Apocalypse – mode d’emploi tente d’en finir avec le monde en l’étouffant sous la végétation. Le spectacle suit le trajet de 2 jardiniers : l’un misanthrope et bavard, l’autre taiseux et contemplatif. Le premier, dans sa chambre, compose le roman d’une résistance botanique et nous fait entendre les diaboliques projets qu’il fomente pour faire craquer le monde sous les mauvaises herbes. Le second dessine, danse, plante, cueille et compose le tableau d’un jardin florissant. Sans aucun mot, il fait apparaître le paysage d’un monde qui n’aurait plus besoin de finir et dans lequel nous pourrions vivre. En 2 plans scéniques distincts, le spectacle construit des expériences pour insérer les mauvaises graines d’une révolte miniature, ridicule et joueuse, dans le paysage du quotidien. Le projet est composé à partir du roman Ruines-de-Rome de Pierre Senges et des représentations visuelles de l’Apocalypse et du Jardin d’Eden. Les élèves, apprentis jardiniers adventices, construisent la scène.
« Apocalypse : un manuel pratique à l’usage de ceux qui désirent anticiper, même de façon artisanale, la Fin des Temps. »
«…désormais l’apocalypse est l’ordinaire cours des choses… »
Pierre Senges, Ruines-de-Rome
Apocalypse – mode d’emploi est un projet né de la lecture du roman de Pierre Senges Ruines-de-Rome. Le roman raconte l’histoire d’un jardinier misanthrope qui décide de faire l’apocalypse par les plantes. Il le dit très clairement, son but est bien d’en finir et pas de refaire une sorte d’Eden. Les plantes qu’il aime, ce sont les mauvaises, celles qui poussent en détruisant tout sur leur passage, qui font craquer les murs et qui se nourrissent aux angles des déchèteries et des usines.
« Ouvrir à n’importe quelle page un dictionnaire des plantes sauvages suffit pour offrir au jardinier, presque exhaustive, presque disponible comme une pluie qu’une simple prière appelle, un troupeau de serviteurs fidèles, ou d’alliés potentiels, de ressources apparemment inépuisables. »
Derrière l’idéal d’apocalypse se cache l’utopie d’une résistance aux violences du monde contemporain. Mais le jardinier de Pierre Senges est méchant. Il ne veut pas sauver l’espèce humaine, seulement l’ensevelir sous la végétation : quelques graines, des noyaux de fruits et la main verte. Il faudra alors tout l’humour et toute la joie botanique de l’auteur pour essayer de voir autre chose qu’une catastrophe.
Le livre de Pierre Senges est construit comme un herbier et suit le parcours et les aventures du personnage qui est aussi un fin lecteur. Dès le départ, son apocalypse se fait en lisant la Bible, mais à l’envers, ce qui complique un peu toute l’affaire : « le jardinier que je suis devenu se demande si la lecture de la Bible, prise par la fin, a inspiré son jardinage ou si, au contraire, son jardinage l’a conduit à éplucher les deux Testaments avec l’espoir de trouver dans ces pages un calendrier des semis, un éphéméride des récoltes ou quelques conseils aux profanes ».
En lisant la Bible à l’envers, son Apocalypse ressemble de plus en plus au Jardin d’Eden et manque de pot, celui qui voulait en finir, se trouve peut-être en train de commencer… Tout ça, sans compter que le dit-jardinier a fortement tendance à remettre tout au lendemain… et que l’apocalypse est menacée ou vivifiée par la procrastination… Les plantes prennent leur temps et peut-être est-ce nécessaire.
C’est à partir de cette fiction de fin du monde, délirante, érudite, comique et joyeuse que j’ai imaginé le projet.
L’espace scénique est divisé en deux plans :
Le premier plan est celui du jardinier écrivain. Il compose, fomente, rédige, énonce, reprend le récit de ses apocalypses botaniques. Son récit se fait à la première personne sous la forme de brèves réflexions qui forment un mode d’emploi à usage collectif pour prolonger ses tentatives. Sur la scène, il interprète des extraits du livre de Pierre Senges, s’essaye à lire la Bible à l’envers, reprend les légendes de fins du monde et liste oralement les plantes sauvages, leurs formes et leurs pouvoirs.
C’est un jardinier revêche, désagréable, malveillant et l’acteur qui l’incarne ne bougera pas de sa petite table à l’avant-scène, tout au long du spectacle. On l’entendra trifouiller, rire, hurler, marmonner. On écoutera son apocalypse et on le verra dormir, fatigué d’avoir trop rêvé la fin du monde. Peut-être aussi, qu’il tombera amoureux et que, par erreur, son apocalypse botanique finira en jardin des délices : oublié la catastrophe, exit le renouveau. Il est la voix de la littérature et des histoires.
Au second plan, le plateau est l’espace où se réalisent les projets fomentés au premier plan. Un autre personnage - tout autant jardinier - se livre à des expérimentations botaniques, plastiques, musicales et chorégraphiques comme autant de tentatives successives pour faire pousser les graines de la révélation. Ce second plan est non-verbal et les actions que produit l’interprète sont autant de tableaux inspirés de grandes fresques médiévales (tenture de l’Apocalypse, vitraux de la cathédrale de Bourges), de tableaux canoniques (Le Jardin des délices de Jérôme Bosch, La Chute de l'homme de Lucas Cranach) que des imaginaires conventionnels de fin du monde. Cet espace est aussi l’occasion d’essayer un autre rapport aux herbes et aux plantes, d’en faire des compositions pour la scène qui modifient la perception du bâtiment théâtral et de la cage de scène. Il est le corps et les sens. Il recompose le paysage.
Parfois la scène non-verbale et les élucubrations du premier jardinier se rencontrent, parfois elles s’éloignent et se contredisent. Le spectacle est composé de l’alternance de ces deux plans ou de leur superposition. La voix guide le récit mais l’image vient perturber la perception des spectateurs, proposer d’autres lignes de fuite, d’autres tentatives. Nous travaillons sur une dissociation du texte littéraire et du tableau scénique en cherchant à provoquer des chocs entre ces deux espaces de récits. Le tableau non-verbal au second plan mène son propre récit indépendamment du texte littéraire. Il parcourt l’histoire de l’art et les différentes compositions botaniques pour tenter de saisir quelque peu l’idée de résistance par la mauvaise herbe. Le projet livre ainsi une réflexion sur l’écologie et l’imaginaire du temps long.
Ce mode d’emploi scénique permet d’aborder trois écritures différentes :
- L’écriture littéraire : Pierre Senges, les textes mythologiques de commencements et de fin du monde, les poésies florales et des manuels de botanique.
- L’écriture plastique : les différentes représentations des jardins et des herbes sauvages : de l’herbier au tapis persan en passant par le jardin planétaire du paysagiste Gilles Clément.
- L’écriture chorégraphique et musicale : l’interprète du second plan danse et orchestre physiquement une fresque botanique d’une apocalypse ratée mais joyeuse et colorée.
Ce projet sera diffusé sous la forme d’un spectacle de théâtre.
Nous répéterons en deux temps, le premier consacré aux textes et au premier plan du spectacle, le second à la partition plastique et chorégraphique. Les deux étapes seront ensuite assemblées. Le spectacle fera appel à d’autres artistes : un dramaturge (Victor Thimonier), deux acteurs, un jardinier-paysagiste, une créatrice sonore, une créatrice lumière. J’aimerais que chacun prenne le temps de regarder les plantes pousser et de développer sa résistance botanique et comique.