« Amour(s) » trouve son premier souffle dans ce qu’il y a de touchant et de drôle à parler d’amour avec un enfant. De relations amoureuses. Il s’agira d’une forme vidéo proche du court documentaire de création, qui se construira empiriquement à partir d’interviews d’enfants, de conversations, peut-être de mises en scènes, et qui tentera de faire, de manière simple et sensible, un portrait du sentiment amoureux. Par essence il ne sera qu’une tentative, parce que l’amour on en tire difficilement le portrait, mais c’est de cette volonté de rester un essai qu’il tirera sa force, dans l’acceptation de la vanité de l’entreprise, qu’il trouvera ses codes et son humour. Ce sera l’histoire d’une grande personne qui va chercher des réponses à ses problèmes sentimentaux dans les mots des enfants et dans leur imaginaire.
L'entreprise documentaire et les enfants ont en commun leur grande faculté à produire de l’inattendu, du spontané et du lumineux. Leur rencontre ne peut que généreusement décupler ces forces. -- Tu t’appelles comment ? Et tu sais ce que c’est toi, l’amour ? Tu pourrais me l’expliquer ? Et alors toi, tu as déjà été amoureux ? Comment tu l’as su ? Et en ce moment, tu aimes quelqu'un ? Est-ce que tu te sens différent quand tu es amoureux ? [...] -- Je trouve drôle le rapport des enfants à l’amour ; tour à tour il les gêne d’en parler, les rend hilares, excités ou réfléchis. Des fois ils semblent conscients de ce que c’est, des fois n’en ont qu’une vague idée. Certains l’imaginent merveilleux, d’autres répugnants. Mais pour beaucoup avant 11 ans, il est davantage un concept qui les fait déborder d’imagination qu’une idée concrète. Il place dessus les mots qu’ils ont entendu, des images qu'ils ont rencontré, mais qui ne leur appartiennent pas toujours. Souvent, enfant, on « joue » à l’amour. A la maison des frères et soeurs rejouent les disputes des parents, à l'école primaire les idylles se font et se défont sans incidences dans les cours de récrés, certain.e.s ont trois amoureux.ses, cinq, dix, d’autres, désintéressés, n'en ont aucun.e : ça n'a pas d'interêt. C'est passionnant de les écouter parler d’amour, avec ce que ça a de drôle et de parfois cinglant. Dans le discours d'un enfant soudain peuvent ressurgir les mots de ses parents. Parfois ce qui semblait relever de l’anecdote devient plus grand ; plus touchant ; un enfant qui parle d’amour peut nous parler de nous, de nos propres histoires. Poser aux enfants des questions sur l’amour et les relations amoureuses, individuellement puis en groupe, peut générer, je pense, des conversations passionantes, des discours magiques et singuliers. "Pour parler d'amour" à cette ambition là de générer des échanges vivaces, et que cette vivacité là se retrouve dans le film, dans l'image, le montage, le son. Qu'il y ait en lui quelque chose d'éclatant, comme la lueur dans l'oeil de l'enfant qui est en train de braver un interdit. Je pense au travail de Rineke Dijkstra, « I can see a woman crying », installation vidéo dans laquelle elle filme des enfants d’une même classe face à un tableau de Picasso au musée, et leur demande ce qu’ils voient. Partant de cette peinture d’une femme qui pleure, ils prennent la parole tour à tour, se demandent pourquoi elle pleure, réfléchissent à toute sorte de raisons ; une rupture, un deuil.. Ils commencent à s’inquiéter pour elle, finalement cherchent des solutions pour qu’elle ne pleure plus. La femme du tableau devient l'incarnation de toutes les personnes qu'ils ont pu voir pleurer dans leur vie, eux compris. Je trouve ce projet très beau, d’une idée simple jaillit un mouvement sensible et libre qui me touche. Valérie Mrejen a également réalisé une série de vidéos, toutes partant du même dispositif ; elle filme des enfants face caméra, à qui elle pose des questions ; sur les animaux qu’ils connaissent, les expressions françaises, des films qu'ils ont vu.. Leurs réponses sont drôles, explosives, touchantes. Malgré eux les enfants dévoilent beaucoup sur leurs relations fraternelles ; sur leurs origines sociales, le contexte familial dans lequel ils évoluent. On rit beaucoup et, avec tendresse, on se rappelle notre enfance. Enfin je