Ève et autres grâces

Ève est un des plus beaux textes du monde.

Ève, 1911 quatrains, 7644 vers d'une seule coulée, écrits de juin à décembre 1913 par Charles Péguy et formant une drôle d'épopée, une drôle de prière, un drôle de pays (mais dans lequel nous pourrions vivre). Charles Péguy avait prévenu : «Dans mon Ève, il y aura tout ».

D'essence vocale et voulu d'un seul tenant, sans pause, ni jointures, ni commentaires, sans coupures autre que le couperet qui tombe au 1911ème verset, il faudrait pouvoir le restituer tel. Lui redonner sa respiration. En un film-fleuve, film-chorale, film-monde. Dont le seul élément de continuité serait le texte, mais tel qu'il est rendu à des corps qui respirent et des êtres qui parlent.

Ce « film » se veut saisir ce que nous racontent ces corps et ces êtres qui s'emparent de ce matériau étrange et étranger, en font l' « usage ». Ce qu'ils racontent, c'est-à-dire ce qui se manifeste à travers eux, indépendamment de leur volonté, indépendamment du texte (qui n'est peut-être qu'un prétexte, un point de départ à leur rencontre, un lieu).

Un peu de la même façon que l'on poserait la question : « comment ça va ? », l'on donnerait, comme ça, un pan de texte à apprendre à quelqu'un. Et qui sera libre de le restituer dans le lieu, la lumière, la tenue, la position, l'attitude de son choix.

« Film » à l'entière merci de ses récitants donc, « film » à plusieurs voix, en mesure de donner du relief à ce texte qui n'appelle que la libération de sa charge d'oralité. Mais « film » aussi à plusieurs mains, où création et transmission vont de pair et se font sous nos yeux, sans filet protecteur, sans fausse sécurité, sans tricherie possible.