Par le biais de balades collectives et de jeux d’écriture, ce projet est une invitation à faire parler tout ce qui fait urbanité et à créer un installation plastique de plusieurs kilomètres à même la ville. Le bitume, les bâtiments, le mobilier dévoilent ici leur vie secrète ou imaginaire, poétique et polémique, ils deviennent des pages manuscrites, des corps résonnants, des signalétiques artistiques permettant de jouer sur les perspectives, de (des-)orienter le geste de l’écrivant et le regard du lecteur.
Entre réappropriation de l’espace public et dépaysement en territoire ordinaire, La Ville s'écrit joue sur la création de narrations alternatives, pour raconter l’inanimé d’un territoire donné, à un moment donné, avec celles et ceux qui y vivent.
La Ville s'écrit est une proposition faite aux habitants d’ouvrir un espace d’expression dont le sujet et le support d’écriture est le quartier où ils habitent.
Écrire (dans) la ville
Comme on se baladerait dans un quartier inconnu, les sens aiguisés par la découverte, des habitants marchent dans leur environnement familier. Le but du jeu ? Entrer dans un autre rapport d’expérience à la ville et s’autoriser par le geste artistique à se réapproprier l’espace public.
Pour ce faire, blÖffique théâtre a imaginé un processus d’écriture collective, consistant à faire parler en les personnifiant, les éléments urbains. Banc, trottoir, lampadaire, mur, bitume… En adoptant leur point de vue, en imaginant leur caractère et leur histoire, la compagnie invite les habitants à créer (en atelier) ou à lire/écouter (en se promenant sur l’installation finale) des micro-fictions de leur quartier, renouvelant ainsi le regard qu’ils portent sur celui-ci.
Le processus d’écriture, collectif et sensitif se décline en différentes étapes :
L’élaboration d’une parole singulière et poétique
Arpenter la ville de multiples façons (à l’aveugle, avec un miroir, en prenant des notes…), puis discuter ensemble nos sensations et visions du parcours.
Écrire, depuis le point de vue d’un élément choisi collectivement, par cadavre exquis, par bribes sur la nappe, dans son carnet de bord, pour créer une dynamique créative et éviter le risque d’une parole univoque. Coup de cœur,
coup de gueule, confidence… Petit à petit, le ton de chaque parole se précise en même temps qu’un décalage du discours s’opère, la parole se détache de son caractère direct, non plus fondée sur l’émotionnel ou le revendicatif. Elle devient un geste artistique à part entière, une tactique langagière et territoriale, à même de modifier la symbolique fonctionnelle d’une vitrine, d’un abribus, d’une bouche d’égout…
L’écriture à même la ville
Choisir ensemble les éléments qui deviendront des supports d’écriture, choisir la mise en forme de chaque texte, et passer plusieurs heures au plus près du sol et de la météo, dans un rapport sensoriel exacerbé à la ville. Et écrire sur le corps des éléments urbains, des mots éphémères, qui racontent ce qu’éclaire le lampadaire aux heures tardives de la nuit, quelles histoires s’écrivent à l’ombre de l’arbre les jours de grand soleil, quel rapport entretient le banc avec ces corps qu’il accueille incessamment… Ce processus d’inscription, le blÖffique théâtre l’a choisi dans l’intention de recréer du possible dans l’espace public, un possible qui se confronte à la notion d’autorisation (légale et intime) et dont la création artistique peut être le levier. Cela implique de travailler en complicité avec les propriétaires publics ou privés, et de susciter la rencontre. Cela révèle, aussi, que lorsqu’il s’agit d’écrire sur les murs ou les portails, être autorisé n’enlève rien au plaisir savoureux de la transgression.
Diversité des corps et des points de vue
Une des intentions de La Ville s'écrit est d’accéder à différents points de vue du territoire.
Par le choix du parcours, intégrant différentes urbanités (parc, ruelle, boulevard, site patrimonial…) et tentant d’inclure des endroits auxquels on n’accède plus, qui sont délaissés ou réservés à certains usages. Par le choix des supports d’écriture aussi, et la taille de la typographie choisie. Du petit caillou ou panorama, tout peut être support de récit mais chacun oriente différemment le regard, dans un jeu sur les profondeurs de champ.
Une échelle de temps et d’espace
Tout au long du processus de création et de représentation, l’enjeu de ce projet est d’ouvrir d’autres temps que celui, pressé et utilitaire, qui caractérise souvent notre rapport à la ville. Des balades de début de projet aux promenades poétiques finales, le rythme lent de la flânerie ou de l’attention aux choses, change la manière dont les corps se déplacent dans l’espace. Après le départ de la compagnie, des corps curieux continuent de bouleverser leur rythme quotidien en tournant autour de l’arbre près de l’école, en s’arrêtant devant la vitrine de la boulangerie… Ainsi mis en jeu, les corps dansent, et la perception que chacun a de son environnement proche valse avec eux.
Par ailleurs, la semaine consacrée à l’écriture dans la ville implique un temps long de présence, et génère un rapport très physique à la rue. Les corps sont invités comme ils le sont rarement à s’y poser, à s’y sentir chez soi. Ils accèdent dès lors à une échelle plus micro du territoire, accentuant le rapport sensoriel à celui-ci. Au plus près des bruits et des odeurs de la ville, chaque participant est amené à faire corps avec son quartier. Une manière également de permettre aux habitants-écrivants de s’inscrire physiquement dans le projet, de discuter avec les passants qui les interpelleraient, et donc de se l’approprier pleinement, d’en être les premiers médiateurs.
Dans ces rythmes lents et ces temps longs, les aspérités des lieux et des supports se révèlent, leur spécificités physiques autant que symboliques (nom, histoire, localisation, représentation) ne passent plus sous le radar du balayage automatique de nos yeux. Cette perception fine et renouvelée, c’est à la fois un préalable à la création de l’œuvre plastique finale, et l’effet recherché chez le spectateur qui en fait la découverte.
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.