du siècle tant son butin était précieux. Il m’a offert l’inestimable : ressentir ce que « vivre vraiment » veut dire. Carnaval puise donc dans cette période. Il marque la fin d’un cycle et le début d’un nouveau. Il s’agit d’une fuite face à la brutalité du réel, une fantasmagorie. Je crois qu’il aurait aimé ça, être le personnage d’une de mes histoires… Pour qu’encore, au-delà de la mort, le jeu continue !
Le carnaval ou comment se soustraire aux contraintes du quotidien par le renversement de l'ordre établi, le désordre, l'ensauvagement
Ecrire une fiction sonore et théâtrale qui se déroule dans l'enceinte d'une maison de retraite, c’est imaginer « ce qui se passe chez un groupe de personnes dont on dit qu’elles sont « hospitalisées à vie », sans trop oser en conclure qu’elles seront, surtout, « hospitalisées à mort » » comme le dit Georges Didi-Huberman dans son ouvrage Peuples exposés, peuples figurants. Comment habiter le vide ? Que faire face à l’absence d’avenir ? En célébrant le carnaval, cette « fête que le peuple se donne à lui-même » selon Goethe, nous offrons aux vieux personnages de notre fable une dernière fête, jouissive et contestataire. Par la fiction, nous recréons du possible, expérimentons malgré l’état affaibli des corps. Le rire carnavalesque est rassembleur. Il offre la possibilité de se soustraire aux contraintes du quotidien. Notre oeuvre carnavalesque, située à la frontière de l'émission radiophonique et du spectacle théâtral, vient faire irruption dans la vie réglée. Il s'agit de travailler par le son et l'écriture théâtrale sur l'idée de débordement.
« Saisir ce qui nous semble parcelle d’humanité […] pas l’humanité en général ou l’universelle humanité, mais bien l’humanité entièrement effective et intensément à l’œuvre dans le seul effort d’un instant lever ses yeux vers l’autre. »
Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants.
Culture populaire et création contemporaine
Le carnaval permet la rencontre du familier et du solennel. Il s’agit de travailler sur une esthétique de l’impur et du difforme. Les oppositions constituent le socle de notre matière textuelle et sonore. Nous chercherons à allier sur le même plan des contraires. Nous puiserons dans la culture populaire sans peur du laid ou du mauvais goût. Notre écriture se joue du bon goût. Elle assume le kitsch. Nous faisons coexister profane et sacré. Nous utiliserons des matériaux pauvres tant dans le travail plastique que dans l’écriture textuelle et sonore. Ainsi, nous explorerons le langage familier, la chanson grivoise, le jingle publicitaire, la sirène de l’ambulance, etc., tous ces matériaux qui émanent du bas et du commun et que l’on souhaite habituellement tenir loin du « Grand Art ».
La place de la marionnette : « deux corps réunis en un seul »
Carnaval se construit sur des frontières incertaines et mouvantes entre réel et imaginaire, vie et mort, animé et inanimé. La relation entre le marionnettiste et sa marionnette nous ramène au monde de l’enfance et au jeu avec la poupée. La marionnette, cet objet auquel nous donnons vie, devient ici le prétexte pour travailler sur la vieillesse. Nous souhaitons fabriquer des personnages âgés et travailler sur l’émotion que déclenche cet élément scénique, nous concentrer sur la dépendance physique et sur la relation intime entre pensionnaire âgé et aidant. Lorsque l’on ne peut plus se débrouiller seul pour accomplir les gestes de notre vie quotidienne (se laver, manger, se coucher), d’autres corps viennent nous y aider. On peut alors parler selon Bahktine de « deux corps réunis en un seul ». Comment les soignants manipulent-ils les corps âgés ? Par quels gestes précis et techniques ? Nous voulons créer des saynètes et chorégraphies à partir de ces gestes de soins, en travaillant sur leur lenteur, leur douceur mais aussi, parfois, leur rapidité et brutalité…
Célébrer les cycles
La mort, selon la culture carnavalesque, est génératrice de vie. Elle est prise dans un mouvement permanent. Bakhtine indique que « grâce au carnaval, le monde se détruit pour renaître, la mort est incluse dans la vie ». La conception du temps cyclique annule l’idée même de fin car tout n’y est que renouvellement, perpétuation. La mort n’est plus une fin mais une « phase nécessaire, de condition de rénovation et de rajeunissement permanents. Naissance-mort, mort-naissance sont les phases déterminantes (constitutives) de la vie même ». La présence du personnage de l’ours dans notre dramaturgie vient appuyer cette dimension cyclique. Selon certains récits folkloristes, dont ceux rapportés par l’ethnologue Claude Gaignebet (cité par Pacôme Thiellement) : « L’ours sort de sa caverne et c’est le moment aussi où les morts sortent. L’ours pète et les morts sortent par le souffle du pet de l’ours ». Nous recyclons ce récit pour faire de l’ours un personnage étrange venant amuser les vieux pensionnaires par des tours de magie, des gags et démonstrations farcesques de coussin péteur. L’ours est porteur d’un rire satirique et joyeux qui « chasse la peur des forces naturelles et surnaturelles, des pouvoirs religieux et politiques, des interdits autoritaires et de la mort qui prend un air bouffon ».
Pyrénées-Atlantiques