Elsa Abderhamani et Juliette Mancini

Deux ou trois choses sur Elsa Abderhamani et Juliette Mancini

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Elsa Abderhamani et Juliette Mancini, co-fondatrices de la revue de bande dessinée Bien, monsieur répondent aux questions du journaliste Mathieu Dochtermann autour de leur expérience des Chroniques documentaires de Seine-Saint-Denis, résidence d'écriture portée par les Ateliers Médicis et soutenue par le Département de Seine-Saint-Denis dans le cadre du Plan de rebond solidaire et écologique en Seine-Saint-Denis.

Bonjour Elsa, bonjour Juliette. Pouvez-vous commencer par nous expliquer quel est votre parcours artistique ?

Juliette Mancini : J’ai étudié le graphisme à l’école Duperré et aux Arts Déco de Paris. La bande dessinée est mon activité principale aujourd’hui. En 2015, Elsa et moi avons créé une revue de BD qui s’appelle “Bien, monsieur”, qui a évolué au fil des ans. Nous avons travaillé l’objet : un fanzine assez modeste est devenu petit à petit un objet qui relève davantage de la revue ou du livre. En parallèle, nous avons développé des projets d’exposition. Cette résidence avec les Ateliers Médicis s’inscrit également dans cette évolution.
Elsa Abderhamani : Pour ma part, je suis dessinatrice et je fais aussi de la vidéo. J’ai fait Duperré, les Beaux Arts de Cergy et des études de philosophie. Depuis le début du Covid, ma pratique s’oriente beaucoup plus vers le dessin que la vidéo. La bande dessinée c’est plutôt une pratique que j’ai avec “Bien, monsieur” et qui se développe un peu en parallèle de mes autres projets.

Comment avez-vous commencé à travailler ensemble ?

Elsa Abderhamani : Cela ne s’est pas fait durant nos études. Nous sommes sorties de Duperré en 2009. Quand j’ai fini Cergy, j’ai décidé d’intégrer un groupe de personnes que je connaissais qui voulait prendre un atelier en collectif. Comme nous étions amies avec Juliette, nous l’avons invitée à venir avec nous… Et c’est dans le cadre de cet atelier de travail que nous avons décidé de créer notre propre support, plutôt que d’attendre des années que des journaux publient nos dessins.
Juliette Mancini : “Bien, monsieur” est venu de notre amitié, et de notre intérêt commun pour la bande dessinée. Nous avons participé au concours Jeunes Talents du festival d’Angoulême, et nous avons été primées. C’est ça qui nous a permis de mettre un pied dans l’univers de la BD. C’est à partir de là, en voyant comment se passait ce festival, en faisant quelques rencontres, en voyant aussi toute l’énergie qu’il y avait autour des fanzines, que nous nous sommes dit : “Pourquoi pas !” La pratique du fanzine dans le milieu de la BD, c’est très simple : on peut dessiner des choses sur une feuille de papier, la plier en quatre et la présenter comme un fanzine. Alors que nos amis d’atelier étaient plutôt dans l’idée de faire leur entrée dans le monde de l’art contemporain, nous nous sommes dit que l’univers de la BD était peut-être plus accueillant !

Est-ce que vous connaissiez déjà les Ateliers Médicis avant la résidence ?

Juliette Mancini : J’ai participé à Création en cours avec les Ateliers Médicis en 2018. Je faisais une résidence dans une école de Montfermeil avec une classe de CM2. On travaillait sur de la bande dessinée, et ce sont les échanges qui ont eu lieu à cette occasion qui m’ont permis de trouver le fil conducteur pour mon projet personnel. C’est une bande dessinée qui s’appelle Éveils et qui a été publiée en 2021 aux éditions Atrabile.

Pourquoi avez-vous accepté cette résidence aux Ateliers Médicis, soutenue par le département de la Seine-Saint-Denis ?

