La vache d'Evan

Jour 4. La broyeuse à lande et la vache volante

Publié par Marine Le Thellec

Journal du projet

Mardi 09 avril

J’arrive à Gourlizon de bonne heure car je veux passer à la mairie avant de retrouver les enfants après la récréation du matin. Le mardi, je les retrouverai toujours le matin, car à cette période de l’année, iels ont piscine l’après-midi. Je me présente donc à la toute petite mairie du bourg, et fais la connaissance de Morgane, à laquelle l’instituteur a déjà présenté mon projet. Elle me parle assez vite de Paul « la mémoire photographique de Gourlizon ». C’est un vieux monsieur qui a des photos du remembrement, mais aussi des machines et du monde agricole à cette période. Elle est en train de prendre mes coordonnées afin de les lui transmettre, lorsqu’elle bondit de sa chaise : Paul est en train de passer tranquillement avec sa baguette de pain devant la mairie. Elle le hèle, et nous faisons donc connaissance, il a l’air complètement disposé à montrer ces images, mais me prévient : « Il y en a des milliers ! ». Nous nous donnons rendez-vous jeudi matin, pour que l’on puisse en regarder une partie ensemble. J’aimerais beaucoup trouver des trésors, et peut-être que nous pourrions organiser une première récolte de témoignage auprès de Paul avec les enfants.

Je demande ensuite à Morgane si je peux avoir accès aux archives du cadastre, s’il en existe d’avant et d’après le remembrement. Elle m’explique que par chance, l’archiviste est ici aujourd’hui, et qu’aussi, le cadastre napoléonien est encore dans la commune, c’est-à-dire à la mairie même, avant de partir définitivement pour les archives départementales cet été. Morgane et l’archiviste me font donc déambuler dans les arrières pièces de la mairie pour accéder à une toute petite pièce mansardée à l’étage, où gisent sur la table ronde centrale de très vieux plans du cadastre, pré et post remembrement. Trône à côté de ces cartes un vieux registre qui inventorie toutes les fermes, les parcelles à Gourlizon, juste avant l’opération de remembrement. Un agent de la ville qui est dans les parages, m’informe que Gourlizon était « un patelin test » du remembrement, car le maire de l’époque travaillait également à la DDE. Je suis complètement fascinée par ces archives, et commence à les manipuler. Assez rapidement, on se dit que ça serait formidable que les enfants y aient accès. Elles sont toutes deux prêtes à organiser le déplacement de ces archives dans une pièce plus grande du bourg, afin que les enfants puissent les regarder en vrai, les toucher un peu aussi. Je dois filer à l’école car l’heure de la récréation approche. En rejoignant l’école, Thierry passe dans sa fourgonnette, et me demande des nouvelles de l’Audi et de sa batterie, je lui assure qu’elle a l’air en pleine forme depuis vendredi.


En arrivant à l’école, j’ai le temps d’imprimer tous les métiers, savoir-faire, activités, outils, machines, objets et lieux sur des morceaux de papier. En classe, je les dispose dans une boîte à chaussures destinée au tirage au sort, que me prête l’instituteur. L’idée est la suivante : chacun.e va tirer un mot au hasard, on essaye de ne pas le divulguer aux autres, et on dessine. Sans modèle, sans chercher ailleurs que dans sa tête et ses souvenirs du film, des images que l’on a revues la veille mais aussi de la fonction que l’on connait de ces choses. J’aimerais les faire s’éloigner de l’idée que le dessin est forcément fidèle ou réaliste, que quelque chose d’autre peut passer par le trait. Leur faire toucher du doigt quelque chose du sensible et de l’impression. Ils n’ont pas l’air complètement convaincu. Ewen se décompose lorsqu’il tire « broyeuse à lande », Aloïs est soulagé, il a tiré « poinçon », certains sont excités, d’autres sont figés. Malo me dit qu’il ne sait pas dessiner. En fait, je réalise que beaucoup sont déjà très complexé.e.s par le dessin. Il va falloir les encourager et les pousser un peu. Au fur et à mesure de la séance et de mes encouragements, tout le monde s’applique. Ewen recompose une broyeuse à lande qui n’est sans doute pas fonctionnelle, mais qui est tout à fait reconnaissable et vivante. Evan a dessiné une vache formidable qui semble à la fois croisée avec un lapin, et à deux doigts de voler. Selena a dessiné du goémon dansant. Tristan, un superbe paysage coloré dans lequel des paysans fauchent le foin. On accroche les dessins au tableau, on les commente et on essaye de deviner ce qui est représenté. Je les trouve durs avec elleux-mêmes. Je repars de l’école avec la promesse que nous allons beaucoup dessiner !