Lucid Dreamers

Lucid Dreamers est un projet photographique documentaire accompagné d’un film, qui présente des adolescents en marge de la société, étants sujets à des troubles du sommeil. Pour certains, ces troubles les poussent à vouloir diriger leurs rêves, afin d'apaiser leurs sommeils d'une part, mais aussi pour échapper au temps et à la réalité. Ces rêveurs expérimentés, prennent ainsi conscience durant leurs rêves diurne et nocturne, d’être en train de rêver. Mon projet vise à explorer cet espace à la fois interstitiel et imperceptible que traverse les rêveurs lucides, afin de produire une série de tableaux photographiques grands formats et un film.

Les problèmes des limites de la perception de la réalité à travers les différents niveaux de conscience impliquant bien souvent, le temps, la mémoire, les espaces et le langage que j’ai souligné ici, sont des concepts qui prévalent dans une grande partie de mes recherches artistiques récentes et impliquent de manière inhérente dans toute ma pratique artistique, une tentative constante de voir au-delà du visible. Peut-on contrôler nos rêves ? Qu’est-ce que cela signifie e de traverser une époque où la vie privée mentale peut être décodée ? Pourra-t-on bientôt s’injecter des rêves à la carte ? Peut-on décoder la pensée de manière télépathique. Quelle limite ces dispositifs technologiques impliquent-ils en matière de protection de l’intimité mentale ? Tous ces mécanismes ne sont pas silencieux et affectent notre psyché, nos désirs et notre manière de penser. 

En prenant le choix délibéré d’une photographie plasticienne, aux ambiances nocturnes et colorées, à la manière dont apparaissent les images hypnagogiques durant l’endormissement, Lucid Dreamers consiste en une réflexion poétique et sensorielle autour du concept d’intimité mentale et explore le sommeil et les rêves, comme l’un des derniers refuges face à l’intrusion du capitalisme dans l’esprit humain.

Cette réflexion s’appuie sur la théorie du philosophe américain Jonathan Crary, qui dans son livre s’intitulant “24/7 Capitalism at the end of sleep”, pose les principes, de subjectivité alternative, de la relation entre nos états altérés de conscience et du capitalisme, mais aussi de l’invention de nouvelles technologies en relation avec la transformation de nos dispositifs sensoriels. Selon Crary, l’effacement progressif de l’attention cognitive ces dernières années, s’est répandu notamment à cause de l’omniprésence du numérique dans notre vie quotidienne. Aussi bien de jour comme de nuit, l’intrusion et la capture d’informations via nos interactions avec les nouvelles technologies se poursuivent en flux continu, parfois même durant notre sommeil. À partir de cette réflexion qui résonne avec le cœur de ma pratique artistique, je souhaite explorer cette désynchronisation du corps avec la société, en sondant le rêve, comme le dernier espace permettant encore une pause, dans un mode de vie définis par la continuité, l’accélération et la systématisation. Je souhaiterais avec ce projet  mettre en exergue le concept d’intimité mentale avec la recherche neuroscientifique sur les rêves, à travers une série de photographies et de vidéos.

Pour réaliser Lucid Dreamers, j'entretiens déjà une collaboration étroite avec le service de recherche des pathologies du sommeil de l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, ainsi qu'avec un groupe d'une dizaine de rêveurs lucides vivant en Île-de-France. Mon activité sur place impliquera une étude précise des phénomènes concernés, mais aussi ma capacité à improviser. Je mènerais cette recherche dans une discussion ouverte afin qu’elle se présente comme un lieu propice à l’apparition de nouvelles formes. Le projet évoluera dans un contexte de travail organique où je procèderais par des rapprochements théoriques, artistiques et critiques qui me me permettront d’établir de nouveaux déplacements dans ma pratique. L’étude avec les rêveurs lucides et les scientifiques, se développera sur une composition de pensées, d’images photographiques et de scènes filmées, provenant des différents lieux spécifiques au récit dans Paris et sa banlieue.  L’usage des technologies adéquates en fonction des situations et une documentation systématique des rencontres effectuées sera établie. L’enjeu sera de mener ce projet afin qu’il se présente comme un lieu propice à l’apparition de nouvelles formes, qui me permettront d’établir de nouveaux déplacements dans ma pratique artistique.

— Vincent Ceraudo