Territoires de l’oubli : se raconter pour se rencontrer

Territoires de l’oubli : se raconter pour se rencontrer

Le

Après un mois de résidence et une épaisseur de liens très dense, ces sept femmes Yézidies et l’artiste architecte et réalisatrice Sara Harakat présentaient le fruit de leurs échanges à La Chapelle Notre-Dame-de-Lourdes de Saint-Chély-d’Apcher. L’occasion de se présenter et de créer du lien avec cette communauté arrivée en mai 2019 dans cette ville de moins de cinq mille habitants.  

L’exposition, conçue comme un chemin en écho aux trajectoires traversées par ces femmes et leurs enfants, est un mélange de dessins, de photographies, de cartographies, de chants Yezidies enregistrés ou même performés en live. « Une narration fragmentée qui explore les notions de mémoire de frontière et d’exil à travers le récit de femmes réfugiées Yézidies et leurs enfants venus d’Irak » détaille l’artiste dans un paragraphe introductif à l’exposition.

Une habitante se penche sur les épingles rouges, vertes, bleues , jaunes placées sur une carte et reliées entre elles par un fil de laine. Ather, neuf ans, s’approche spontanément pour lui expliquer: « ici c’est le mont Sinjar en Irak, sur la carte. Voici notre épingle avec ma mère et on a fait ce trajet. » Ather et l’architecte et réalisatrice, Sara Harakat, sont devenus très proches ; il insiste auprès d’elle « tu viens chez nous après ok ? » On comprend, en l’écoutant, que cette résidence a surtout été l’occasion de la création de liens forts. « On est partis pique-niquer deux fois. Regarde cette photo, c’est moi qui l’ai prise! Là c’est ma maman! Je ne sais pas pourquoi tout le monde pleure, pourquoi tout le monde est ému aujourd’hui. »

Sara, les yeux humides, a préparé une surprise pour les mamans dans la crypte sous La Chapelle Notre-Dame-de-Lourdes qu’elle a illuminé de mille bougies : un moment de recueillement auprès des portraits de leurs maris perdus, qu’elle a disposés au centre de la crypte. « C’était beaucoup d’émotion cette résidence parce que tu arrives sur un territoire avec des mamans qui sont encore en train de se reconstruire. C’était pas évident de gagner leur confiance et aujourd’hui je repars avec le cœur serré. J’ai l’impression d’avoir sept nouvelles mamans. »

Au fil des ateliers, ces femmes expriment la défiance ressentie à leur encontre ; le but de cette exposition c’était donc de se présenter mais aussi de créer des relations. Pari réussi puisque des numéros de téléphone s’échangent et des questions s’élèvent comme celle de cette responsable du Secours Populaire à propos des chants entendus. S’il y a encore une fine barrière dans les moyens de communiquer, Sara répond  : « ces chants, c’est aussi une façon de faire le deuil... même en étant dans leur pays, elles se sont toujours cachées, elles ont toujours été persécutées. Vous les voyez aujourd’hui merveilleuses, avec des vêtements qui brillent de mille feux mais elles ont vécu des choses douloureuses et difficiles à surmonter tous les jours. Elles ont besoin de votre soutien. » Chaque femme et enfant se succèdent au micro pour se présenter, avant d’inviter l’assemblée à la dégustation de mets préparés par leurs soins. « C’est fort de voir comment cette culture et cette religion, qui ne passe que par la transmission orale, parvient à perdurer »  admire Sara, qui tenait absolument à sortir du prisme par lequel est toujours mentionnée la communauté Yézidies depuis 2014, à savoir celle des persécutions et exactions commises par Daesh.

Si aujourd’hui le député, la préfète ou encore la mairie ont fait le déplacement, tout n’a pas été facile pour monter l’exposition; il a fallu se débrouiller pour trouver un lieu. C’est grâce à une rencontre fortuite avec Marguerite, paroissienne de cette chapelle, que ce lieu a été possible pour l’exposition. Marguerite a d’ailleurs proposé aux femmes de venir quand elles le souhaiteraient.

Pour Maëva Chaplain, responsable nationale du projet culturel pour le pôle « accueil Réfugiés » de l’association Habitat et Humanisme, il y a une sorte de thérapie par l’art dans cette résidence: « ce travail a été comme une catharsis ; ces ateliers ont pu libérer la parole autrement que dans la formalité d’un cabinet de psychologue. Ces sept mamans sont venues régulièrement , il y a eu une adhésion forte au projet, ce qui est rare. Je pense que ça tient aussi à la personnalité de Sara qui était vraiment là avec le cœur. »

Sara a cependant pris soin de ne pas axer tous ces ateliers autour d’un travail de restructuration ; « il y a eu aussi des temps plus ludiques. Comme lorsqu’elles se sont tiré le portrait de l’une et l’autre. Au début, elles restaient une heure et, de plus en plus, je sentais qu’elles s’attardaient. » L’artiste a prévu de revenir en octobre pour présenter le court-métrage tourné pendant cette résidence, qui traitera de spiritualité. Elle sait que d’ici là, elles garderont contact.