Marin Fouqué

Deux ou trois choses sur Marin Fouqué

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L'auteur Marin Fouqué répond aux questions du journaliste Mathieu Dochtermann autour de son expérience des Chroniques documentaires de Seine-Saint-Denis, résidence d'écriture portée par les Ateliers Médicis et soutenue par le Département de Seine-Saint-Denis dans le cadre du Plan de rebond solidaire et écologique en Seine-Saint-Denis.

Bonjour Marin Fouqué, pouvez-vous nous présenter succinctement votre parcours artistique ?

Mon parcours jusqu’à aujourd’hui a plutôt été un parcours d’écriture de chansons et de rap, puis ensuite d’écriture de poésie, pour finalement monter sur scène pour faire entendre cette poésie. J’ai fait les Beaux-Arts de Cergy et en sortant je me suis essentiellement tourné vers la performance, plus précisément vers la poésie sonore. Ensuite, j’ai écrit 77, mon premier roman, sorti en août 2019. Le deuxième, GAV, est sorti en août 2021. Les deux sont publiés chez Actes Sud.

Qu’est-ce qui vous a amené à accepter de vous lancer dans ce projet de résidence aux Ateliers Médicis ?

À l’origine, les Ateliers Médicis cherchaient, par ces résidences, à aider des acteurs de la culture qui n’avaient pas eu d’aides pour traverser la pếriode du Covid. Ils ont réfléchi, et ils se sont dit que les personnes qui avaient le plus besoin d’aide étaient les auteurs. Cette résidence me permet de travailler à mon troisième roman. Je l’ai acceptée, déjà, pour l’argent : je suis très loin de romantiser le statut d’artiste, c’est mon métier, tout simplement, et il faut que je gagne ma vie. J’ai accepté, également, parce que cela me permettait d’avoir du temps pour écrire le livre.

Comment cette résidence se déroule-t-elle ?

Je fais des résidences sur place, logé par les Ateliers Médicis dans un appartement. J’y habite la moitié du temps, et je fais des repérages pour mon roman. Mon livre va commencer à Clichy-Montfermeil, donc j’ai vraiment besoin de vivre l’endroit, de rencontrer des gens, de parler… J’en ai besoin pour que ce que j’écris soit basé sur des choses ancrées dans le réel.

Ce que vous appelez “faire des repérages”, c’est résider à Clichy, et vous y balader pour éprouver la vie des habitants ?

C’est ça, passer le plus de temps possible dans la ville. Ça me permet de ne pas être dans une démarche d’exploration superficielle. Cette résidence longue, ce n’est pas comme une résidence d’une semaine : on vit sur place, même si ce n’est qu’à mi-temps. Du coup, on voit des choses de la vie de tous les jours et on prend ses marques. Je suis là, et je vis les choses, mais de la manière la plus banale possible, parce que c’est ça qui m’intéresse dans les choses à écrire : être au plus proche d’un quotidien, d’une routine presque. Pour pouvoir partir là-dessus. Parce que pour ce roman, j’envisage quelque chose d’assez barjot. Il aura une dimension quasi fantastique, mais il sera ancré en même temps dans une réalité extrêmement banale, dans un réel tout ce qu’il y a de plus morne.

Qu’est-ce que cela fait de vivre deux semaines sur quatre à Clichy-Montfermeil ?

J’aime bien. Parce que l’endroit où se trouve l’appartement des Ateliers Médicis est dans une zone pavillonnaire. Et le début de mon roman va beaucoup parler de ça. De ce truc, qui a été une espèce d’eldorado personnel, pour toute une génération : avoir son bout de terrain et le personnaliser. C’est comme si chacun affirmait son identité, son bout de paradis. Avec des fontaines et des nains de jardin ! Et j’ai vraiment envie de parler de tout ce qu’il y a de tragique là-dedans : la grande tragédie de la classe moyenne qui stagne depuis pas mal de temps, et qui se rapproche de plus en plus des classes sociales les plus populaires.

Donc la résidence influe sur votre roman, qui aura pour décor la Seine-Saint-Denis. C’est un département que vous connaissiez déjà par ailleurs ?