pense au film très court de Ana Maria Gomez, "A trois tu meurs", dans lequel on voit des enfants « mimer » face camera et à la demande de la réalisatrice, « leur première image de la mort ». L'un feinte un arrêt cardiaque, un autre, la main comme pistolet, se tire une balle dans la tête, etc. . Certains sont à l'aise avec leur corps, confiants, d’autres sont plus réfléchis, hésitent. Les grands timides ont des mort très discrètes ; l'une s'allonge par terre, elle tourne la tête à droite, ferme les yeux : ça y'est, elle est morte. Un autre va gémir, hurler à la mort pendant 30 secondes entières avant de s'éteindre. C’est drôle et ça raconte des tas d'histoires. Ca nous dit, entre autres choses, ce que ces différents enfants, du haut de leur 8 ans, savent ou ne savent pas déjà de la mort, ça nous dit leur rapport à eux, à la gêne. On dirait que certains sont nés avec une caméra les filmant, quand d'autres semblent paralysés par sa présences. Ces divers travaux sont dans un coin de ma tête, ils disent beaucoup sur la capacité des enfants à « faire le film », à l'emmener là ou la réalisatrice elle même ne s'attendait pas à aller, ils créent du spontané et déjouent les attentes. J’aimerais passer deux mois en résidence artistique dans une école et partager mon temps entre le tournage de ce court documentaire, qui demandera à aménager des temps d’interview et de conversation avec les enfants et, en parallèle, mettre en place des ateliers avec ces mêmes enfants. L'un comme l'autre, inévitablement, grandiront et évolueront au fur et à mesure de mon travail et de mon implantation dans l'école. L’idée des ateliers sera de créer des minis fictions cinématographiques, comme des saynètes, autour du sentiment amoureux. En partant de leur écriture jusqu’à l’étape finale ; le montage. Il s’agira, dans un coin de l’école, de recréer un petit studio de cinéma, dans lequel on élaborera nos décors, nos lumières, on réfléchira à nos cadres, on répétera nos textes. Ce sera notre bulle de travail, un endroit pour nous. A chaque atelier suffira sa peine : quand nos courts scénarios seront achevés, les questions de jeu seront abordées, de comment on joue au cinéma, en quoi c’est différent du théâtre. On réfléchira à l’image, à l'importance du cadre, aux questions d’échelles de plans, de couleurs et de lumières, aux décors, aux costumes et à la mise en scène. Bien sur, on réfléchira en mouvements, à travers le faire, qui est la plus féconde des méthodes de travail. Puis viendra enfin l’étape du tournage, qu’on aura préparé au mieux, et pour lequel il serait heureux de faire venir un.e directeur.ice de la photographie et un.e ingénieur.e son, qui se feront bien sur assister par des enfants, et qui donneront à notre travail une envergure presque professionnelle. Cela invitera les enfants à se projeter dans les conditions d'un tournage de cinéma. Tour à tour il seront acteurs, cadreurs, metteur en scène, chef décorateur, chef électro… L'idée est de déshabiller les films : que les enfants voient comment c'est fait à l'intérieur, comment ça se fabrique, tout en gardant centrales les questions plus artistiques et créatives liées à l'écriture et à la mise en scène. Par la suite les saynètes seront montées ; peut être seront elles intégrées à mon documentaire, peut être pas, mais il serait idéal que nous puissions, avec les enfants, faire une restitution de notre travail à l’école ; comme une avant-première. Avec un vidéo-projecteur, un grand écran et un public d'élèves, de personnels et de parents. L’écriture des minis scénarios sera un temps crucial dans les ateliers, dont dépendra la pertinence de la suite. Bien sur, parler d’amour, et d’autant plus avec des enfants, c’est ouvrir grand la porte aux clichés, aux ricanements, à la mièvreur peut être. Je pense qu'il ne faut pas s'en effrayer. Sans leur tourner le dos, il s’agira de les manier avec intelligence et avec humour quand ils nous rattraperont. On partira, pour écrire, de situations observées par les enfants ; chez les adultes, au cinéma, dans leur propre vie, on partira d’image que j’apporterais; photographies, tableaux ; et on laissera aller notre imagination.
Orne
Par le(s) artiste(s)