« La lumière c’est la vue », « la lumière c’est la vie ».

« La lumière c’est la vue », « la lumière c’est la vie »

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« C’est un peu la nature et moi j’aime bien ça, la lumière ! » raconte cette voix de petite fille. Parler de lumière, c’est parler « d’arbres », de « champignons », de « bestioles », de « sangliers », de « plantes », ou même de fascisme ; c’est revivre un bout de sa vie en plongeant dans ses souvenirs. C’est toucher à l’intime. La résidence à Vienne (Isère) d’Élodie Elsenberger et de Maxime Prangé avait pour thème la recherche du sentiment lumineux. Insérée dans le programme Transat mis en place par les Ateliers Médicis et le ministère de la Culture, elle a duré près d’un mois ; les artistes restituaient leurs travaux aux participant·e·s ce mercredi 19 août 2020.

« En parlant de lumière, beaucoup de résidents de l’EHPAD nous ont parlé de la guerre, de la façon de percevoir et de vivre la lumière à cette époque » raconte l’artiste. C’est d’ailleurs la voix d’un vieil homme qui ouvre ainsi la restitution qu’Elodie et Maxime proposent cet après-midi du mercredi 19 août à la Maison d’Enfants à Caractère Sociale (MECS) des Guillemottes à Vienne (Isère)… Tout en sons et lumières.

A la recherche de l’impact de nos expériences de la lumière, Maxime Prangé (30 ans) et Elodie Elsenberger (29 ans) ont exploré l’existence d’un sentiment lumineux du territoire dans trois espaces de Vienne : cette MECS, la maison relais de la Traille et l’EHPAD Notre-Dame de l’Isle. Pendant plus de deux semaines, ils ont récolté les souvenirs et questionné les impressions de 45 personnes, âgées de 7 à 95 ans.

Comment la lumière redéfinit notre environnement et notre façon d’être au monde ? Les deux artistes, passés par l’ESAD de Reims, développent ce projet depuis trois ans.

« Nous avons posé les mêmes questions à toutes les personnes que nous avons rencontrées : quel est votre rapport à la lumière ? Vous souvenez-vous d’une lumière spéciale dans votre vie ? D’une sensation liée à la lumière ? Y-a-t-il une lumière propre à Vienne ? » raconte Élodie.

Cet après-midi-là, petits et grands composent le public et la lumière est forte à l’extérieur. Dans la salle de sport mutée en atelier d’artiste le temps de la résidence, les volets ont été soigneusement fermés pour ne laisser jaillir que la lumière des dispositifs conçus et installés par Élodie et Maxime.

C’est à partir des récits et collages collectés qu’ils ont scénographié la lumière, en utilisant un système d’éclairage spécifique, qui résonne avec les souvenirs, les sensations, le vécu des personnes rencontrées.  « On avait déjà tout notre “Atelier de l’Éclaireur”, réalisé pendant la résidence de Création en cours ; grâce à ce kit, on a pu mettre ces récits en narration » expliquent-ils.

Pour récolter ces sentiments lumineux, les artistes ont finalement opté pour des ateliers d’expression visuelle et des entretiens individuels, parfois même réalisés en mouvement, promenant leurs micros, comme lorsqu’ils suivent ce petit garçon qui leur montre les abords de la MECS ou évoque son collège éclairé de nuit.  « On nous a montré la maison juste en face aussi, où, apparemment, il y a des “ombres vivantes”, même en plein jour… » glisse Maxime dans un sourire.

Pour Marc, 29 ans, qui se présente comme « le plus jeune de la Traille », les ateliers avec Maxime et Élodie ont aussi été une aide : « je fais de la peinture alors j’utilise beaucoup la perspective… C’était très intéressant pour moi de parler de lumière… » relate-t-il.

