Le projet artistique « ensemble nuages » est un projet participatif basé sur les formes et les histoires que l’on s’invente lorsque l’on observe les nuages. Par la contribution des élèves, mais aussi celle des habitant.e.s, il est question de créer collectivement un territoire flottant entre le réel et l’imaginaire, entre le ciel et la terre. À travers le projet « ensemble nuages », Fanny Vierne tente de concilier le rapport scientifique et le rapport subjectif et personnel de l’espace et du temps. Tel.le.s des cartographes et des géologues-explorateurs, les participant.e.s seront amené.e.s à créer une carte géologique des nuages. Petit à petit, « ensemble nuages » laissera place à une scénographie collective animée par les nuages et l’imaginaire des habitant.e.s du territoire.
Dans ma démarche artistique, j’explore des formes plastiques pouvant s’infiltrer dans nos espaces familiers afin de révéler la friabilité du quotidien. Depuis peu, je travaille sur un procédé qui vise à déplacer un point de vue en lui attribuant une nouvelle échelle d’observation tant spatiale que temporelle. À travers ces propositions, je cherche à appréhender l’influence de notre rapport au temps et plus globalement de nos unités de mesure dans la construction de nos habitudes.
Dans son livre Essai sur les données immédiates de la conscience, Henri Bergson fait une distinction entre le temps fictif et abstrait des scientifiques, et d’autre part, le temps vécu de la durée pure. Henri Bergson veut démontrer l’incapacité de la science à maîtriser le temps réel dans lequel évolue l’individu. En questionnant nos rapports d’échelle, une grande partie de mon travail actuel tente de concilier ces deux temps; objectif et subjectif. C’est à cet endroit de mes recherches artistiques que prend racine le projet « ensemble nuages ».
Pour commencer le projet « ensemble nuages », je souhaite créer une expérience commune et organiser une sortie à la découverte des spécificités géologiques proches de l’école. Lors de cette excursion, un temps sera dédié à observer les nuages. À travers cette sortie à la fois géologique et météorologique, je veux transmettre aux enfants la richesse géologique de leur territoire et l’idée selon laquelle au sein d’un même espace, plusieurs échelles de temps peuvent cohabiter entre elles. Cette expérience sera l’occasion de me familiariser d’avantage sur la géologie locale pour nourrir mon inventaire de roches avec lesquelles je travaille.
La diversité géologique des Cévennes a nourri ma pratique artistique et depuis mon installation dans la région en juin dernier, je tente de faire cohabiter différentes échelles de temps. En utilisant la pratique du cyanotype, je réalise, depuis peu des photographies de nuages sur des roches prélevées sur le territoire. Deux échelles se rencontrent, celle du passage d’un nuage qui se déplace jusqu’à 300 km/h selon la vitesse du vent et l’échelle de la pierre qui peut être datée jusqu’à 330 millions d’années selon les sols. Ces expériences photographiques ont nourri l’envie de créer une carte géologique d’un instant. En utilisant les photographies des nuages réalisées ainsi que les roches rencontrées pendant la résidence, cette recherche plastique pourra être poursuivie et partagée avec les élèves.
La deuxième étape consistera à présenter le projet aux élèves. Pour qu’ils.elles se familiarisent avec ce dernier, je souhaite qu’on observe ensemble une carte géologique du territoire ainsi qu’une vue satellite de nuages imprimée en grand format. Par le biais de questions posées aux élèves, j’aimerais qu’on discute ensemble de ces cartes. Ce moment sera l’occasion de leur faire découvrir le travail Space Elevator II de l’artiste Tomás Saraceno. Pour observer les nuages nous élaborons ensemble un lexique qui permettra de décrire les formes, les textures et les mouvements. Par petits groupes, nous irons dans la cour de l’école pour regarder le ciel. Les nuages observés seront dessinés par les enfants et les histoires qu’ils.elles ont imaginées seront enregistrées.
En invitant les participant.e.s à prendre le temps de regarder le ciel et les nuages, le projet « ensemble nuages » révèle la porosité entre notre environnement quotidien et l’imaginaire collectif et individuel. C’est une incitation à s’approprier son environnement par l’imaginaire. Il est d’ailleurs intéressant de noter que depuis 2013, le ciel des Cévennes fait officiellement partie du patrimoine grâce au label Réserve internationale de ciel étoilé. La dimension participative du projet « ensemble nuages » est la volonté de créer un lieu commun - une hétérotopie selon les termes de Michel Foucault - et valoriser l’importance du patrimoine immatérielle. La réalisation d’une carte devient le prétexte pour créer un nouveau territoire collectivement, propice à la rencontre des imaginaires de chacun.e.
Ce travail collaboratif avec les élèves sera aussi mené auprès des habitant.e.s du village. Par le biais des boîtes aux lettres, nous glisserons avec les enfants des invitations à regarder les nuages. S’ils.elles le souhaitent, les habitant.e.s pourront contribuer à la carte géologique par leurs nuages, leurs dessins et leurs histoires. Les enfants auront alors la responsabilité de rendre visible les contributions de chaque participant.e sur la carte et la maquette géologique.
Très emprunte des écrits de Marcel Mauss sur le don, je veux transmettre l’idée selon laquelle au coeur du rapport social, on trouve non pas le marché ou le donnant-donnant, mais ce qu’il appelle la triple obligation de donner, recevoir et rendre. En tant qu’artistes intervenant.e.s, nous avons cette liberté d’interroger les codes sociaux de l’école. En proposant un atelier collaboratif, les trois règles que nous suivront seront : la coopération, l’entraide et l’échange. Ces réflexions ont nourri l’envie de privilégier une expérience collective avec les enfants qui sont souvent contraints à travailler individuellement dans le cadre de leur scolarité. Au delà du cadre scolaire, cette proposition tente de transformer le statut des participant.e.s pour qu’ils.elles deviennent les protagonistes de ce lieu commun.
Une fois réceptionnées, les enveloppes seront ouvertes et lues en classe avec les élèves. Chaque forme et chaque histoire viendront participer à la construction et viendront influencer ce territoire commun. Pour la réalisation, je souhaite collaborer avec un.e designer.euse-graphique et utiliser les codes des cartes géologiques. Cette collaboration sera l’occasion de mettre en place un échange de savoir-faire et nourrir les interactions entre les participant.e.s. La dernière étape de travail consistera à réaliser une maquette. En s’inspirant du travail de Yona Friedman et bercés par l'imaginaire collectif, les enfants devront élaborer une maquette et venir y intégrer des petites cabanes pour abriter les histoires imaginées par les participant.e.s. Pour les matériaux, j’aimerai qu’on prenne le temps de réfléchir ensemble aux matières qu’ils souhaitent utiliser selon les récits récoltés. La restitution se fera à l’école en invitant toutes les personnes ayant contribué au projet. Si l’occasion se présente, j’aimerai installer cette carte à l’entrée d’un sentier pour créer une invitation à flâner sur ce territoire bercé par l’imaginaire des habitant.e.s.
Petit à petit, les nuages deviennent des excuses pour prendre le temps de se raconter des histoires et de se rencontrer. Petit à petit, ce n’est plus seulement une cartographie des nuages que l’on construit, mais un lieu à la fois témoin des échanges entre les habitant.e.s et leur territoire ainsi qu’un terrain fertile pour construire un imaginaire collectif.
Par le(s) artiste(s)