Juliette Mancini : Les Ateliers Médicis m’ont contactée en premier lieu, puisque j’avais fait Création en cours. En outre, j’avais aussi présenté un projet en 2020 dans le cadre du festival Typo. Ces deux expériences m’avaient beaucoup stimulée et convaincue de l’intérêt du lieu, autant pour le soutien accordé aux artistes que pour la vie que cela crée au niveau du territoire. Quand j’ai eu cette proposition de la part des Ateliers Médicis, j’étais déjà engagée dans une résidence à Genève, cela m’a paru compliqué de mener ce projet en étant en partie à l’étranger. Mais il se trouve qu’avec Elsa nous avions le projet de développer un autre aspect de “Bien, monsieur” et que la résidence convenait tout-à-fait pour ce projet-là. Je l’ai donc impliquée.
Elsa Abderhamani : Je pense que ce qui nous a donné envie d’accepter, c’est que cette résidence nous donnait le temps et l’argent pour mener des projets personnels en même temps. Parfois, quand on fait des ateliers, il n’y a plus le temps à côté pour la création personnelle. J’étais motivée aussi par le lien avec la Seine-Saint-Denis, avec ses associations, avec ce territoire qui est beaucoup plus vaste que ce que je connaissais déjà. En plus, ça m’intéressait d’être en contact avec d’autres artistes dont j’aime bien le travail, ça pouvait être le moment d’échanger sur des pratiques différentes.

Est-ce que vous pouvez nous expliquer le projet que vous avez conçu pour travailler avec les collégiens pendant cette résidence ?

Juliette Mancini : Le projet consistait à mettre en place des ateliers de création de BD à partir de contraintes. Nous avons essayé de mettre en place des sortes de règles du jeu pour faire de la bande dessinée de façon à la fois ludique et cadrée. Nous avions deux thèmes de travail : Elsa travaillait plutôt sur la notion de territoire et moi sur celle de temps. Nous avons constitué deux groupes de travail parmi les collégiens pour pouvoir travailler séparément sur ces deux thématiques, dans l’idée de réaliser un fanzine qui serait une sorte de numéro hors-série de “Bien, monsieur”, que nous pourrions diffuser en même temps que la sortie d’un “Bien, monsieur”.
Elsa Abderhamani : Nous avons commencé le travail par une sorte de semaine de workshop, avec des demi-journées de travail intenses. J’avais rencontré les collégiens un peu en avance, pour leur présenter “Bien, monsieur” ainsi que nos projets personnels. Ensuite, plusieurs étapes ont été proposées pour que les élèves puissent penser et mettre en place tout le processus qui mène à l'élaboration de l’objet final. Qu’ils voient un petit peu ce que c’est d’imprimer un objet comme ça, quelles sont les décisions à prendre.

Comment est-ce que cette résidence prend place dans votre projet à vous ?

Juliette Mancini : Avec “Bien, monsieur”, cela faisait un moment déjà que nous réfléchissions à lancer une collection de livres. Notre idée était de travailler avec un auteur différent par édition. Nous nous sommes dit que nous pouvions lancer ce projet en étant les premières autrices à tester le processus que nous voulions mettre en place. Nous souhaitions proposer un livre chacune, mais qu’il y ait des liens entre ces éditions. De travailler sur les thèmes “territoire” et “temps”, et d’avoir deux objets qui puissent être lus séparément, mais qui ensemble créent quelque chose de plus.

Est-ce qu’il y a une culture graphique particulière à la Seine-Saint-Denis ?

Juliette Mancini : La lecture des mangas, c’est assez répandu chez les adolescents. Alors je ne vois pas trop de différences d’une ville à l’autre. Par contre, dans mes influences personnelles, il y a des BD sur des banlieues, sur la Seine-Saint-Denis, où le décor est très marqué. Je trouve cela très intéressant, de voir toutes les atmosphères différentes qu’on peut composer à partir de là. Je pense aux BD de Gilles Rochier par exemple.

Propos recueillis par Mathieu Dochtermann.