Le vieux bourg de Gourlizon

Jour 5. Le reportage radiophonique

Publié par Marine Le Thellec

Journal du projet

Jeudi 11 avril


Après une matinée passée dans la petite pièce mansardée de la maire de Gourlizon à apprivoiser les archives du cadastre et le registre du remembrement, je conviens avec Morgane d’un moment pour les montrer aux enfants le lendemain après-midi, en sa présence et celle de l’archiviste. Je file ensuite à l’école. Cet après-midi, nous écoutons un épisode des Pieds sur Terre sur France culture. Il date du 23 janvier 2023, et donne à écouter deux témoignages de personnes qui étaient enfants lors du remembrement. Dans les deux cas il est décrit comme un évènement traumatique. Nous écoutons d’abord le récit de Jacqueline Le Goff, née en 1953, âgée de 9 ans à l’époque. Elle en parle encore avec une vive émotion, évoque le « saccage » et le « chaos » dont elle a été témoin. Elle parle aussi d’une rage en elle, qui s’exprime aujourd’hui dans l’énergie qu’elle met pour qu’aucun panneau publicitaire illégal ne vienne entraver ni polluer le paysage. L’émotion encore vive de cette femme, qui parfois empêche ses sanglots, résonne dans la classe. Je me dis que c’est important de faire toucher du doigt aux enfants quelque chose de cette histoire qui devient tangible, réel, concret sur la vie des gens. Une blessure d’enfance qui agit encore sur leurs actes. Nous prenons un petit temps d’échange ensuite pour discuter de son témoignage, mettre des mots sur ce qu’elle ressent et pourquoi. « Des choses que des hommes avant nous avaient construit patiemment, et qui ont été détruites en si peu de temps ».

Nous écoutons ensuite le second témoignage, un peu plus long. Celui de Pierre Parvy, né en 1954 et qui a grandi dans le Limousin. Fils d’agriculteur, dont le père fut un fervent défenseur du remembrement, son récit est très riche, car Pierre est passé par plein d’émotions différentes. D’abord l’adhésion totale au discours du père, puis la stupeur devant la violence du saccage, la honte ensuite qu’il porte encore, puis la désertion de la région. Il y a beaucoup de choses à en dire. Les enfants prennent un temps de récréation après l’écoute de son récit. Après la pause, nous commentons et échangeons sur ce que l’on vient d’écouter. Je suis impressionnée par la finesse de leurs réflexions. J’aime aussi l’empathie et la nuance avec lesquelles ces deux témoignages nous obligent à regarder l’histoire. Je leur pose quelques questions : « Comment son père est perçu par les autres paysans ? Quel avis a Pierre sur le remembrement avant qu’il advienne ? Pendant ? Et après ? Pourquoi Pierre pense-t-il que son père a accepté le remembrement et l’a défendu ? Quel sentiment ressent Pierre vis-à-vis de son père et pourquoi ? Quelles conséquences a eu le remembrement sur sa vie ? » C’est l’occasion de démêler tout ce que le témoignage a soulevé. Ce qui revient c’est la difficulté de trancher, on touche enfin du doigt l’ambivalence de cette période et l’impossibilité de poser un regard totalement réprobateur aujourd’hui. « Et vous maître, vous êtes pour ou contre le remembrement ? »

Il devient plus évident pour elleux, qu’il faut qu’on aille chercher des témoignages, pour éviter de juger sans comprendre, sans écouter. Nous finissons cette séance avec une quantité de questions qu’iels aimeraient poser aux personnes que l’on va interviewer : « Comment ils étaient exactement les bulldozers à cette époque ? Vous étiez pour ou contre le remembrement ? Et maintenant ? Est-ce que votre avis a changé depuis que vous en avez vu les conséquences ? Aimeriez-vous revenir à l’époque d’avant ? Et pourquoi ? Est-ce que vous pensez que la dureté du travail est la même aujourd’hui qu’à l’époque ? Est-ce que vous souhaitez revenir en arrière ? ».