Je suis né en Seine-et-Marne. Ensuite j’ai vécu près de Rosny-sous-Bois, puis à la Porte de Montreuil et à Clichy-La-Garenne. Maintenant je suis entre Aubervilliers et Pantin. Je connais le 93 de mieux en mieux, mais surtout le 93 assez proche de Paris... Donc cette résidence était l’occasion de voir un peu plus loin. J’ai beaucoup arpenté le territoire, beaucoup marché. Pour moi la Seine-Saint-Denis c’était des tours, une image de cité plus que de banlieue pavillonnaire. J’avais ce cliché. Et je découvre que l’essentiel de Clichy-Montfermeil est fait de pavillons. Et puis de forêt ! Je trouve ça génial. Il y a plein d’endroits insoupçonnés : des plans d’eau, des bases de loisirs, d’immenses parcs. Il y a des endroits quasi féériques... À Gagny il y a des carrières, comme de gigantesques trous dans la roche… C’est de là que va venir l’inspiration pour le côté fantastique de mon roman : d’endroits comme celui-là où surgit, de manière très inattendue, quelque chose de l’ordre du rêve.

Cette découverte de Clichy-Montfermeil, c’est aussi une rencontre avec ses habitants ?

Quand j’ai demandé cette résidence, mon but principal était d’aller discuter. Juste d’être là, d’aller me balader, et si je rencontre quelqu’un, d’aller discuter de tout et de rien… Pour moi c’est ça des chroniques documentaires : vivre sur place, rencontrer des gens, et écrire des petits textes par rapport à ces rencontres. Je ne fais pas de micro-trottoir : je n’ai pas la prétention, sous prétexte que j’écris un bouquin, d’aller interrompre les personnes dans leur quotidien. Donc, pour que la discussion se fasse, il faut que les gens soient posés, disponibles. En fait, je compte beaucoup sur les gens qui flânent. Dans le cadre de cette résidence, vous organisez aussi des ateliers d’écriture… Je fais un atelier au collège Théodore Monod de Gagny avec des classes Ulis1 (pour les personnes en situation de handicap mais qui sont tout de même dans un collège dit traditionnel), et avec une classe relais (pour les élèves en décrochage scolaire). Et je fais aussi des ateliers dans un centre d’addictologie2, toujours à Gagny.

Votre travail est très axé sur le texte, la parole, l’oralité. Est-ce que c’est là le cœur de ces ateliers d’écriture ?

En effet, dans mes ateliers c’est toujours le passage entre l’écrit et la parole qui m’intéresse : on fait des retours à l’oral, on travaille la manière de lire les textes, comment on peut les faire entendre et comment faire entendre sa voix… Moi j’amène des idées, des propositions, et après, très souvent, par ce qui se passe dans la dynamique de l’atelier, ça prend une toute autre forme que celle que j’avais prévue. Mais ce qui revient toujours, c’est l’envie d’enregistrer, que chaque participant, que chaque participante enregistre son texte. Chaque texte fait trace à un moment donné. Ces textes-là se retrouvent sur la Radio r22 Tout-monde3, qui est partenaire. Et j’intègre des textes issus des ateliers à des performances que j’organise. L’idée c’est de faire une espèce de collage sonore, qui retrace la perception qu’ont plusieurs personnes d’un lieu donné, à un moment donné. Pour moi, c’est ça qui fait œuvre de chronique documentaire, avec toutes les contradictions internes que cela suppose.

Que pouvez-vous nous dire du rapport entre la langue et la banlieue ?

Toutes les inventions du langage en France, au moins peut-être ces vingt dernières années, viennent de la banlieue, qu’elle soit parisienne, lyonnaise ou marseillaise. Et la Seine-Saint-Denis est une des fines fleurs de cette innovation-là. Il n’y a qu’à écouter dans le rap et dans la littérature. Tous les nouveaux mots, toutes les nouvelles expressions, viennent en fait de la banlieue des grandes villes. C’est là que la langue s’invente, c’est là qu’elle se crée, c’est là qu’elle se régénère et qu’elle avance.

Pour terminer, est-ce que vous avez le sentiment d’avoir été transformé, ou déplacé, par cette résidence ?

Si je suis déplacé, c’est dans les clichés que j’avais sur le département. On revient à ce que je disais plus tôt : qu’il y ait des forêts, des endroits incroyablement verts, des coins où on peut se perdre, je ne m’y attendais pas. Pour moi qui ai grandi dans le 77 à côté d’une forêt, ça a été une révélation. Et je suis déplacé, comme toujours, dans chaque atelier : parce qu’on y rencontre des voix, à chaque fois, et que donc chacun nous déplace. Quand l’atelier dure suffisamment longtemps et qu’on se rencontre vraiment, on est forcément déplacé.

1. Unités Localisées d’Inclusion Scolaire.
2. Au CSAPA, Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.
3. Webradio développée par Khiasma, centre d'art anciennement basé aux Lilas (93).

Propos recueillis par Mathieu Dochtermann.