A côté de lui, Nadège, 51 ans, décrit : « C’était abstrait pour moi au début… On a d’abord beaucoup discuté puis on a mis un masque… » Pas de raison sanitaire cette fois-ci, simplement une volonté d’isoler les sens pour mieux se concentrer : « ils m’ont fait parler de ma vie… La lumière qui m’a le plus touchée, c’était l’Espagne. J’ai représenté la mer, le sable, le soleil, des souvenirs de vacances… » Pour Nadège, la lumière est une question sensible, qui la touche : « J’ai perdu la vue d’un coup il y a 15 ans ; j’ai eu une hyperthyroïdie… Peut-être que ça venait de là, on n’est pas certains… Aujourd’hui sans lunettes, je ne peux rien voir de près. La lumière pour moi, c’est la vue en fait. Mais je crains aussi beaucoup les lumières fortes. »  

Laurence, qui a travaillé 17 ans sous serre, est catégorique : « Je ne peux pas vivre dans le sombre, j’ai besoin de lumière. »

Elizabeth, présente également à la restitution cet après-midi, est directrice de la Maison de l’Enfance : elle a vu d’un très bon œil la venue de Maxime et d’Élodie cet été : « ça permet d’ouvrir, pour les jeunes, à la fois en accueillant des personnes extérieures et en parlant d’autre chose … Et puis ils se sont tellement faits à vous, qu’à la fin c’est comme si vous n’étiez plus là, tout se passait comme si on était qu’entre nous. »

Elodie Elsenberger et Maxime Prangé
Élodie Elsenberger et Maxime Prangé

« Dans l’expérience de la lumière se dessine un espace relié par des sensations lumineuses partagées »

Difficile de parler de lumière sans aussi évoquer l’espace nocturne, ses étoiles  et ses phénomènes naturels– « des fois t’as l’impression qu’elles viennent vers toi » s’étonne une voix en faisant référence aux aurores boréales – d’ailleurs, dans l’échange qui suit la restitution Laurence, résidente au Trail,  et Maxime en viennent à parler du confinement : « c’était presque impossible de voir les étoiles pendant le confinement … » « Oui, tout le monde était chez soi donc il y avait beaucoup de pollution lumineuse… Mais près de l’Himalaya, des gens ont à nouveau vu les étoiles qu’ils n’avaient pas vu depuis trente ans ! Ça donne envie de le voir demain aussi ! »

A la fin de l’écoute et du visionnage, les questions fusent et les réactions sont nombreuses ; sur le timbre des voix, sur la différence générationnelle des perceptions, sur certains parallèles amusants… « Ça donnait une image » résume Laurence. « C’était une histoire ; on sent que c’est des choses qui sont marquantes » détaille Marc.
Une jeune fille des Guillemottes enchaîne points d’interrogation sur points d’interrogation : « L. a parlé du collège à un moment, mais quel était le lien avec la lumière ?! … » « Parce que la lumière c’est aussi très lié à l’environnement dans lequel on vit » lui répondent les artistes.

« L’idée maintenant, c’est de continuer à creuser pour voir s’il y a vraiment des lumières associées à des territoires comme la lumière du midi par exemple… Est-ce que ça existe ailleurs ? » prévoit Maxime. « Dans l’expérience de la lumière se dessine un espace relié par des sensations lumineuses partagées ; il y a une zone entre les Alpes et ce versant du nord de la Drôme qui se dessine, ce n’est pas vraiment un territoire géographique mais un territoire sensible ! »

Plus tôt dans l’après-midi, une voix féminine résumait comme un point d’orgue de la performance : « Pour moi, la lumière c’est la vie »

C’est aussi sa voix, récoltée par les deux artistes à l’EHPAD, qui racontait, encore chamboulée, la lumière d’un lever de soleil qu’elle était partie chercher et qu’elle faisait revivre ici, dans son récit : « On a attendu dans le silence ; à partir du moment où la lumière venait tout prenait forme… La silhouette des Alpes se dessine […] Les choses naissent à nouveau dans la lumière ; c’est formidable quand on passe des ombres à la lumière ».

La résidence en images

Photos Amanda Jacquel