Entre fable et documentaire, le projet Pastorale explore l’imaginaire rural en suivant les bergers urbains du Grand Paris. Ces bergers proposent un autre rapport au territoire où entrent en tension la nature et la ville dans une tentative de cohabitation. C’est tout un imaginaire poétique, politique, une relation au vivant et à l’échelle du temps qu’ils transforment, et que Pauline Hisbacq souhaite raconter.
Pastorale
À Saint-Denis, Aubervilliers, Vitry-sur-Seine, on aperçoit parfois des troupeaux de moutons qui pâturent, menés par un berger urbain.
Je propose d’explorer l’imaginaire pastoral à l’occasion de ce changement de décors, de la montagne à la grande ville du Grand Paris. Je composerai des tableaux photographiques pastoraux, dans la suite du genre, tout en revisitant ses codes.
Temporalités télescopées
Le berger est traditionnellement celui qui se retire du monde contemporain, qui vit à l’écart de la civilisation, dans la nature, avec les animaux. Il opère une lecture du paysage au regard du troupeau : là où on peut passer, là où le troupeau peut manger, là où il peut se reposer en sécurité. Sa vie est modeste, faite de routine, du temps long, propice à la surveillance des bêtes et à la rêverie.
A l’idéalité du paysage « naturel », le berger urbain bouleverse les codes. Il propose un nouveau paysage où entrent en tension la nature et la ville dans une tentative de cohabitation. C’est tout un imaginaire poétique, un monde politique, une relation au vivant qu’il amène avec lui.
Sa temporalité cyclique ancestrale, au rythme de la nature et des saisons, est au contraire de la ville en accélération vers un futur à atteindre. Il renvoie aussi au passé antique avec les premières pastorales, et l’apparition de l’idée d’Arcadie, enfin à la projection dans un futur idéalisé, utopique, menacé par la crise écologique qu’incarnent aujourd’hui les mégalopoles. C’est par sa tension politique et poétique que je souhaite observer, de côté, ce qu’il raconte du Grand Paris.
Pastorale, Arcadie
Depuis l’antiquité, l’art pastoral investit le berger d’une nostalgie pour un temps révolu idéalisé : celui d’une communion heureuse et vertueuse avec la nature. Comment évoquer le bucolique, le champêtre, le naïf, l’Arcadie, si le paysage se trouble dans la ville ? L'art pastoral porte en lui un désir d’évasion vers un monde plus simple et vertueux. Que se passe-t-il quand le berger vient au « réel » de la ville? Cette question se pose aujourd’hui. La crise écologique sous-tend la question d’une réconciliation avec la nature considérée non plus comme ressource-objet mais comme environnement-relation. Le berger urbain incarne cette tension contemporaine et porte avec lui cette valeur d’idéal utopique.
Comment alors le genre de la pastorale peut-il évoluer ? Être contemporain ? A quel endroit penser, observer ou imaginer des Arcadies dans le Grand Paris. Quels seraient les espaces et les attitudes de résistances pastorale à l’endroit de la toute puissante mégalopole ? Comment se déplace cette idée d’harmonie avec la nature, non plus loin mais dans la ville ? Peut-être, pour épouser son temps, l’Arcadie aura besoin de s’assombrir, évoquer les tensions propres de son époque, la crise écologique et politique que le berger révèle.
Le réel et la fable
Mon projet invitera alors au même endroit le documentaire et la fable, d’un même élan il aura vocation politique et poétique : décrire le monde réel et, par la fable, poser un regard questionnant sur la relation de l’homme à la nature. J’irai aussi vers des territoires de résistance à la grande entreprise urbaine qui engloutit au nom du progrès, du plateau de Saclay aux zones bucoliques de l’île Saint Denis, pour élaborer des tableaux pastoraux aux codes réinventés.
Une attention particulière sera portée aux temps de passage du jour et de la nuit : l’heure bleue, celle du grand silence, où l’on entend seuls les oiseaux chanter, et celle dite entre chien et loup, qui brouille les sens, fait émerger le « sauvage ».
Le berger urbain est celui qui vient, ou qui revient, amenant avec lui quelque chose de plus lent, plus modeste, plus grand : la permanence des choses, la relation au vivant et à la nature. Il est le passeur d’un monde à l’autre, d’un autre temps au contemporain. Il convoque une nouvelle expérience du monde dans la ville. En l’accompagnant, je souhaite poser un regard de côté sur la ville. Les citadins, qui côtoient avec surprise le troupeau, seront regardés comme des personnages de cette fable contemporaine.
La fragilité du geste photographique convoque en une image une parcelle de réel, la fonction imaginaire qui l’accompagne, une histoire du regard qui la déclenche. Je photographierai les paysages et les personnages de ma Pastorale urbaine, tendue vers un désir de renaissance.
— Pauline Hisbacq