Zine Andrieu

Reportage à l'association Ciné Passion en Périgord avec Zine Andrieu

Par Lucas Roxo

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Reportage et entretien de Lucas Roxo sur la résidence Transat de Zine Andrieu intitulée Dunya.

À la lisière entre le documentaire participatif, la création 3D et le récit intime, la résidence de Zine Andrieu a pris une forme hybride, en écho à l’univers riche et tentaculaire de l’artiste. De retour dans son quartier d’enfance, le Vignaud, en banlieue de Périgueux, Zine Andrieu a passé l’été à arpenter les ruelles de son enfance à la recherche de traces du passé, alors que le quartier est au début d’un processus de rénovation urbaine qui va changer durablement sa physionomie. Composée d’échanges avec les habitants et d’un travail de composition personnelle, sa résidence débouche sur un film, Dunya, qui mêle son histoire intime avec celle des banlieues françaises.

  • Peux-tu nous parler de ton parcours artistique jusqu’à la résidence Transat ?

J’ai grandi dans le quartier du Vignaud, en banlieue de Périgueux. Petit, j’ai eu la chance d’avoir un père qui regardait beaucoup de films, et donc je me suis passionné pour le cinéma. En arrivant aux Beaux Arts de Bordeaux, je me suis d’abord tourné vers d’autres formes artistiques plus proches de l’art contemporain, comme l’installation ou la performance. Mais quelle que soit la forme artistique, dès le départ, j’ai souhaité mettre en avant les histoires et l’esthétique qui avaient bercé mon enfance et mon adolescence. J’ai baigné dans des références culturelles étroitement liées aux quartiers populaires : les animés, les manga, les jeux vidéos. Ma construction esthétique est passée par là, et mon enjeu a rapidement été de mêler ces références avec mon vécu afin de créer un univers qui soit accessible pour mes proches. J’ai compris que la meilleure manière de raconter mon histoire, et celles de nos quartiers, était de passer par ces médiums populaires que sont les manga et le cinéma. C’est là que Transat représente un point de bascule dans mon parcours. Dans ma construction artistique, j’ai d’abord privilégié le travail autour de mon histoire intime, et ici, pour la première fois, je la confronte aux regards de mes proches et des habitants de mon quartier pour en faire un film.

  • Comment s’est déroulée ta résidence au Vignaud ?

L’enjeu de la résidence était de réaliser un film qui soit à la fois intime et co-écrit avec les participants. Même si je me suis éloigné du quartier au fil de l’adolescence et du passage à l’âge adulte, mais c’est cet endroit qui marque mes débuts dans cette vie (la dunya, qui donne son nom au titre de la résidence). Je voulais créer un écho entre la vie de mon frère, qui est né et est mort dans ce quartier, et l’histoire des habitants du Vignaud, qui 17 ans après la mort de mon frère, est menacé par un projet de rénovation urbaine qui va détruire la moitié des logements. À l’origine, il y a cet événement que j’ai appelé “l’Éclipse d'Halloween". Il y a dix-sept ans, la même nuit, dans des endroits différents, des centaines de prisonniers sont tués ou endormis ; Zyed et Bouna, eux, meurent pourchassés par la police. Dans mon univers, ces deux événements sont liés à une éclipse dans le ciel. Mon film est un conte qui part de cet événement et qui rapproche le destin de chacun des personnages du présent à cet événement. Pendant la résidence, mon objectif était de créer des moments d'échanges entre cet univers et les histoires des habitants. J’estime que chaque pratique artistique se doit d’opérer un décalage : partir de récits authentiques pour construire ou les mêler à un récit de fiction reflète le décalage que j’essaie d’opérer. C’est ce que j’avais envie de partager avec les miens. La résidence s’est centrée autour de deux moments de transmission et de partage. D’abord, des discussions individuelles ou collectives avec une dizaine d’habitants, qui ont échangé sur leur histoire, leur rapport au quartier et à ce qui s’était passé ici. Ensuite, un travail plus individuel avec un ami d’enfance de mon frère, en prenant comme point de départ une lettre qu’il lui avait envoyée lorsqu’il était en détention. C’est la lettre qu’on voit dans la vidéo.

  • Comment fais-tu pour mêler ces histoires personnelles avec l’événement majeur qui préoccupe les habitants du quartier en ce moment, c’est-à-dire la rénovation urbaine ?

Dans le film, un acteur, Nagim parle du désamiantage du quartier. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’amiante est interdite depuis 1997, mais le désamiantage n’a pas été à la même vitesse partout. Au Vignaud, il y a encore beaucoup d’amiante, et on ne sait pas si la destruction des bâtiments ne va pas rejeter des matières toxiques dans l’air. C’est une tendance générale, puisque de nombreux quartiers populaires se retrouvent dans la même situation. C’est ce que j’ai voulu matérialiser dans mon film : dans les quartiers, la mort rôde. L’amiante, la destruction des bâtiments, la disparition de proches, en sont des illustrations. L’un des enjeux de mon univers, c’est de raconter cette autre histoire des banlieues de France. Le Vignaud, situé en zone rurale, est très différent de la plupart des quartiers plus médiatisés, souvent situés en périphérie de grandes villes telles que Paris ou Marseille. Mais il fait partie de cette même histoire en raison d’éléments systémiques qui relient ces territoires et ces populations. Le projet de film que j’ai mené pendant ma résidence Transat est une étape dans cette grande histoire que j’essaie de construire. La conclusion de cette résidence, c’est un film de 30-35 minutes qui va mêler des images documentaires, des images de fiction, et des images de synthèse. C’est une manière d'entrelacer les notions de réel et fictif, et de faire un pas de plus vers cet objectif que je partage avec d’autres artistes, celui de replacer la culture française au sein de la culture manga. Représenter des personnages racisés et issus de l’immigration coloniale permet à ces constructions narratives et esthétiques que l’on consomme depuis qu’on est tout petits de représenter nos histoires. Redéfinir la part religieuse de ces œuvres me paraît en être aussi un point important, et le film s’inscrit dans cette ambition.

Pour sa troisième édition, Transat, le festival des résidences d'artistes, accompagne 97 projets portés par des jeunes artistes. Ils et elles partent en résidence entre juin et septembre 2022 dans toute la France.